Jeudi matin, 9 h. Je retrouve Sylvaine et Marie, monitrices étudiantes au service du Patrimoine. Elles m’ont gentiment proposé de les suivre le temps d’une journée pour que j’en apprenne plus sur leur travail. Depuis septembre dernier, elles sont en charge d’une partie de nos collections aussi riche que méconnue, les « Cartons verts ».

Autour d’un café ou entourées de cartons, du haut de la mezzanine, où trône leur bureau, au fin fond du « Caveau » (les magasins du deuxième sous-sol qui abritent la collection), elles m’ont fait découvrir leur mission et ont bien voulu répondre à mes (nombreuses) questions. Voici en exclusivité leurs réponses et leurs éclaircissements !

Les Cartons verts, qu’est-ce que c’est ?

À la bibliothèque de l’INHA, nous désignons sous le vocable « Cartons verts » les cartons d’invitation aux vernissages. Même si l’on imagine immédiatement le traditionnel carton A5 orné de la reproduction d’une œuvre de l’exposition, il existe en réalité des cartons d’invitation de toutes les formes et de toutes les tailles, des plus classiques aux plus originaux.

Dans cette étonnante collection, nous conservons parfois aussi d’autres documents ayant trait aux expositions : non seulement le carton d’invitation, mais également des flyers, des listes de prix, des plans d’exposition, le programme de la soirée de vernissage… Le cinéma, la danse, le théâtre sont absents de cette collection ; en revanche, les concerts et les performances, lorsqu’ils ont lieu lors des vernissages, y trouvent leur place.

Pourquoi ce nom ?

La collection des Cartons verts doit son nom aux boîtes d’archives vertes tachetées de noir, comme les célèbres cartons à dessin. Ces boîtes furent fabriquées dans les années 1930-1940 par les cartonnages Luma. Aujourd’hui, avec l’extension de la collection, de nouvelles boîtes ont peu à peu été adoptées, mais l’appellation est restée !


Les cartons verts dans les rayonnages du caveau, mai 2016. Cliché Béatrice Guillier.

Quelle est la genèse de cette collection ?

C’est sans doute avec les cartons reçus par Jacques Doucet que cette grande collection a commencé. Peu à peu, elle s’est enrichie grâce aux dons du personnel de la bibliothèque et du public, et grâce aux cartons envoyés par les institutions. Depuis les années 2000, une réelle politique d’acquisition a été mise en place et de nombreux appels à dons lancés, afin de combler les lacunes dues au caractère aléatoire de ce mode de collecte.

Comment est classée cette collection ?

Les Cartons verts sont classés en deux séries chronologiques : jusqu’en 1970 et à partir de 1971.

La série jusqu’en 1970 est classée en quatre sous-séries alphabétiques : Artistes pour les vernissages personnels (comportant en fait jusqu’à trois artistes), Galeries, Musées, Sociétés pour les vernissages collectifs. Les collectifs d’artistes sont bien entendu considérés comme des artistes à part entière et rangés dans la sous-série Artistes.

Pour la série « actuelle », commençant en 1971, le système a été simplifié pour ne comporter que deux sous-séries : Artistes et Collectifs. dans cette dernière, les cartons sont classés par le lieu puis par le nom de l’organisme organisateur du vernissage.


Le système de cotation des Cartons verts, mai 2016. Cliché Béatrice Guillier. Comme le signale l’étiquette CVA2, il s’agit de Cartons verts (= CV), sous-série « Artistes » (= A), série « Après 1971 » (= 2).

En tant que monitrices Cartons verts, en quoi consiste exactement votre mission ?

Nous devons traiter la quantité incroyable de Cartons verts que la bibliothèque conserve, afin de les rendre accessibles sur demande aux lecteurs. Les lecteurs ne savent pas toujours que nous possédons cette collection, mais elle peut être une précieuse ressource, par exemple pour les chercheurs qui travaillent sur un artiste peu connu qui n’a pas de monographie. D’où l’importance de notre mission, qui a commencé dans les années 2000 et à laquelle de nombreux moniteurs étudiants ont contribué !

En ce moment, notre mission prend une nouvelle dimension du fait du déménagement prochain en salle Labrouste, qui nécessite un important travail de recotation et ré-étiquettage.

Comment se déroule votre mission au jour le jour ?

Elle commence toujours de la même manière : nous nous retrouvons en possession d’un carton rempli de documents en vrac, provenant d’un don ou issus d’une partie de la collection qui n’a pas encore été triée. Nous travaillons le plus souvent sur la deuxième série (à partir de 1971).

Dans un premier temps, on répartit les documents entre nos deux sous-séries : Artistes et Collectifs. Puis, à l’intérieur de chaque sous-série, on range les cartons par ordre alphabétique dans des dossiers suspendus. L’idée est de simplifier au maximum le rangement final. Au fur et à mesure de ce premier classement, on estampille les cartons.


L’estampillage des cartons d’invitation, étape par étape, mai 2016. Cliché Béatrice Guillier.

Ensuite, lorsque tous les documents ont été distribués dans les dossiers suspendus, on va chercher les boîtes vertes correspondant aux lettres que l’on souhaite compléter au « Caveau ».

Une fois ces boîtes remontées dans le bureau, on prend le premier dossier suspendu et on s’installe devant l’ordinateur pour compléter le tableau Excel qui recense tous les Cartons verts. En ce moment, nous sommes en train de travailler sur la lettre E des expositions collectives de Paris. Nous traitons donc actuellement les cartons d’écoles parisiennes accueillant des expositions.


Les dossiers suspendus dédiés aux expositions collectives, mai 2016. Cliché Béatrice Guillier.

Pour vous donner un exemple, je pioche dans le dossier suspendu « E » un carton d’invitation à une exposition organisée à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs. Je cherche dans la boîte la pochette dédiée à cette école. Sur les pochettes figurent les lieu et nom de l’institution, le numéro de la pochette s’il y en a plusieurs qui lui sont dédiées, et les dates extrêmes des cartons qu’elle contient. Celle des Arts déco existe déjà ; sinon, j’en aurais créé une, et j’aurais ajouté une ligne au tableau Excel.

Je glisse donc le nouveau carton dans la pochette, en respectant l’ordre chronologique, et je modifie le nombre de cartons présents sur la pochette et dans le tableau Excel. Le total en augmente d’autant : on peut voir que l’on possède à l’heure actuelle plus de 62 000 cartons de vernissage dans la sous-série « Artiste », des années 1870 à nos jours ! Et la collection s’accroît de 1 500 cartons par an…

Il y a actuellement deux tableaux Excel ; l’un pour les Cartons verts Artistes et l’autre pour les Cartons verts Collectifs. Ils sont en ligne sur le portail de la bibliothèque et régulièrement mis à jour. Y figurent notamment les cotes et le nom de chaque artiste et de chaque lieu d’exposition, le tout devant être indiqué lors d’une demande de communication des cartons verts par les lecteurs, faite sur rendez-vous. Le but de ce processus est en effet de leur rendre accessible le maximum de ces ressources !

Si vous souhaitez contribuer à la constitution de cette belle collection, vos dons de cartons d’invitation sont les bienvenus. Nous sommes tout particulièrement à la recherche de cartons d’expositions ayant eu lieu entre 1940 et 1990. Merci d’avance pour votre participation !

Tous mes remerciements à Marie Gautron, Sylvaine Pierre et Jérôme Delatour pour leur patience et leurs nombreuses explications.

Béatrice Guillier, Service du Patrimoine