1224 documents spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale identifiés dans les collections de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art

L’Institut national d’histoire de l’art a parachevé son programme sur l’identification des documents spoliés conservés dans sa bibliothèque. Envisagées dès 2016, les opérations de signalement d’ouvrages spoliés pendant l’Occupation entrés dans les collections de la bibliothèque de l’INHA à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont pu être menées à bien et arrivent aujourd’hui à leur terme grâce au travail de Juliette Robain (responsable des imprimés anciens et estampes anciennes au service du patrimoine de la bibliothèque de l’INHA) et de Stefano Sereno (bibliothécaire), sous la direction de Caroline Fieschi (cheffe du service du patrimoine de la bibliothèque de l’INHA).

Les spoliations d’œuvres d’art ont été bien plus étudiées et médiatisées que les spoliations de livres pourtant également concernés, qu’il s’agisse de collections précieuses de bibliophiles ou de livres courants, de bibliothèques professionnelles ou personnelles. Une partie de ces livres ont pu être restitués ou attribués aux anciens propriétaires ou ayants droits grâce à la sous-commission des livres de la Commission de récupération artistique qui a opéré de 1945 à 1950. Les livres restants ont en partie été déposés dans des bibliothèques. Il aura fallu attendre plusieurs dizaines d’années et les travaux de Martine Poulain, alors directrice du département de la bibliothèque et de la documentation de l’INHA, pour inciter l’ensemble des bibliothèques de France à lancer un vaste chantier sur les provenances de leurs collections, et permettre l’identification des ouvrages spoliés à l’image des MNR dans les musées (les «Musées Nationaux Récupération» qui rassemblent les œuvres d’art récupérées en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale). Dès sa nomination à la direction de l’INHA, Éric de Chassey a souhaité que cet établissement ouvre un chantier sur la provenance de ses propres collections. Le travail effectué a permis d’établir que des ouvrages ayant fait l’objet de spoliation au cours de la Seconde Guerre mondiale figuraient bien dans les collections. D’abord identifiés grâce aux listes de livres attribués par les Commissions de choix de la Récupération artistique entre 1949 et 1953, d’autres documents ont fait l’objet d’une identification systématique entre juillet 2018 et septembre 2020. Ce travail a été rendu possible grâce à l’exploitation de différentes sources (Archives nationales, Archives du ministère des Affaires étrangères, registres d’entrée de la bibliothèque).

Entrés dans les collections de la bibliothèque par diverses voies, les ouvrages de deux des fonds constitutifs de la bibliothèque de l’INHA sont concernés: ceux issus de la Bibliothèque d’Art et d’archéologie (BAA) et ceux de la Bibliothèque centrale des musées nationaux (BCMN). Le livre étant par définition multiple, il a fallu s’assurer que l’exemplaire présent dans les collections était bien celui mentionné dans ces différentes listes. Pour mener à bien cette enquête de traçabilité, une méthodologie précise a été appliquée permettant de distinguer quatre grands types de provenance des documents spoliés ayant intégrés les fonds de la bibliothèque de l’INHA. Le premier est celui des Commissions de choix de la Récupération artistique (1949–1953). La BAA a reçu de nombreux ouvrages en dépôt de ces commissions (recueils d’estampes anciennes dont un de Jacques Callot et Stefano della Bella, livres anciens comme les Courses de testes et de bagues, somptueux livre de fête du xviie siècle, catalogues d’expositions, fascicules de périodiques, catalogues de ventes et de collections) dont les listes sont conservées aux Archives nationales. Celles-ci ont permis d’identifier 649 documents spoliés dans les collections de la BAA, c’est-à-dire à peu près un tiers des titres des listes d’attributions de la Commission de choix. La BCMN, dont les collections ont rejoint la bibliothèque de l’INHA en 2016, fut quant à elle attributaire par la Commission de choix de 1950 d’un ouvrage en 3 volumes (un recueil d’estampes du xviiie siècle représentant les tableaux de la galerie royale de Dresde). Le second est celui des achats à l’administration des Domaines (service chargé entre autres d’administrer et de vendre des biens mobiliers ou immobiliers de l’État). Au début des années 1950, lors de la liquidation des instances de restitution, près de 300000 livres furent remis à l’administration des Domaines, dont quelques 87000 volumes furent achetés par les bibliothèques dont la BCMN. Au total, 522 documents spoliés achetés aux Domaines par la BCMN ont été identifiés et signalés dans le catalogue de la bibliothèque dont 23 catalogues du Salon du Louvre des années 1738 à 1789 et quelques ouvrages précieux comme la Méthode pour apprendre le dessein par Charles-Antoine Jombert publié en 1755. Le troisième, relatif aux attributions du Service français de récupération en Allemagne, concerne lui aussi uniquement le fonds de la BCMN. Ce service, fondé dès 1945 et fermé en 1949, était une instance de la Commission de récupération artistique. Dans cette liste, seuls 40 titres ont pu être identifiés et retrouvés dans la bibliothèque. 

Le quatrième circuit d’entrée de documents spoliés est celui des dons de la Direction des musées nationaux (qui ne concerne également que le fonds de la BCMN). Reçus entre 1946 et 1947 et venant probablement d’un lot d’ouvrages abandonnés par les Allemands au Jeu de Paume, ils ont pu être identifiés grâce à la présence de 12 ex-libris (inscription ou vignette collée à l’intérieur d’un livre par laquelle le propriétaire marque nommément sa possession) appartenant à des personnes spoliées (d’après la liste du Mémorial de la Shoah), et sont désormais signalés dans le catalogue de la bibliothèque. Le travail de signalement opéré par l’INHA permet aujourd’hui, en interrogeant le catalogue de la bibliothèque, de connaitre tous les documents spoliés au sein des collections selon les connaissances actuelles. La liste de ces ouvrages est également disponible en cliquant ici.

Une étroite collaboration avec la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la Culture a également permis d’établir des recommandations pour que le signalement soit cohérent pour tous les catalogues de bibliothèques (comme le SUDOC, le CCFR et Calames). Ainsi, ce sont 1224 documents qui ont pu être signalés dans les collections de la bibliothèque de l’INHA. Ce travail d’identification des livres spoliés peut être considéré comme achevé, bien que de nouvelles découvertes soient toujours possibles. Les signalements déjà réalisés par certaines bibliothèques publiques (La BnF, la BULAC, la bibliothèque Mazarine…), ceux effectués par la bibliothèque de l’INHA et tous ceux à venir, permettront de donner de la visibilité à cette importante source documentaire sur la mémoire des personnes persécutées et sur la vie intellectuelle du xxe siècle. Ils contribueront aussi à mieux comprendre l’histoire des bibliothèques, de leurs collections et de l’époque où elles ont été constituées. L’INHA transmettra immédiatement les informations qu’elle détient sur ses propres collections à la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 , afin que puissent avoir lieu d’éventuelles restitutions aux ayant-droits des propriétaires spoliés.

Retrouvez l’article de Stefano Sereno sur le blog de la bibliothèque de l’INHA « Sous les coupoles ».

Retrouvez l’article de Stefano Sereno sur le site du BBF à télécharger ici.

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L’INHA mène un projet de recherche sur le Répertoire des acteurs du marché de l’art sous l’Occupation, dirigé par Inès Rotermund-Reynard, pour en savoir plus cliquez ici.