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Dessiner l’Antiquité au XIXe siècle
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Figure emblématique du Grand Tour en Italie, William Gell (1777-1836) est l’auteur de la première publication d’envergure consacrée à Pompéi au Royaume-Uni, en 1817. Deux de ses recueils, restés en grande partie inédits, sont conservés dans la collection de manuscrits de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art. Ils rassemblent plusieurs centaines de dessins réalisés à Pompéi entre 1801 et 1829, et témoignent très précisément de l’état des monuments au moment de leur découverte ainsi que de l’avancée des fouilles. Ces documents ont une double actualité : ils viennent de faire l’objet d’une intervention dans le cadre du cycle de conférences Trésors de Richelieu, et paraîtront très prochainement en fac-similé, sous la direction d’Hélène Dessales, dans le cadre d’une co-édition INHA – Hermann, grâce au soutien du labex TransferS et de l’Institut Universitaire de France.
Issu d’une vieille famille du Derbyshire, William Gell effectue son « Grand Tour » sur le continent en 1801, selon une tradition réservée aux jeunes aristocrates. Allant de l’Italie à la Turquie actuelle, il découvre les sites archéologiques aux côtés de John Gandy et Francis Bedford et réalise plusieurs ouvrages de vulgarisation sur la Grèce et l’Asie Mineure. Ils lui assurent rapidement une célébrité de « topographe », comme il se définit alors, capable de restituer rapidement, par des vues en perspective, la configuration des sites. Élu fellow de la Royal Society, il est aussi membre de la Society of Dilettanti depuis 1807 et ne cesse de voyager jusqu’en 1813 pour le compte de cette société savante.
En 1820, il s’établit définitivement à Naples, sa ville de prédilection. Il se consacre alors pleinement à la connaissance des sites de Campanie, privilégiant l’étude de Pompéi. Avec John Gandy, son ancien collaborateur en Ionie, il publie, en 1817, l’ouvrage de référence Pompeiania. En 1830, la Society of Dilettanti le nomme « Resident Minister Plenipotentiary » à Naples, sorte de correspondant diplomatique entre l’Angleterre et l’Italie. Sa grande connaissance des sites et des cultures antiques lui vaut une large notoriété dans le milieu antiquaire européen. Ayant toujours souffert de la goutte, il meurt à Naples en 1836, sans avoir eu le temps d’achever son troisième volume sur Pompéi, centré sur les peintures pariétales.
Peu de manuscrits de William Gell consacrés à Pompéi ont été conservés. Les deux volumes parisiens se distinguent par le fait qu’il ne s’agit pas de simples carnets de croquis mais de recueils constitués à partir de dessins plus élaborés, de relevés et de notes de terrain, par Gell lui-même.
Le premier recueil intitulé « Pompeii published 1819 » correspond aux planches gravées dans l’ouvrage Pompeiana : the topography, edifices and ornaments of Pompeii, publié à Londres en 1817-1819 par William Gell et John Gandy. Le second, signalé comme « Pompeii unpublished », est quant à lui resté presque totalement inédit. Il représente des monuments révélés par les nouveaux dégagements réalisés sur le site jusqu’en 1831. Quelques dessins sont toutefois reproduits dans l’ouvrage de référence du même titre publié en 1832 par le seul William Gell.
L’entrée de ces recueils dans les collections de l’INHA reste difficile à retracer. On peut toutefois penser qu’ils sont entrés à la Bibliothèque d’Art et Archéologie avant la Première guerre mondiale. D’abord conservés par Richard Kappel Craven (1779-1851), l’ami intime de William Gell, les recueils restèrent très probablement sur place, sans doute à Naples même, jusqu’au début du XXe siècle. Jacques Doucet, toujours curieux d’archéologie et de sources iconographiques, les aura sans doute fait acquérir par l’un de ses intermédiaires en Italie.
Reliés en maroquin rouge à grain long et élégamment dorés sur le dos et les plats, ces deux volumes renferment 362 dessins, réalisés à l’encre ou à la mine de plomb, pour la plupart aquarellés.
Ces dessins proviennent d’au moins trois carnets de croquis que William Gell a démontés ou découpés puis collés dans les deux recueils. S’y ajoutent quelques vues réalisées à même les feuillets, et d’autres encore qui ne sont pas de la main de notre dessinateur.
Par des vues en perspective, des essais de restitution et des plans, ces dessins reproduisent monuments, édifices, tombeaux, portes de la ville, murailles, rues, forum civil, thermes, théâtres, maisons et boutiques. Les techniques de construction, les objets et les structures les plus utilitaires occupent une place privilégiée. Enfin, les ornements et surtout les peintures font l’objet de nombreux relevés au rendu particulièrement soigné. Parmi celles-ci on compte des représentations de scènes érotiques. Elles sont le plus souvent réalisées au verso des dessins et signalées par une note manuscrite telle que : « This is not lifted up as on the otherside is a very indelicate paintings (…) ». Nos deux recueils présentent également des scènes bucoliques : vues paysagères prises sur le vif et relevés de peintures nilotiques.
Les dessins sont collés aux quatre coins ou à demi, quelquefois sur onglet, lorsqu’ils présentent un verso. Au fil du temps et des manipulations certains montages s’étaient fragilisés, parfois décollés. La présentation du 2 avril a été l’occasion de vérifier leur état. Notre atelier de reliure et de restauration a ainsi recollé quelques dessins portant d’anciennes traces de colle et a remplacé quelques onglets.
Ces recueils restituent un état des fouilles de Pompéi entre 1801, pour les premiers dessins, jusqu’en 1829. La méthode utilisée et le choix de rendu distinguent Gell de ses contemporains architectes. En effet, il n’utilise pratiquement jamais les modes de représentation canoniques, tels que plans, coupes et élévations, mais favorise les vues en perspective, souvent exécutées avec usage d’une camera lucida (102 pièces) et les reproductions de peintures pariétales (75 pièces). Il reste ainsi fidèle à sa dénomination de « topographe », restituant la configuration d’un lieu et d’un bâtiment, son esprit, en quelque sorte.
L’ensemble des relevés produits par Gell présente un grand intérêt pour l’archéologie pompéienne. En effet, ils reproduisent des bâtiments excavés depuis les années 1760 et qui se trouvent, dans l’état actuel, fortement érodés ou altérés par des restaurations successives. Gell était lui-même conscient de la vocation patrimoniale de ses relevés. À plusieurs reprises dans ses recueils et ses publications, il justifie ses recherches par l’urgence de la situation et rappelle surtout l’évolution des monuments et des fresques, dont il note les changements de couleurs et de substances.
Au centre d’un réseau de collaborations et d’échange, ces dessins sont aussi le support privilégié d’une archéologie scientifique en pleine formation, dans ce premier tiers du XIXe siècle. Bien d’autres facettes y apparaissent aussi en filigrane : les modalités de visite des sites fouillés, les conditions d’exécution des dessins, les projets de publication et les échanges de connaissances entre artistes européens au cours de leur découverte de Pompéi.
Isabelle Périchaud et Isabelle Vazelle, service du Patrimoine,
et Hélène Dessales, maître de conférences en archéologie (ENS-PSL Research University, AOROC-UMR 8546)