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Archives d’archéologues à la bibliothèque de l’INHA
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À l’occasion de la mise en ligne du premier corpus du « Digital Muret », l’Institut national d’histoire de l’art et la Bibliothèque nationale de France ont organisé en juin 2019 une journée d’études pour présenter les dernières recherches sur les collections archéologiques du XIXe siècle. Le dessin était au cœur de ces discussions, l’occasion pour la bibliothèque de l’INHA de présenter quelques corpus iconographiques issus de ses collections (manuscrits, dessins en feuilles, archives) et liés à la discipline archéologique.
Les recueils de dessins de Pompéi réalisés par William Gell entre 1801 et 1829 ont déjà fait l’objet d’un billet de blog. Attardons-nous sur les dessins d’un architecte de la 1re moitié du XIXe siècle, Augustin Quantinet (1795-1867) et sur le travail d’un archéologue à l’époque des pionniers de la discipline en Afrique du Nord, Charles-Joseph Tissot (1828-1884).
On connaît le goût de Jacques Doucet pour l’architecture et l’art de bâtir. En 1914, il achète à la vente Foulc des livres et des traités d’architecture depuis les origines de l’imprimerie jusqu’au XVIIIe siècle. Parallèlement et très certainement pour compléter cet ensemble d’imprimés, il débute une collection de dessins en feuilles consacrée à l’architecture et à l’ornement. Quoique minoritaire, l’archéologie y figure sous la forme de représentations d’édifices et de monuments antiques, de détails architecturaux ou ornementaux.
En 2014, est entré à la bibliothèque de l’Institut national de l’art un ensemble de 31 relevés de monuments grecs de la main de l’architecte Augustin Quantinet. Après un cursus classique à l’École nationale des beaux-arts, il participe en 1820 au concours du Prix de Rome mais n’obtient que le second prix. C’est donc à ses frais qu’il effectue un voyage en Grèce et en Italie. À cette époque, l’autorisation officielle de voyager en Grèce est encore refusée aux architectes-pensionnaires. Pourtant, le besoin se fait sentir. En 1835, par exemple, Victor Baltard demande à se rendre en Grèce pour y chercher de « nouveaux modèles ». Il faudra attendre 1845 pour que l’Académie des beaux-arts autorise enfin les architectes à choisir des monuments de la Grèce pour leurs projets de restaurations (4e année). Un an plus tard, l’École française d’Athènes voit le jour. Elle accueille des agrégés issus de l’École normale supérieure, des universitaires hellénistes, et ouvre ses portes aux élèves architectes durant leurs séjours en Grèce. De la même manière, les futurs archéologues bénéficient d’un hébergement privilégié à la villa Médicis lors de leur passage à Rome. Les rencontres entre les élèves des deux écoles sont fructueuses. Les agrégés enrichissent leur éducation purement livresque au contact des architectes, et c’est ainsi qu’au moment où l’archéologie est en train de se constituer en tant que savoir, les architectes apportent aux premiers élèves de l’École française d’Athènes une éducation technique, un sens aigu de l’analyse.
Malgré cela, l’attrait pour les monuments de l’Antiquité romaine et italienne ne fléchit pas. C’est une situation paradoxale si l’on songe que la Grèce est alors considérée comme la mère de tous les arts, la patrie où il convient de puiser des modèles. Comment expliquer cette contradiction ? À cette époque, il était encore difficile de se rendre en Grèce, sous domination turque jusqu’en 1822. C’est un voyage lointain entaché d’un certain romantisme. On avait surtout peur de laisser de jeunes architectes se passionner pour des édifices et des monuments qu’on ne connaissait finalement que par les textes. De plus, l’art romain, considéré comme imitation de l’art des grecs, était plus proche, plus accessible. Du coup, on estimait que l’étude d’après l’antique devait se limiter obligatoirement à l’Italie.
Augustin Quantinet apparaît donc comme un pionnier, un aventurier, puisque l’on situe ses relevés entre 1820 et 1824 (Dictionnaire des élèves architectes de l’École des beaux-arts de Paris – INHA). L’architecte dessine quatre sites et propose pour chacun d’eux des plans, des élévations et des relevés de détails architecturaux et ornementaux. Nous pensons qu’il commence son voyage par le sud de l’Italie pour rejoindre ensuite la Grèce, l’Attique et Olympie dans le Péloponnèse.
Aux portes de Naples, les ruines de Paestum constituent le site le plus important pour la connaissance de l’architecture antique. Comme tant d’autres avant lui, Quantinet explore et dessine les trois temples doriques de l’antique cité. En Grèce, il s’attachera à l’analyse des formes et des proportions du temple de Cérès à Éleusis et représentera avec sobriété les temples de Némésis et de Thémis à Rhamnonte.
Diplomate de profession, il découvre l’archéologie en 1852, à l’âge de 24 ans, lorsqu’il est nommé élève-consul à Tunis. Tout en poursuivant toute sa vie une carrière diplomatique, il parviendra à effectuer plusieurs missions dans le pays, alors sous domination ottomane et peu exploré par les Occidentaux. Comme ses compatriotes à l’époque en Afrique du Nord, en Algérie notamment, il s’intéresse tout particulièrement à l’épigraphie et au réseau de voies romaines. Il parcourt le pays, relève des inscriptions, tente de localiser des sites antiques, dresse des cartes. Il va être l’un des premiers Occidentaux à explorer le sud de la Tunisie et descendre jusqu’aux lacs salés. Cependant, malgré son appartenance à plusieurs sociétés savantes, il peine à être reconnu. Son œuvre majeure, Géographie comparée de la province romaine d’Afrique, sera publiée de manière posthume, entre 1884 et 1888, par son collaborateur Salomon Reinach.
Dessinateur de talent, il ne manquait pas, à chacune de ses missions, de dessiner et de peindre à l’aquarelle les paysages traversés et les monuments découverts. La bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art conserve nombre de ses dessins classés dans la collection de manuscrits et dans son fonds d’archives. L’ensemble de ces documents a très certainement été donné par Salomon Reinach en 1931.
Certains dessins sont davantage ceux d’un explorateur que d’un archéologue. C’est le cas d’une série d’aquarelles où il reproduit des vues paysagères de Tunisie agrémentées de ruines. Ici il fait plutôt œuvre de géographe, de topographe, tout en restituant admirablement la magie du lieu.
L’une d’elles, intitulée « Ruines de Carthage (vue prise de Byrsa) », est peut-être l’une des plus anciennes aquarelles de la collection, et pourrait dater de 1855, puisqu’en novembre de cette année-là il écrit à son père : « J’avoue que je n’ai pas revu sans plaisir la plage de Carthage et les collines de Byrsa. Je les ai soigneusement dessinées, cela me servira pour mon travail qui me trotte plus que jamais par la tête : il faudra bien qu’il en sorte. » (Géographie comparée de la province romaine d’Afrique, vol. 2, p. II). En effet, dès 1856, il évoque son idée de faire des fouilles à Carthage, mais il ne réalisera jamais son projet.
En 1871, il obtient un poste diplomatique au Maroc. Il va y rester 5 ans. Là encore il parcourt le pays, le crayon à la main, et retrouve les emplacements de villes, ruines et bornes milliaires.
En témoigne une série de vues de ruines du site antique de Volubilis effectuées en 1874. Réalisés sur papier bleu, à la mine de plomb rehaussée de blanc, ces élégants dessins tiennent à la fois de la vue pittoresque, avec parfois un personnage local au pied des ruines, et du dessin archéologique. Les monuments sont clairement identifiés et fidèles à l’aspect qu’ils présentaient alors.
À la fin de sa carrière, en 1879, il fait un dernier voyage en Tunisie pour y explorer le nord du pays, et pousse jusqu’en Algérie afin de parcourir la voie romaine de Carthage à Hippone.
La bibliothèque conserve de cette mission un album renfermant des dessins archéologiques de première importance, puisque plusieurs monuments déjà ruinés à l’époque ont été fortement dégradés depuis. Effectués à la mine de plomb, ils mêlent vues paysagères et relevés sur une même page. Sont figurés notamment des monuments des sites de Bulla Regia et Chemtou, minutieusement annotés.
En 1881, la Tunisie devient un protectorat français. À l’instar de l’Algérie, cinquante années plus tôt, les investigations archéologiques vont se multiplier dans le pays, confirmant l’œuvre de Tissot.
Il meurt peu après, en 1884, après avoir patronné l’expédition de Julien Poinssot, autre pionnier de l’exploration de l’Afrique du Nord ancienne*.
Isabelle Vazelle et Isabelle Périchaud, service du Patrimoine
*La bibliothèque conserve l’intégralité des archives Poinssot (Archives 106). Le fonds contient les papiers de 3 générations d’archéologues, Julien, Louis et Claude Poinssot, qui fouillèrent en Tunisie durant plus de 100 ans.