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La circulation des œuvres et son histoire
Le marché de l'art dans les collections de la bibliothèque de l'INHA
En septembre 2019, un atelier organisé conjointement par la Bibliothèque nationale de France, l’École nationale des chartes et l’Institut national d’histoire de l’art a permis de mettre en lumière les collections et programmes de recherches portant sur le marché de l’art et le collectionnisme, tels que le programme de numérisation des catalogues de vente partagé entre la BnF et l’INHA ou encore le Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation (RAMA). Les sources présentes dans les collections de la bibliothèque de l’INHA et dans celles des Archives de la critique d’art à Rennes, ainsi que leur apport potentiel à la recherche, ont également été présentées.
Une présence ancienne
Le marché de l’art, la circulation des œuvres et la constitution de collections, publiques comme privées, sont des sujets présents dès les origines de la bibliothèque. Ils sont même présents antérieurement dans les collections de Jacques Doucet, qui avant de créer la Bibliothèque d’art et d’archéologie (B.A.A.), était déjà collectionneur. Encore cité en 1930 dans le Bulletin de la Société des amis de la bibliothèque d’art et d’archéologie, un des achats les plus remarquables en ce domaine a lieu dès 1897, lors de la vente de la collection du baron Pichon. Il s’agit d’un ensemble exceptionnel de catalogues de vente d’objets d’art, dont les fameux catalogues Lebrun. Une fois la B.A.A. créée, les premières acquisitions de manuscrits et d’autographes documentent également la circulation des objets d’art, de même que les séries de copies de documents d’archives entreprises à la même époque : inventaires après décès, comptes, commandes, catalogues de collections privées et publiques. La très grande variété des producteurs de ces documents permet de multiplier les approches dans la connaissance de la circulation des oeuvres d’art du XVIIIe siècle à la période la plus contemporaine. En effet, au fil des années, des collections, comme celle des catalogues de vente, n’ont cessé de croître et de nouveaux fonds d’archives ou ensembles de papiers d’entrer. En 2016, l’arrivée des collections de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, qui abonde également en catalogues de vente, manuscrits et correspondances, constitue un apport d’une très grande richesse.
La complémentarité des sources
Comme dans de nombreuses bibliothèques, le principe de respect des fonds n’a été appliqué que récemment – ce principe est l’un des plus importants dans le traitement des fonds d’archives et consiste à en respecter l’intégrité. Pendant de longues décennies, les documents ont été répartis par support et selon des cadres de classement thématiques : on trouve ainsi dans la collection d’autographes, des correspondances, des mémoires, des listes, etc. regroupées en dossier par nom d’artistes, parfois de collectionneurs, ou encore dans la photothèque des tirages classés par nom d’artiste ou technique de création, vestiges des séries de photographies d’œuvres qu’avaient assemblées collectionneurs, historiens et critiques d’art à partir de la fin du XIXe siècle. Il importe donc, lorsque l’on entreprend des recherches sur le marché de l’art, la circulation d’une œuvre ou d’un ensemble d’œuvres, de ne pas limiter ses recherches au fonds d’archives qui semble le plus évident, mais de bien prendre en compte la complémentarité des sources présentes dans les archives, manuscrits, autographes, « cartons verts », photographies, catalogues imprimés (parfois annotés), etc.
Les sources utiles à l’histoire du marché de l’art et de la circulation des œuvres suivent en effet une typologie très diverse, allant de la correspondance aux registres comptables, et certains ensembles offrent à la recherche une particulière richesse en ce domaine. La bibliothèque de l’INHA conserve une importante quantité d’échanges écrits en lien avec le commerce des œuvres d’art, que ce soit entre les collectionneurs et les artistes – comme les lettres d’Eugène Delacroix à Daniel Wilson, premier propriétaire de la Mort de Sardanapale (Autographes 213,34) – , les galeristes et les artistes – ainsi les lettres et documents adressés au galeriste new-yorkais Julien Levy par Man Ray et Marcel Duchamp au milieu des années 1930 (Autographes 213,35 et 36) – , les clients et les marchands, etc. Autant de missives qui permettent de retracer les parcours des œuvres, les relations entre les acteurs du marché, les tractations, les contextes de création et de vente.
