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L’« Ange anatomique » de Jacques-Fabien Gautier-Dagoty
Conférence du Quadrilatère
Imprimée en couleurs, cette planche représente une femme vue de dos, disséquée de la nuque au sacrum.
Le mardi 14 avril 2015, dans le cadre des Conférences du Quadrilatère, co-organisées par la BnF et l’INHA, l’« Ange anatomique » de Jacques Fabien Gautier-Dagoty (1716-1785) vous sera présenté par Corinne Le Bitouzé, conservateur général au département des Estampes et de la photographie de la BnF et Morwena Joly-Parvex, conservateur du patrimoine, chargée de mission au Centre des monuments nationaux. La conférence a lieu dans l’auditorium de la galerie Colbert. L’épreuve qui vous sera présentée mardi est conservée au sein des collections du département des Estampes et de la photographie de la BnF.
À cette occasion, nous vous proposons une rapide exploration du fonds de la bibliothèque de l’INHA, riche en estampes imprimées en couleurs de Jacques-Fabien Gautier-Dagoty et de ses fils. Ce billet s’inspire largement du remarquable catalogue de l’exposition « Anatomie de la couleur : l’invention de l’estampe en couleurs », organisée en 1996 à la Bibliothèque nationale de France et au Musée olympique de Lausanne, qui a permis des avancées importantes sur la connaissance de ce type de gravures et de leurs producteurs.
Des gravures en couleurs
L’art de l’estampe est traditionnellement associé à la monochromie. Cependant, dès les débuts de l’estampe, aux XIVe-XVe siècle, de nombreuses gravures sont coloriées, à main levée et/ou au pochoir. Par la suite, cette pratique continue : il s’agit aussi bien de mettre en couleur de l’ « imagerie », coloriée de manière sommaire, que des œuvres de prestige finement enluminées. Parmi les collections de la bibliothèque de l’INHA, ce dernier cas est par exemple illustré par les Galans Maures d’après Jean Berain (1685-1686), ou encore, au siècle suivant, le Livre des differentes éspéces d’oiseaux, fleurs, plantes, et trophés de la Chine, tirés du Cabinet du Roy, gravé par Gabriel Huquier d’après Jean-Baptiste Oudry.
Gabriel Huquier, Livre des differentes éspeces d’Oiseaux, Fleurs, Plantes et Trophés de la Chine Tirés du Cabinet du Roy… 4e Partie, pl. 56, eau-forte coloriée, bibliothèque de l’INHA, Pl Est 100. Cliché INHA
Dans le même temps, on essaie aussi d’imprimer directement en couleurs les estampes. Pour cela, une première possibilité est celle de l’utilisation de plusieurs encres différentes, juxtaposées sur une seule plaque gravée : cette technique, dite de l’encrage « à la poupée », se développe dès la fin du XVIIe siècle aux Pays-Bas. Elle reste cependant très délicate et peu adaptée à la production d’épreuves en nombre important.
La deuxième possibilité est celle de l’utilisation de plusieurs matrices, chacune encrée d’une couleur différente, imprimées successivement sur la même feuille de papier. Ce type de procédé connaît une vraie révolution au XVIIIe siècle, suite aux recherches de Newton : de couleurs simplement superposées ou juxtaposées, on va passer à des couleurs combinées.
Jacob Christoph Le Blon, l’inventeur génial
Jacob Christoph Le Blon (1667-1741), descendant de huguenots installés à Francfort et membre d’une famille de graveurs, s’installe à Londres en 1718. Ayant connaissance des théories de Newton sur la décomposition de la lumière, il effectue de nombreuses expérimentations afin de les appliquer à la gravure en couleurs. À l’issue de celles-ci, il décide d’utiliser pour ses estampes les trois couleurs primaires, le bleu, le rouge et le jaune, qui, combinées, peuvent donner l’ensemble des couleurs que l’on trouve dans la nature. Il invente ainsi le procédé de reproduction des couleurs nommé trichromie.
Pour mettre au point une estampe, il décompose mentalement son sujet en trois parts, rouge, bleue et jaune, puis reporte les trois dessins correspondants sur trois plaques gravées, chacune devant être encrée d’une couleur primaire différente.
Les plaques sont gravées à l’aide de la technique de la « manière noire », ou mezzotinte, particulièrement populaire en Angleterre depuis le XVIIe siècle : la plaque de cuivre est couverte uniformément d’un fin et dense réseau d’entailles, qui, une fois encrées, forment une teinte homogène. Pour faire apparaître le sujet, le graveur aplanit certaines parties de la plaque, qui, plus claires, se détachent ainsi à l’impression du fond sombre.
Une fois les trois plaques gravées, de multiples essais et reprises sont nécessaires avant l’obtention de leur état définitif. Ce travail est extrêmement difficile et minutieux ; la fabrication des gravures est donc lente et onéreuse. Malgré l’estime scientifique dont jouit Le Blon et le privilège royal accordé par Georges Ier, ceci explique l’échec commercial de l’inventeur. Le Blon ne parvient en effet à publier à Londres qu’une vingtaine de gravures, principalement des estampes d’interprétation, ainsi qu’une planche d’anatomie.
La bibliothèque de l’INHA conserve une estampe de Jacob Christoph Le Blon, la Tête du Christ sur le voile de Véronique, publiée à Londres vers 1721. Elle est considérée comme l’une des premières grandes réussites de l’inventeur.
