Les « petites réparations » des moniteurs étudiants : la conservation des collections (5/5)

Au rez-de-chaussée de la bibliothèque, à proximité immédiate des magasins de collections, s’affairent les petites mains du service de la Conservation et des magasins : six moniteurs étudiants encadrés par la responsable de l’atelier des petites réparations, dont nous vous proposons de découvrir aujourd’hui le travail pour clore cette série de billets consacrés à la mission de conservation de la bibliothèque de l’INHA.

Qu’entend-on par « petites réparations » ?

Les notions de « réparation » et de « restauration » associées à la conservation curative des documents sont distinctes et n’impliquent pas le même type d’interventions ni la même expertise. Les deux ateliers du service de la Conservation sont organisés selon cette différence. À l’atelier de reliure et de restauration œuvrent les techniciens d’art, dont le travail de restauration, de dorure et de reliure est à redécouvrir ici. Les « petites réparations » concernent les détériorations les plus courantes des documents, mais aussi les moins graves. Elles sont effectuées par les moniteurs étudiants du service, sous la vigilance de la responsable de l’atelier, qui les encadre et les conseille. Il s’agit d’interventions assez simples en regard de celles que peut effectuer un technicien d’art, mais qui nécessitent tout de même une grande minutie, de la rigueur et de la patience.

À leur arrivée dans le service, les moniteurs étudiants passent deux journées avec la cheffe de l’atelier de reliure et de restauration qui assure leur formation initiale. Ils sont tout d’abord sensibilisés à la reconnaissance des différents types de documents et de reliures (coupés-collés, brochés, reliés…). Ils découvrent les fournitures de conservation, les outils et les matériaux de réparation dont un assortiment complet leur est confié et se familiarisent avec la matière, les papiers et les cuirs notamment, et les principales affections et dégradations de ceux-ci. La reliure de documents est un domaine qui possède un vocabulaire spécifique fourni, qu’il n’est pas aisé de maîtriser. Les termes qui s’y associent ont une résonance traditionnelle, car ils sont ceux d’un métier d’art dont les principes techniques évoluent peu au fil du temps. Ils côtoient cependant les noms aux consonances plus modernes des nouveaux matériaux mis au point.

L’assortiment des outils confiés aux moniteurs étudiants et sa boîte. Cliché INHA.
L’assortiment des outils confiés aux moniteurs étudiants et sa boîte. Cliché INHA.

L’initiation aux soins des livres : immersion dans l’apprentissage des réparations les plus courantes

Au cours de leur formation initiale, les moniteurs étudiants se saisissent de leurs outils et s’essayent aux gestes des futures réparations qui leur seront confiées. En guise d’introduction, la restauratrice qui les forme a préparé pour chacun d’eux un document qui leur servira de cobaye. Il s’agit d’une feuille de papier grand format pliée plusieurs fois pour constituer un feuillet à découronner. Les moniteurs se regroupent autour de la restauratrice qui leur montre à plusieurs reprises ce qui doit être fait, mais également ce qu’il ne faut pas faire. Elle décrit le geste que fait sa main droite, et la bonne tenue du feuillet qu’opère sa main gauche. La bonne posture et les bons points d’appuis confèrent l’aise nécessaire pour faire un travail précis. Les moniteurs retournent s’installer à leurs établis individuels sur lesquels ils doivent expérimenter pour la première fois le geste qu’ils viennent d’observer. Ils se lancent en même temps que la restauratrice qui procède parallèlement à eux et commente son geste à nouveau, en ponctuant sa description : « n’ayez pas peur d’y aller franchement ! », « il vaut mieux faire l’erreur maintenant… ». Le volume sonore dans l’atelier reste très réduit, propice au calme et à la méticulosité nécessaires. Les premières hésitations s’estompent parmi les moniteurs, et la restauratrice passe de l’un à l’autre pour observer et corriger les mouvements en adaptant ses conseils selon les difficultés rencontrées par chacun.

L’apprentissage du gommage permet aux moniteurs de continuer à se familiariser avec les matériaux. Cette intervention consiste à débarrasser le papier des impuretés incrustées, qui résistent au passage de la brosse à poils souples ou à l’aspiration (dépoussiérage). Les particules ambiantes atmosphériques et le sébum présent sur les doigts qui manipulent les pages des livres sont les principaux vecteurs de ce dépôt en surface du papier. Les moniteurs découvrent les différents types de gommes et leurs usages respectifs. La gomme « galet », similaire à celle des écoliers, ou la gomme-éponge « smock », dont la texture ressemble à celle de la mie de pain, sont utilisées pour les interventions les plus simples. Une fois de plus le bon geste est primordial, car le gommage doit conserver l’homogénéité de l’aspect du papier et ne doit pas en abraser la surface, ni engendrer de déchirures ou de plis.

Vient ensuite la réparation des petites déchirures. La restauratrice reproduit sur le document cobaye précédemment découronné les types des déchirures et de pliures les plus communes. Pour ce type de papier (contemporain à pâte mécanique de bois, XIXe au XXe siècle), les moniteurs doivent appliquer du papier japon en rouleau, dont l’une des faces est enduite de colle thermo-réactivable. La bande de papier est découpée à la forme et positionnée sur la déchirure. L’application d’une petite spatule chauffée à cent dix degrés (minimum) pendant quelques secondes permet de fixer le papier par réactivation de la colle. Les déchirures survenant sur le papier fabriqué à la main (papiers vergés et vélins du XVIe au XVIIIe siècle, sauf exceptions actuelles) sont réparées avec du papier japon découpé sur mesure, sélectionné selon la correspondance de sa teinte et de son grammage avec le papier à réparer. Son application se fait à la colle d’amidon.

Bien souvent les déchirures s’accompagnent de pliures du papier. Lorsque celle-ci sont peu importantes, le moniteur humidifie très légèrement le papier au niveau de son pli et procède ensuite à son aplatissement au plioir en téflon. Pour les pages pliées et les feuillets froissés, la remise à plat se fait généralement par application de buvards ou de carte de Lyon humidifiés de part et d’autre de la page détériorée. Pour les feuillets séparés, la mise sous poids pendant plusieurs heures permet la reformation du papier.

Vers les réparations plus complexes

Au fur et à mesure de leur formation, les moniteurs sont invités à utiliser les matériaux et des outils qui composent leur boîte et qui prennent sens tour à tour. Peu à peu l’appréhension laisse place à l’envie de bien faire, motivée par l’intérêt et la curiosité que suscite la restauratrice qui les forme. L’échange se crée rapidement et les premières questions se posent. La suite de la formation est dédiée à des types d’interventions plus complexes. Les moniteurs découvrent les principaux types de coutures de cahiers et expérimentent la couture de conservation ou celle de des documents brochés. Ils apprennent à insérer des pages ou des feuillets dans les documents en réalisant des montages, par collage ou sur onglet notamment.


Termes les plus communs de la reliure.

Les détériorations les plus courantes se situent sur la partie extérieure du document. C’est donc à ce niveau que les moniteurs opèrent la plupart de leurs réparations, comme la consolidation du dos de certains ouvrages brochés cousus, qui ont été fragilisés par les manipulations ou l’état du papier : les feuillets de gardes fragilisés aux mors se séparent de la couvrure. Le ré-emboitage est l’opération qui consiste à réunir une ou plusieurs parties désolidarisées de la couvrure au corps d’ouvrage : le dos et l’un des plats, ou les deux plats, ou le dos seul, qui nécessitera obligatoirement la pose d’un soufflet. La pose de charnières en papier japon collées à l’amidon permet de consolider l’ensemble de l’appareil de reliure. La coiffe et les coins sont des éléments sensibles de la couverture qui se déchirent ou s’écornent facilement lors de la manipulation du document. Leur redressement est effectué avant qu’une nouvelle application de papier japon collé n’assure leur consolidation.

Durant les premiers mois de travail, les moniteurs étudiants améliorent leurs gestes et développent leurs aptitudes et leur assurance. Ils apprennent à travailler de manière autonome, bien qu’ils restent toujours encadrés par la responsable de l’atelier. Ils aiguisent leur sens pour procéder au repérage des documents qui constitueront les trains envoyés en reliure extérieure, et dont ils contrôleront les réparations effectuées par le prestataire à leur retour.

La transmission d’un savoir-faire traditionnel

La mission de conservation de la bibliothèque reste assez méconnue de son public bien qu’elle occupe une place importante de son action documentaire. Lorsque la Bibliothèque centrale des Musées nationaux a rejoint l’INHA en 2016, l’atelier de reliure qui s’y trouvait a été déménagé dans les nouveaux espaces de la bibliothèque, où il est devenu l’actuel « atelier de reliure et de restauration ». En amont de leur fusion, les deux institutions avaient convenu que l’activité de reliure et de restauration de cet atelier, qui avait été créé en 1927 par Lucie Chamson, devait perdurer. Ces dernières années, l’INHA a fait l’acquisition d’équipements et de fournitures qui sont venus compléter le mobilier d’origine de l’atelier, et l’équipe des personnes dédiées aux soins des documents s’est agrandie. L’« atelier des petites réparations » a été créé, et la volonté d’en pérenniser l’activité et le savoir-faire, peu répandu parmi les bibliothèques, trouve chaque année sa complétude avec le recrutement et la formation de nouveaux moniteurs étudiants. Si ces derniers ne se destinent généralement pas une carrière dans les bibliothèques, ils s’impliquent toutefois beaucoup et développent un véritable attrait pour le travail qui leur est confié.

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Ce fil de billets dédiés à la découverte de la mission de conservation des collections de la bibliothèque de l’INHA en vient à sa conclusion. Il a été écrit en étroite collaboration avec l’ensemble de l’équipe du service de la Conservation et des magasins, dont la participation est saluée.

Alix Saunier
service de la Conservation et des magasins

Publié par Sophie DERROT le 13 janvier 2021 à 17:40