En outre, des traces très factuelles de ces échanges commerciaux nous restent en particulier quand ceux-ci ont eu lieu par l’intermédiaire de marchands ou de galeries, dans des registres, des fichiers ou bien des documents comptables. Ce type d’archives se trouve dans plusieurs fonds de galeries, comme ceux des galeries Fabius (Archives 131), de la galerie-librairie Sagot-Le Garrec (Archives 86), de la galerie Pierre (Archives 140) ou de la galerie Cailleux (Archives 93). Les registres peuvent tout aussi bien lister les œuvres prêtées, vendues, achetées, suivies (comme pour les « grands carnets » des galeries Fabius) que les finances plus générales de l’établissement ou les minutes de correspondance. Quant aux fichiers, il s’y trouve également les transporteurs comme les clients, les œuvres d’art ou les transactions. Ces documents permettent de reconstituer avec une certaine précision les transactions et les périmètres relationnels, mais dépendent de la manière dont ils ont été remplis (codes, références croisées).
Un autre type de dossier d’archives présente une mine de renseignements, à la fois sur le fonctionnement du marché de l’art et sur le suivi d’œuvres : les dossiers de vente publique, rassemblant des documents sur les vendeurs, acheteurs, intéressés, de la correspondance, mais également sur l’organisation de la vente (location de la salle, publicité, etc.). La majorité des sources concernant les commissaires-priseurs se trouve aux Archives de Paris, mais la bibliothèque de l’INHA conserve le fonds des commissaires-priseurs Alphonse Bellier, Raoul Oury et Guy Loudmer, qui compte un dossier pour presque toutes les ventes de ces personnalités très actives du marché de l’art français entre le début des années 1920 et la fin des années 1990 (Archives 162). Évidemment très en lien avec les ventes publiques, les catalogues de vente et ceux d’exposition, dont la bibliothèque conserve un grand nombre dans ses collections courantes et dans sa collection de cartons d’invitation, voient leur valeur informationnelle encore augmentée par la présence d’annotations : ceux du fonds Loudmer le sont souvent par le commissaire-priseur lui-même, mais il faut également mentionner ceux des experts et chercheurs qui s’intéressent à un artiste en particulier, comme César de Hauke et Félix Fénéon pour Georges Seurat, ou Paul-André Lemoisne pour Edgar Degas. Ces experts rassemblent toute une documentation précieuse, à une époque où les bases en ligne n’existent pas.
Catalogue annoté, Seurat and his contempories, exposition chez Wildenstein, Londres, 20 janvier-27 février 1937. Paris, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Archives 36/2/1. Cliché INHA.
La documentation ainsi rassemblée peut également prendre la forme de séries d’images, le plus souvent de photographies. Réparties pour beaucoup au sein de la Photothèque, créée dès 1908, ces photographies ont été le plus souvent légendées dans les années 1930, les mentions de localisation documentant ainsi la présence d’œuvres dans des collections privées aujourd’hui dispersées.
Des collections en expansion
Nombreuses sont les recherches ayant trait au marché de l’art et trouvant dans ces sources des pistes précieuses. Menée par des maisons de vente, des chercheurs indépendants, des propriétaires, des historiens de l’art ou des institutions de conservation, la recherche de provenance en est aujourd’hui un des exemples les plus évidents, en enquêtant sur les parcours des œuvres et les acteurs qui croisent le chemin de ces dernières. La bibliothèque de l’INHA apporte son aide à ces recherches dans toute la mesure du possible et de ses collections, même si des délais de communication peuvent parfois appeler à la patience des chercheurs, à l’instar de ce qui existe dans d’autres institutions.
La politique d’acquisition récemment retravaillée réaffirme l’importance donnée au marché de l’art dans les collections de la bibliothèque, qu’il s’agisse de poursuivre régulièrement la collecte de documents sur les ventes d’œuvres ou la vie des galeries ou encore d’acquérir des ensembles plus conséquents, permettant de couvrir tout un pan de l’activité du marché. En 1929, André Joubin, alors directeur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, décrivait ainsi la collection de catalogues de vente : « Réunion unique de documents, qui permettent de suivre la trace des œuvres d’art dans leurs déplacements incessants à travers le monde ». On peut désormais étendre ce commentaire à l’ensemble des supports présents dans les collections de la bibliothèque, qui se prêtent à des questionnements toujours renouvelés.
Caroline Fieschi et Sophie Derrot, Service du Patrimoine