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Deux scènes de la vie d’Henri IV sur soie
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Grâce à un mécénat de la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, la bibliothèque de l’INHA vient de faire restaurer trois de ses estampes anciennes les plus rares, imprimées en couleurs sur étoffe. Ces trois gravures, datables des années 1779-1784, ont très certainement été acquises avant 1915 par Jacques Hérold, secrétaire de la société de la gravure française, pour le compte de Jacques Doucet, complétant la collection d’estampes anciennes en couleurs de la bibliothèque. Elles sont l’œuvre du peintre et graveur Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty (1738?-1786), fils aîné du graveur et éditeur d’estampes Jacques-Fabien Gautier (1716 ?-1786), anatomiste pensionné du roi, qui avait repris à son compte les procédés d’impression en trichromie mis au point par son maître Jacques Christophe Le Blon autour de 1715.
La première de ces gravures est un portrait de Louis XVI imprimé en couleurs sur velours de coton. C’est la seule épreuve sur velours de cette gravure dont nous ayons connaissance. Des épreuves sur papier existent ; la bibliothèque en possède une. Elles étaient généralement destinées, dit-on, à être vernies, montées sur châssis et encadrées pour fournir à moindre coût un succédané de toile peinte.
L’origine de ce portrait est à rechercher dans la singulière aventure qui lia pendant quelques années le chevalier Dagoty et Marie-Antoinette.
De son père, Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty avait surtout hérité le talent médiocre et l’arrivisme forcené. En revanche, il ne semble guère avoir partagé son goût pour l’anatomie et les sciences. Ses premières planches connues datent de 1755. Ayant d’abord contribué aux gravures en couleurs des Observations sur l’histoire naturelle, sur la physique et sur la peinture, créées par son père en 1752 et continuées jusqu’à leur mort conjointe en 1786, il se tourna, aux abords de la trentaine, vers la gravure de portraits. Coup sur coup, il fit paraître la Monarchie françoise, ou recueil chronologique des portraits de tous les rois et chefs des premières familles… depuis Pharamond jusqu’à Louis XV (1770, eau-forte ; inachevé), la Galerie françoise ou portraits des hommes et des femmes célèbres qui ont paru en France (1770, en manière noire) puis la Galerie universelle contenant les portraits de personnes célèbres de tout pays, actuellement vivantes (1772, en couleurs, inachevée).
Ambitieux comme son père, il tenta de percer à la Cour. Le mariage du dauphin Louis avec Marie-Antoinette, le 16 mai 1770, semble lui en avoir fourni l’occasion. N’étant issu que d’une modeste famille roturière de Marseille, il fut le premier à ajouter à son nom de famille, Gautier, celui de sa grand-mère paternelle Marie-Madeleine Dagoty, fille d’un capitaine navigant. Ayant de surcroît obtenu le titre ronflant de chevalier de l’ordre de Saint-Jean-de-Latran, il se fit donc appeler le « chevalier Dagoty », ce qui lui donnait un semblant de contenance à Versailles.
Dès 1770, il composa et grava en manière noire une scène qui montrait le duc de Choiseul présentant au dauphin le portrait de Marie-Antoinette. Pour sa Galerie universelle (1772), il peignit sur le vif le roi, le chancelier Maupeou et La Vrillière ; il fit également le portrait de Marie-Thérèse d’Autriche, « d’après le tableau qui est dans les appartement[s] de Md la dauphine ». Tout ceci indique que le chevalier Dagoty avait ses entrées à la Cour. Il pouvait compter sur la protection de Madame, comtesse de Provence.
En 1775 enfin, une opportunité unique s’offrit à lui. Dès l’avènement de Louis XVI (10 mai 1774), un portrait en buste du roi et de la reine avait été commandé au peintre Joseph-Siffred Duplessis pour la cour de Vienne. Dagoty était pressenti pour en effectuer des copies. Mais en 1775, Duplessis n’avait pas encore achevé le portrait du roi. Devant l’impatience de l’impératrice, mère de Marie-Antoinette, l’ambassadeur de l’Empire à Paris, Mercy-Argenteau, confia le portrait de la reine à Dagoty. Dans le même temps, Dagoty obtint la commande d’un portrait de la reine en pied (voir à ce sujet la remarquable étude d’Albert Vuaflart et Henri Bourin dans le troisième tome, demeuré inédit, de leurs Portraits de Marie-Antoinette (INHA, ms 380, f. 51-84)).
Saisissant sa chance, Dagoty travailla avec la plus extrême diligence. En à peine plus de deux mois, le portrait en buste fut peint et envoyé à Vienne, le 18 mai 1775. Hélas, l’impératrice le reçut fort mal – non tant à cause de la médiocrité du tableau, que de l’excès de plumes sur la coiffure de sa fille. Par une lettre du 1er juin 1775, l’ambassadeur de France à Vienne informa Mercy-Argenteau de la réception du tableau et du mécontentement de Marie-Thérèse : « il lui a paru mauvais tant pour la ressemblance que pour l’exécution ». Si l’on en croit les Mémoires secrets de Bachaumont, l’impératrice renvoya incontinent le tableau à sa fille, « en lui marquant que sans doute on s’étoit trompé dans l’expédition du présent ; qu’elle n’avoit point trouvé le portrait d’une reine de France, mais celui d’une actrice ; qu’elle le lui faisoit remettre, en attendant le véritable ».