Jacob Christoph Le Blon, Tête du Christ sur le voile de Véronique, vers 1721, manière noire imprimée en couleurs, bibliothèque de l’INHA, EA LEBLON 1. Cliché INHA, dist. RMN-Grand-Palais/Martine Beck-Coppola
Le détail ci-dessous vous montre l’extraordinaire travail de recomposition chromatique effectué par Le Blon : les innombrables griffures entrecroisées de la plaque de cuivre, travaillée pour la manière noire, tracent un réseau de traits de couleurs complémentaires, qui, vues de loin, recomposent avec subtilité l’ensemble du spectre colorimétrique. On voit aussi que la plaque gravée à la manière noire est ensuite retouchée à la pointe : des cheveux et des gouttes de sang se détachent ainsi du fond.
Bibliothèque de l’INHA, EA LEBLON 1, détail.
Installé à Paris vers 1735, Le Blon cherche à y exploiter son procédé à partir de 1738, après avoir obtenu un privilège royal. Finalement, il disparaît en 1741, sans que tous les mystères de son procédé n’aient été transmis à ses élèves. Parmi ceux-ci, figure un certain Jacques Fabien Gautier, originaire de Marseille.
Jacques-Fabien Gautier-Dagoty, successeur ou imposteur ?
Jacques Fabien Gautier, dit Gautier-Dagoty, est employé comme graveur dans l’atelier de Le Blon en 1738 pendant quelques semaines. À la mort de celui-ci, il obtient le transfert du privilège de l’inventeur, au mépris des droits des associés et descendants de Le Blon. Puis, constamment protégé par le pouvoir royal, il poursuit ses activités, avec l’aide de ses cinq fils, Jean-Baptiste André, Arnaud Éloi, Louis Charles, Fabien et Édouard, jusqu’aux années 1780.
La première planche publiée par Gautier-Dagoty, une Tête de saint Pierre, imprimée en trichromie, est très proche par sa technique et sa qualité des travaux de Le Blon : il est presque certain qu’il s’agit de l’œuvre du maître, frauduleusement signée par Gautier, alors employé dans l’atelier.
Jacques-Fabien Gautier-Dagoty, Tête de saint Pierre, manière noire en couleurs, bibliothèque de l’INHA, EA GAUTIER-DAGOTY Jacques Fabien 4. Cliché INHA, dist. RMN-Grand-Palais/Martine Beck-Coppola
Puis, se présentant comme le continuateur de Le Blon, Gautier-Dagoty modifie cependant considérablement le procédé inventé par celui-ci. En effet, il revendique l’ajout d’une quatrième plaque imprimée en noir : ses estampes sont donc désormais imprimées en quadrichromie. Cet ajout facilite et accélère le travail, mais les gravures de Gautier, d’aspect plus sombre et plus terne, tendent de plus en plus à n’être qu’une simple juxtaposition ou superposition de couleurs, bien loin de la théorie newtonienne.
Son œuvre majeure est la Myologie complète, parue entre 1745 et 1748, dont la bibliothèque de l’INHA conserve un exemplaire sous la cote Fol Est 335. Constituée de vingt planches de grand format, elle propose une vision spectaculaire de l’anatomie. L’ « ange anatomique » est la quatorzième de ces planches. Quatre plaques ont été superposées pour former l’impression complète.
Par la suite, il publie d’autres recueils d’estampes d’anatomie (Anatomie de la tête, publié en 1748, Exposition anatomique des maux vénériens..., en 1773, Exposition anatomique des organes des sens, en 1776), mais aussi des gravures de botanique (Collection des plantes usuelles, curieuses et etrangeres..., en 1767).
Jacques Fabien Gautier-Dagoty forme avec ses quatre fils une véritable « entreprise familiale ». Tous produisent des estampes imprimées en couleur selon des méthodes similaires. La bibliothèque de l’INHA conserve des œuvres de plusieurs d’entre eux, principalement des estampes d’interprétation.
Louis-Charles Gautier-Dagoty, Le retour de l’enfant prodigue, manière noire imprimée en couleurs, bibliothèque de l’INHA, EA GAUTIER-DAGOTY Louis Charles 2. Cliché INHA, dist. RMN-Grand Palais/Martine Beck-Coppola
Parmi ces estampes, deux sont d’une grande rareté : il s’agit de gravures de Jean-Baptiste André Gautier-Dagoty, imprimées en couleurs sur soie, peut-être destinées à servir de tapisseries de sièges. Nous leur consacrerons un prochain billet !
Lucie Fléjou, service du Patrimoine
En savoir plus
Les estampes de Gautier-Dagoty de la bibliothèque de l’INHAsont numérisées et disponibles en ligne. De nombreuses estampes ont été numérisées par d’autres institutions : en particulier, les ouvrages scientifiques de Gautier-Dagoty, numérisés par la Bibliothèque interuniversitaire de santé, sont consultables sur la bibliothèque numérique Medic@ ; vous y retrouverez en particulier un exemplaire de la Myologie complète.
Vous pouvez également consulter en ligne les œuvres de Le Blon conservées au British Museum, accessibles dans la base de données des collections du musée.
Références bibliographiques
- Catalogue de l’exposition de la BnF/Musée olympique de Lausanne en 1996 : Florian Rodari (dir.), Anatomie de la couleur : l’invention de l’estampe en couleurs, Paris/Lausanne, Bibliothèque nationale de France/Musée olympique Lausanne, 1996.
- André Béguin, Dictionnaire technique de l’estampe, Bruxelles, A. Béguin, 1977.
- Inventaire du fonds français : Graveurs du dix-huitième siècle. t. 10 : Gaugain – Gravelot, Paris, Bibliothèque nationale, 1968. Disponible en ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5488784r (consulté le 08/04/2015)