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Zahia RAHMANI
Histoire de l'art mondialisée Chargée de missionDépartement des études et de la recherche
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Ce programme explore la notion de “Paradis perdus” , fil conducteur d’une enquête transdisciplinaire sur la colonisation des paysages et ses répercussions sur les vies humaines et leurs représentations.
Il a pour objectif de déconstruire les récits, les savoirs et les usages environnementaux et d’interroger l’accès aux ressources et leurs marchandisations.
La nature, comme espace essentiel et vital de l’être humain, a été contaminée à jamais par un processus irréversible de destruction. Cette destruction fait naître la manifestation d’un désenchantement, exprimant la rupture d’un équilibre fondamental à l’existence humaine. Nombre de travaux relevant des humanités environnementales tentent grâce aux ressources iconographiques et textuelles de faire le récit de cette rupture.
En amont il y aurait eu un autre monde à jamais perdu. C’est l’enseignement de ces travaux et les sources auxquelles ils font appel que ce programme souhaite distinguer et mettre en perspective. Ces sources sont pour certaines encore trop méconnues, notamment celles produites par les scientifiques – botanistes, zoologues, géologues, géographes, etc. – et les artistes qui ont accompagné, sans pour autant les soutenir, les déploiements coloniaux. Pour des raisons politiques et culturelles, de nombreux travaux scientifiques et artistiques de recensement iconographique ont été recouverts, abandonnés et oubliés. Ces travaux participent de l’idée qu’un autre paysage a existé, que d’autres représentations ont opéré. Et qu’ils sont à jamais perdus pour tous.
Il s’agit par ce programme de déconstruire les récits, les savoirs et les usages environnementaux et d’interroger l’accès aux ressources et leurs marchandisations à l’heure de l’Anthropocène, cette nouvelle ère géologique succédant à l’Holocène, où l’action humaine a un impact significatif sur l’étendue terrestre (selon la notion discutée depuis les travaux du climatologue Paul Josef Crutzen). Certains qualifient cette période de Capitalocène (cf. Andreas Malm, Jason Moore, Donna Haraway) soit la dynamique du capitalisme et non de l’espèce humaine en tant que catégorie indifférenciée qui serait responsable de ce bouleversement global. D’autres la qualifie comme Occidentalocène (cf. Christophe Bonneuil), qui correspond à la mondialisation d’un modèle de développement et à la poursuite des voies aporétiques de l’impérialisme.
Une entreprise de colonisation implique non seulement la conquête d’un territoire, c’est-à-dire l’appropriation d’un espace, la dépossession d’un peuplement et l’exploitation humaine, mais aussi, du fait de représentations et de pratiques différentes du paysage, le bouleversement plus ou moins radical, voire excessif de l’écologie locale. Si ces processus s’observent dès l’Antiquité et dans des aires variées, ils connaissent une accélération qui va de pair avec l’évolution des modèles de domination – tels que l’idée d’empire au sens géopolitique, économique comme religieux –, la sophistication des moyens techniques et la puissance de la mécanisation qui en découlent, le recours à l’esclavage, tout comme le développement des économies-mondes et leur interconnexion au fur et à mesure de la globalisation. La conquête de l’Amérique par les Européens constitue l’un des moments historiques qui illustrent le plus clairement ce type de phénomènes à l’œuvre. Nous savons que les conquêtes coloniales ont été précédées d’explorations qui ont donné lieu à de nombreux prélèvements d’espèces et à une subjectivation des territoires, de leurs peuples et de leurs objets. Portée par les récits de voyage, cette dernière alimentera la production d’images ethnographiques, zoologiques, botaniques, cartographiques. Les travaux d’histoire environnementale, notamment ceux de Richard Grove, ont aussi montré que c’est dans les colonies de l’Océan indien, véritables « laboratoires environnementaux », qu’est apparue, entre 1650 et 1850 – et non aux États-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme on l’a longtemps affirmé –, la conscience des perturbations apportées aux écosystèmes par le modèle économique de l’exploitation coloniale. c’est également dans ces colonies que se sont mises en place, face à l’urgence, les premières mesures de protection, animées par le paradigme du paradis perdu à retrouver.
Le programme s’inscrit simultanément dans le cadre des études postcoloniales, dans le double sillage de l’histoire mondiale et de l’histoire globale et dans le tournant écologique des sciences humaines et sociales. Il entend participer à la poursuite d’une histoire environnementale de la colonisation, à l’élaboration d’une histoire environnementale de l’art, tout juste émergente, et au développement des études sur le paysage dans toutes ses dimensions, à l’échelle globale.
La notion de paradis perdu, qui constitue un lieu commun culturel, a donné lieu ces dernières années à quelques manifestations parcellaires placées sous cet intitulé, qui comprennent des expositions individuelles ou collectives, majoritairement tournées vers l’art contemporain, telles que Lost Paradise, dirigée par Barbara Steiner (Kunstraum de Vienne, 1994), et Paradise Lost, conçue par Paolo Colombo and Levent Çalıkoğlu sur les rapports entre nature et technologie (Istanbul Modern, 2011), à l’exception de celle conduite par Jean Clair et Guy Cogeval en 1995 (Paradis perdus : l’Europe symboliste, Musée des beaux-arts de Montréal), ayant abouti par son importance à un catalogue abondamment illustré. Consacrée aux artistes symbolistes européens de la fin du XIXe siècle, cette exposition abordait leurs œuvres sous l’angle de l’inquiétude à l’égard d’une rupture entre l’homme et la nature entraînée par l’industrialisation et traitait notamment de l’idée de cycles de la vie, de nouveaux territoires, d’hommes nouveaux et de patries retrouvées. Circonscrite au monde européen, étrangère aux questions coloniales, cette manifestation n’a pu pour autant masquer le versant conservateur de ce courant.
Notre projet s’inscrit dans une temporalité, une géographie et une historiographie plus amples, et par sa pédagogie a pour ambition de faire entendre une recherche en phase avec les intentions énoncées.
Ce programme d’une durée de quatre ans, se décline en quatre volets principaux : un séminaire où sont invités des chercheurs, parmi lesquels des figures majeures des humanités environnementales, des spécialistes de l’histoire globale et matérielle ou encore des études postcoloniales, tout comme des paysagistes, des artistes, des écrivains dont les œuvres relèvent du programme, et qui offrira un lieu de rencontre et de mise en lumière de travaux singuliers et cinq ateliers sur sites qui se déroulent à l’étranger. Ce projet sera suivi d’une exposition d’envergure internationale accompagnée d’une manifestation et d’une publication scientifique illustrée.
Les ateliers sont dédiés à des travaux d’artistes vivants qui questionnent les enjeux du programme quant à la colonisation des paysages et la représentation de ceux qui en ont été affectés et la destruction des éco-anthroposystèmes qui en a résulté. Des jardiniers paysagistes et botanistes participeront parallèlement à ces ateliers. Ces ateliers auront également une portée internationale par leur sujet et les experts qui y participent. Enfin, elles ont pour vocation de réunir à la fois des universitaires et des conservateurs, figurant notamment parmi nos partenaires institutionnels.
Développement du projet à moyen terme
Pour des raisons d’efficacité scientifique et de moyens en ressources, deux entités culturo-géographiques sont spécifiquement développées dans le cadre de ce programme. La colonisation des paysages et la destruction des éco-anthroposystèmes qui s’est effectuée à l’échelle de la planète a induit l’émergence des internationalismes. Aussi, et sans perdre de vue que ces enjeux relèvent de la mondialisation et de ses effets, notamment économiques, nos recherches portent sur les zones caraïbéenne et océanienne et leurs périphéries
Département des études et de la recherche
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Département des Etudes et de la Recherche (DER)
Chercheurs associés au programme
Institution et laboratoire associés au programme
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2020
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Colonisation des paysages et destruction des éco-anthroposystèmes
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