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Peindre hors du cadre : la création artistique non-conformiste au Vietnam (1945-1986)
Mis à jour le 4 novembre 2025
En coulisses
Auteur : Jade Thau
Dans les coulisses de la recherche : Jade Thau, postdoctorante à l’INHA, explore l’art non-conformiste au Vietnam (1945-1986)
Peindre au-delà du réalisme socialiste
Au Vietnam, la grande majorité des peintures réalisées entre 1945 et 1986 actuellement exposées dans les salles des musées nationaux met en exergue l’application du réalisme socialiste. Pourtant, une centaine d’œuvres peintes, notamment conservées à la National Gallery de Singapour, aux musées des Beaux-Arts de Hanoi et de Hô-Chi-Minh-Ville et dans des collections privées, témoigne d’une toute autre production dont les canons modernistes s’éloignent de la ligne politique officielle.
Dans le cadre d’un régime autoritaire, cette peinture non-conformiste interpelle : participait-elle de revendications politiques ou relevait-elle simplement de l’expression d’une individualité artistique ? Dans quelles conditions était-elle produite ? En temps de guerre, comment des peintres hors du système pouvaient-ils se procurer les matériaux nécessaires à la création artistique ? Devaient-ils se cacher pour peindre ? Que devenaient ces œuvres ? Restaient-elles cachées ou intégraient-elles des réseaux de vente parallèles au système étatique ? L’indifférence des chercheurs pour cette peinture « non officielle » laisse autant de questions en suspens.
Le 2 septembre 1945, Hồ Chí Minh proclame l’indépendance du Vietnam place Ba Đình. Dès lors, la culture et les arts font partie de la transformation révolutionnaire. La République démocratique du Vietnam (RDVN), reconnue par la Chine et l’URSS en 1950, adopte la doctrine du réalisme socialiste comme en témoignent les textes programmatiques du nouveau régime : le Parti contrôle la création artistique, et l’art, produit par le peuple et pour le peuple, doit contribuer à édifier l’homme nouveau.
Un projet de recherche pour combler les zones d’ombre
Les recherches menées au laboratoire InVisu dans le cadre du contrat postdoctoral d’excellence alloué par l’INHA visaient donc à répondre, au moins en partie, à ces interrogations. Pour cela, un séjour au Vietnam de quatre mois a été envisagé dès le début du contrat afin de collecter les données nécessaires à la réalisation de ce projet.
Sur place, la consultation des archives de l’Institut national des beaux-arts étant inopinément impossible, les entretiens avec des peintres ou leur famille ainsi qu’avec des collectionneurs privés ont été privilégiés. À partir des œuvres exposées dans les musées nationaux, vingt-sept peintres dont le style s’éloigne le plus de la ligne politique officielle ont été sélectionnés. Grâce à un réseau constitué de longue date, plusieurs séances de travail ont été réalisées avec sept peintres ou leur famille ainsi qu’avec huit collectionneurs privés ou marchand d’art.
En août 2024, l’Institut national des beaux-arts du Vietnam a été dissout et le bâtiment dans lequel se trouvaient les archives, détruit. À mon arrivée en octobre 2024, les archives étaient en cours de transfert vers la bibliothèque de l’Université nationale des beaux-arts.
Découvertes et nouvelles perspectives
Le contretemps relatif à la consultation des archives en début de séjour a, en définitive, mené à la découverte fortuite d’une abondante quantité d’œuvres et de documents encore conservée chez des particuliers. Bien que ce projet n’en soit finalement qu’à ses débuts, cette année de recherche a permis de mettre en évidence certains mécanismes de la création artistique en régime autoritaire en temps de guerre.
D’abord, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, la centaine d’œuvres non-conformistes exposées dans les musées ne représente pas une partie infime de la création artistique de cette période. Ce genre, bien qu’interdit, semble au contraire assez répandu. Ainsi, les artistes d’État n’ayant réalisé que des œuvres officielles, tout comme les dissidents, sont finalement plutôt rares : les plus nombreux, à l’intersection de ces deux catégories, sont les artistes d’État ayant eu une production privée non-conformiste.
Comprendre la création en régime autoritaire
Ce projet de recherche vise donc à aborder différents aspects de la création artistique en régime autoritaire : appréhender les mécanismes de la censure et de l’auto-censure, mesurer l’importance des réseaux et des communautés d’artistes dans les circulations matérielles et idéologiques et définir les processus de réappropriation des enseignements de l’École coloniale par des artistes ayant combattus pour l’indépendance de leur pays.
Enfin, tandis que certaines œuvres n’ont pas quitté leur lieu de création, d’autres ont été achetées par des collectionneurs étrangers et ont circulé depuis le Vietnam vers l’Europe et les États-Unis. Aujourd’hui rachetées par la nouvelle élite économique vietnamienne, elles intègrent désormais les collections privées du pays. Le rôle de ces collectionneurs dans la création et la préservation de ces œuvres reste encore à étudier.
Valoriser un patrimoine encore méconnu
Afin de rendre accessible et de valoriser ce patrimoine encore peu connu, ces œuvres, ainsi qu’une biographie de ces artistes seront ajoutées à la base de données en ligne en cours de constitution au laboratoire InVisu.
Jade Thau en mission de recherche au Vietnam
Jade Thau revient sur ses quatre mois de recherche au Vietnam.
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