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Paris est une fête...
À l’heure où l’on devient de plus en plus méfiant face à l’image et que Photoshop et autres logiciels de retouches semblent avoir fait perdre à l’image son statut de garant de l’authenticité de la représentation, la mise en ligne de nouvelles gravures de fête sur la bibliothèque numérique nous rappelle que la pratique de la manipulation visuelle n’est pas nouvelle.
Utilisée dès le début de l’imprimerie, la gravure de fête a pour but de dépeindre les célébrations, solennités et réjouissances publiques : naissances, baptêmes, noces, entrées, couronnements, funérailles, commémorations, événements d’ordre politique ou militaire… Son usage se développe dans toute l’Europe du XVIe au XIXe siècle, accompagnant l’essor des manifestations organisées par les rois, les cours, les villes, les communautés, pour lesquelles on souhaite garder une trace.
Peut-on pour autant considérer les gravures de fête comme des témoignages historiques ?
Tout d’abord le graveur se trouve face à la question de rendre compte, de la façon la plus juste en une seule image, d’une cérémonie se déroulant en plusieurs heures voire plusieurs jours. Il peut opter pour une représentation du temps fort du spectacle, il va alors s’agir inévitablement d’une vue subjective et partielle.
À l’inverse, pour donner à voir l’ensemble de la manifestation, il peut aussi décider de représenter, sur une même gravure, plusieurs temps de la fête. Mais, en les présentant comme simultanés, il trahit le déroulé des événements. Ainsi, en confrontant les récits qui relatent le carrousel de 1612, organisé à Paris du 5 au 7 avril 1612 pour célébrer l’annonce du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche et de celui de Madame Élisabeth et de Philippe, infant d’Espagne, et la représentation qu’en livre Claude Chastillon, il apparaît que, si le graveur a choisi de montrer avec beaucoup de précision l’architecture de la place Royale (actuelle place des Vosges, inaugurée également à cette même occasion), il n’a pas hésité à distordre la vérité en faisant figurer conjointement diverses animations (entrées, ballet équestre, présentation des chars) qui se sont déroulées consécutivement sur plusieurs jours. « Astuce » de graveur pour donner à voir l’intégralité de la cérémonie, cette technique n’en donne pas moins une vision erronée.
L’aspect de « preuve historique » de la gravure de fête est aussi mis à mal si on compare l’estampe faite pour le couronnement de Charles VII le 12 février 1742 à celle éditée pour le mariage de Louis XVI et Marie-Antoinette en 1770. Bien qu’une trentaine d’années séparent les 2 événements, la gravure utilisée pour les célébrer est identique. La légende en a été, bien entendu, modifiée, et les attributs impériaux présents sur l’arc de l’estampe de 1742 ont été effacés. Les deux planches portent la mention « Chez Basset rue St Jacques ». En effet, il n’était pas rare que les marchands d’estampes possèdent un stock et réemploient certaines gravures lorsque l’occasion se présentait, sans souci de cohérence ni d’exactitude.
Mais l’existence d’une telle pratique ne doit pas pour autant mettre en doute la véracité de la représentation de toutes les gravures de fête. Par exemple, l’authenticité de la première estampe, celle du couronnement de Charles VII, semble démontrée par l’existence d’une autre gravure, « dessiné sur le lieu par Dumouy » (comme spécifié au bas à gauche) qui confirme la présence de l’arc, des corps de bâtiment, des lampions et des carrosses.
Vue des illuminations de l’Hôtel de Bell-Isle à Francfort sur le Mein, [Vers 1742] – Illumination en réjouissance du mariage de Louis Auguste Dauphin de France avec l’Archiduchesse Marie-Antoinette soeur de l’Empereur [Vers 1770], Burin colorié, bibliothèque de l’INHA, OC 63 et OC 62. Clichés INHA
Enfin, il convient de garder à l’esprit que toutes les gravures de fête n’étaient pas produites avec une même finalité. Comme pour les livres de fête, leur vocation pouvait être d’annoncer un événement, d’en accompagner le déroulement ou d’immortaliser le moment. Parfois réalisées en amont ou plusieurs mois voire plusieurs années après l’événement, elles peuvent comporter méprises, erreurs et omissions… plus ou moins involontaires car il pouvait également être opportun de s’attirer les faveurs de l’organisateur en vue d’éventuelles futures commandes. La gravure de fête n’était pas un outil pour reconstituer le réel, elle racontait, illustrait un événement. Par essence même, elle reste ancrée dans la société du spectacle, de l’illusion et de la séduction.
En savoir plus
Les estampes en feuilles (cotes OC) se consultent sur rendez-vous.
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire