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Les albums de Jean-Baptiste Plantar (1790-1879)
Au cœur d'un atelier de sculpteur-ornemaniste au début du XIXe siècle
Dernier sculpteur des Bâtiments du roi, Jean-Baptiste Louis Plantar (1790-1879) personnalise l’entrée de la sculpture d’ornement dans le XIXe siècle, dans une modernité industrielle cohabitant avec des pratiques artisanales. La bibliothèque de l’INHA conserve de cet artiste un fonds d’une grande richesse, bien représentatif de ce qui a pu nous parvenir comme un fonds d’atelier.
Ces presque 600 dessins sont disséminés dans 4 albums auxquels s’ajoutent des feuilles volantes et des calques. La majorité de ce fonds est aujourd’hui numérisée et consultable en ligne sur la bibliothèque numérique de l’INHA. Constitué de feuilles aux techniques diverses (graphite, aquarelle, encre, lithographie), ce fonds appartenait à l’origine à un ensemble plus vaste dont une autre partie se trouve au Getty Research Institute de Los Angeles. Le tout fut vendu entre la fin des années 1980 et le début des années 2000 par les descendants de l’artiste et acquis en majorité par des institutions culturelles. Les albums conservés à la bibliothèque de l’INHA ont été acquis le 10 décembre 2003 lors d’une vente aux enchères organisée par la maison Piasa (lots n° 95, 100, 101).
Un fonds d'atelier
Ces dessins relèvent d’un type de fonds bien particulier, celui d’un sculpteur-ornemaniste à la tête d’un atelier florissant. En effet, il s’agit d’un ensemble résultant d’une pratique en partie collective et non de celle d’un seul artiste, une infime minorité des dessins étant signés par Plantar (23 sur les 485 actuellement numérisés) et différentes mains se laissant deviner d’une feuille à l’autre. On observe d’ailleurs des chevauchements avec d’autres fonds d’ornemanistes, conservés notamment au musée des Arts décoratifs, comme celui d’un des élèves de Plantar, Michel Liénard (1810-1870), qui fut un temps son bras droit. Le fonds de l’INHA rassemble des croquis et des dessins préparatoires pour des projets réalisés par l’atelier de Plantar, situé dans l’ancien passage Sainte-Marie, aujourd’hui passage de la Visitation (7e arrondissement). Il compte également des études d’ornements, de gravures, de détails de bâtiments existants, accumulés comme un véritable recueil de notes iconographiques, avant l’arrivée de la photographie. Peu de dessins sont datés ; ceux qui le sont s’échelonnent entre 1826 et 1855, la majorité dans les années 1840, coïncidant avec le sommet de la carrière de Plantar, qui semble cesser son activité dans les années 1850.
Il est difficile de déterminer exactement comment le fonds de l’INHA a été constitué : s’agit-il du reflet exact d’un recueil d’atelier ? Les dessins ont-ils été collés dans les carnets par Plantar ou postérieurement à leur utilisation ? Le statut de ces cahiers pourrait sembler éclairci par les annotations qu’ils portent sur la page de garde, qui indiquent clairement le nom de Plantar. Cependant, l’ordre dans lequel sont collés les dessins rend les choses plus ambiguës : des travaux sur un même projet peuvent être disséminés dans deux cahiers, différents types d’objets, différents commanditaires se retrouvent dans plusieurs endroits du fonds, selon une logique étrangère à celle de la documentation de travaux en cours, certains collages paraissent même suivre un but plus esthétique que pratique.
Monuments officiels et demeures royales
Jean-Baptiste Plantar est un élève de Jean-François Mouret (1777-1820). Il reprend l’atelier à la mort de son maître, des suites d’une chute sur le chantier du Louvre. En tant que sculpteur des Bâtiments du roi, Plantar se voit attribuer une place centrale dans la vague de restauration des grandes demeures royales, dans les années 1830. Le fonds de l’INHA compte de nombreux dessins qui ont trait à ces travaux, comme ceux qu’il mène sous la direction de Pierre Fontaine au Palais-Royal, ou bien ceux du Versailles (Ms 676, vues 6 et 9-12) et des Tuileries de Louis-Philippe (Ms 676, vues 74-75). Ces feuilles accompagnent clairement des travaux en cours : elles portent des repentirs, proposent plusieurs versions, sont parfois annotées d’indications de prix ou de matériaux griffonnées en marge des dessins. Elles peuvent aussi nous offrir le témoignage d’un état révolu de ces bâtiments, comme cette vue de la chapelle Saint-Hubert, à Amboise, probablement exécutée lors des travaux des années 1830 auxquels l’atelier de Plantar participe.