J.-B.-A. Gautier-Dagoty, Portrait de Marie-Antoinette, 1775, musée de Versailles, MV 8061. Cliché RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
En juillet 1775, Dagoty acheva le portrait en pied. Son air de poupée de cire ne le fit pas mieux accueillir que le portrait en buste. Offert au prince Georg Adam von Starhemberg en 1777, il est aujourd’hui conservé à Versailles(MV 8061). C’est finalement Élisabeth Vigée-Lebrun qui, la même année, remporta la commande du portrait officiel ; et c’est finalement un portrait en pied qui gagna la cour de Vienne.
Cependant, Marie-Antoinette ne fut pas fâchée des services de Dagoty. Toujours hardi, le chevalier lui présenta un singulier placet : ce n’était autre qu’une gouache où il se représentait lui-même en train de peindre le portrait en pied de la reine, tandis qu’une de ses dames, à gauche, tendait à la reine le placet de Dagoty, par lequel il la suppliait « humblement de vouloir bien lui permettre de porter le titre de Son peintre ». Son autre protectrice, Madame, comtesse de Provence, figurait en bonne place au fond de la composition. Marie-Antoinette ne fut pas sourde à sa requête puisque Dagoty porta, dès la fin de l’année 1775, le titre de « peintre de la reine et de Madame » (Gazette de France, 13 novembre 1775).
J.-B.-A. Gautier-Dagoty, Placet à la reine, 1775, gouache, musée de Versailles, MV6278. Cliché RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
Le portrait de la reine en buste a disparu, mais la bibliothèque de l’INHA conserve une épreuve en couleurs sur papier non signée (ci-dessous) qui semble en être la version gravée. Cette épreuve est de la plus grande rareté, et peut-être unique. Vuaflart et Bourin ont ignoré cette planche ; Hans Wolfgang Singer (n° 87) et l’Inventaire du fonds français : graveurs du XVIIIe siècle de la Bibliothèque nationale (t. 10 (1968), n° 62) ne la mentionnent que d’après l’exemplaire de l’INHA. Tout en ayant des liens de parenté évidents avec le portrait en pied, ce portrait en buste semble en être une version assagie. Le costume est le même, mais la plupart des ornements en ont disparu. Plus de diadème, plus de broche, plus de perles, moins de plumes, et les mèches aux boucles opulentes ont été raccourcies, ou dissimulées ici par une épaule, là par une brassée de fleurs, opportunément plaquée contre la poitrine de la reine.
J.-B. A. Gautier-Dagoty, Portrait de Marie-Antoinette, estampe en couleurs, [vers 1775], bibliothèque de l’INHA, EA Gautier-Dagoty Jean-Baptiste André 7. Cliché INHA
Si ce portrait nous intéresse ici, c’est qu’il constitue de toute évidence le pendant du portrait de Louis XVI qui vient d’être restauré : mêmes dimensions, même technique, même fond bleu uni et même bordure ovale. On en conclut que lorsque Duplessis eut enfin achevé le portrait du roi, Dagoty le grava en couleurs et l’accompagna d’une version gravée de son propre portrait de la reine – celui qui avait tant déplu à l’impératrice d’Autriche.
J.-B. A. Gautier-Dagoty, Louis XVI, [1776-1786], estampe en couleurs sur velours de coton (avant restauration), bibliothèque de l’INHA, EA Gautier d’Agoty, Jean-Baptiste André 6. Cliché INHA
Joseph-Siffred Duplessis, Louis XVI, 1776, huile sur toile, musée de Versailles, MV 3966. Cliché Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / © Christophe Fouin
J.-B.-A. Gautier-Dagoty, Louis XVI, [vers 1776], estampe en couleurs, bibliothèque de l’INHA, EA Gautier d’Agoty, Jean-Baptiste André 5. Cliché INHA
Le velours du portrait du roi est aujourd’hui bien passé. Mais son triste état ne doit pas faire oublier le caractère exceptionnel de cette réalisation. Imprimer sur velours, c’est-à-dire sur une toile à la surface mouvante, et qui plus est en trichromie et sur grand format (56 par 64 centimètres), était un exploit technique sans précédent. Personne à cette époque, pas même la toute puissante manufacture de Jouy, n’en faisait autant. Seul Gaspard Grégoire (1751-1846), provençal lui aussi, travaillait alors à un procédé semblable. Mais, malgré un logement dans la galerie du Louvre et un privilège de neuf ans obtenu en 1788, Grégoire ne parvint jamais à produire que des pièces de petite taille, sans commune mesure avec le velours de Dagoty. Sa technique, qui consistait à peindre sur chaîne avant tissage, manuelle et très laborieuse, était en outre incompatible avec une exploitation industrielle.
Gaspard Grégoire, Louis XVI, [1787-1790], peinture sur velours, musée des Arts décoratifs, inv. 996.75.23. Cliché Les Arts Décoratifs / Photo : Jean Tholance
Gaspard Grégoire, Marie-Antoinette, [1787-1790], peinture sur velours, musée des Arts décoratifs, inv. 996.75.24. Cliché Les Arts Décoratifs / Photo : Jean Tholance
Jérôme Delatour et Lucie Fléjou, service du patrimoine