D’autres dessins évoquent des réalisations dans les domaines religieux ou funéraire, qui ont fait la renommée de Plantar. Cependant, contrairement aux grands monuments funéraires auxquels son nom reste attaché jusqu’à aujourd’hui, souvent d’inspiration néo-classique (cimetières du Montparnasse, du Père-Lachaise), il s’agit ici de propositions plus modestes, souvent de style Renaissance ou gothique (Ms 675, vues 62-64). On trouve également les clés de voûte médiévalisantes de la chapelle Saint-Ferdinand, construite en 1843 en mémoire de la mort accidentelle du fils de Louis-Philippe (fig. 3). De même, les ornements d’église, les pupitres, les bénitiers, les crucifix ponctuent le fonds, indiquant sans aucun doute une production régulière à destination de la sphère religieuse, publique ou privée.
Des modèles pour les arts industriels
Outre ces activités de sculpteur officiel, Plantar cultive de nombreux contacts avec la société de ce qu’on nomme alors les « arts industriels », rassemblant des chefs d’atelier ou de fabrique, des artisans, des ornemanistes, des architectes. Le fonds nous laisse ainsi voir la trace de certaines de ses collaborations avec de grands noms des arts décoratifs du moment comme le bronzier Thomire (Ms 676, vue 95) ou le fondeur Ducel (Ms 676, vues 97-98). Plantar joue également un rôle dans un domaine innovant, qui va grandir et marquer le siècle : la fonte industrielle. Il donne des modèles à des fonderies qui vont fleurir jusque bien en avant dans le siècle, comme le Val d’Osne ou Calla, ou bien Ducel ou Legendre dont les noms figurent dans le fonds. Celui-ci est ponctué par les dessins liés à ce pan de l’activité du sculpteur-ornemaniste : porte-pelle et pince, fontaines, panneaux de portes, heurtoirs, mais aussi des copies de pièces de ferronnerie historiques (Ms 676, vues 107-112), sans doute utilisées pour en étudier les ornements. Nombre de ces études ont été réalisées et peuplent encore aujourd’hui les portes et les balustrades des rues de Paris (fig. 1). On retrouve cet intérêt dans une série de dessins pour un type de meuble bien particulier : le lit en fonte, fort en vogue au milieu du XIXe siècle, qui permet par sa facilité d’exécution d’obtenir une apparence luxueuse pour un prix raisonnable. Plusieurs modèles pour de tels lits ponctuent les albums du fonds, dans divers styles (fig. 4 et Ms 677, vues 36-39 et 41-43).
Des réalisations évoquées par ces dessins filtre déjà la richesse stylistique qui caractérise le XIXe siècle. L’activité de Plantar dans les bâtiments royaux lui a apporté la connaissance des styles historiques. D’après les études qui parsèment le fonds, il parfait cette culture visuelle par la copie, comme le montrent les détails ou les vues entières de monuments, afin de mieux connaître les ornements historiques et leur composition précise (château d’Anet, Notre-Dame de Paris, église Saint-Germain-l’Auxerrois, façade d’une maison d’Amboise). C’est également une copie qui nous laisse voir les liens de Plantar avec d’autres tenants du monde de la sculpture : le dessin du second prix de sculpture de David d’Angers en 1810 (Ms 675, vue 59). Les activités de Plantar dans le domaine de l’orfèvrerie, très mal connues, sont aussi présentes dans le fonds, par des études de coupes, de bougeoirs ou de pendulettes.
Certaines des activités de Plantar semblent cependant absentes du fonds : aucun dessin ne fait par exemple allusion au Cours d’ornement qu’il publie en 1845-1846. En outre, beaucoup de dessins gardent encore tout leur mystère, comme ces copies d’un décor à l’antique soigneusement mises en couleur (Ms 675, vue 13), qui peuvent faire penser à la future maison pompéienne du prince Napoléon par Alfred Normand, ou bien cette étonnante série de copies de gravures de style égyptien (Ms 677, vues 5-10) qui précède une série de vases ou de coupes d’orfèvrerie, copiés d’après l’objet ou d’après gravure – ces éléments reviennent d’ailleurs dans plusieurs fonds d’ornemanistes, ce qui tend à montrer une pratique commune et un retour vers des modèles identiques.
Le fonds Plantar de l’INHA soulève un pan du voile qui couvre des pratiques encore méconnues, celles des sculpteurs-ornemanistes du premier XIXe siècle. Il est indéniable que Plantar, dont la carrière est encore floue, constitue l’une des premières figures des ces artistes qui participeront pleinement à l’image du XIXe siècle, par leurs recherches stylistiques, leur connaissance des savoir-faire artisanaux, mais aussi par leur appétence pour les nouveautés techniques.
Sophie Derrot, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
Pour aller plus loin
Les albums de dessins de Jean-Baptiste Plantar sont, pour quatre d’entre eux, numérisés et disponibles en ligne sur la bibliothèque numérique de l’INHA. La consultation des originaux, sur demande motivée, se fait lors des rendez-vous patrimoine.
Référence bibliographique
- Barbier, Muriel, « Le sculpteur Jean-Baptiste-Louis Plantar et les trois plus grandes cheminées du château de Fontainebleau », Revue des Musées de France – Revue du Louvre, décembre 2006, n° 5, p. 60-67