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Inferno (partie 2)
Prêts de l'INHA à Rome
Inferno (partie 2)Prêts de l’INHA à Rome
La bibliothèque de l’INHA participe à l’exposition Inferno aux Scuderie del Quirinale par le prêt de neuf œuvres du peintre et graveur Odilon Redon : le recueil Les Fleurs du mal de Baudelaire (1891) ainsi que huit planches sur les vingt-quatre qui constituent La Tentation de saint Antoine, 3e série (1896) :
Planche VI : Dans l’ombre des gens pleurent et prient entourés d’autres qui les exhortent
Planche IX : Je me suis enfoncé dans la solitude. J’habitais l’arbre derrière moi
Planche XIII : Et que des yeux sans tête flottaient comme des mollusques
Planche XIV : Oannès ; Moi, la première conscience du Chaos, j’ai surgi de l’abîme pour durcir la matière, pour régler les formes
Planche XVI : Je suis toujours la grande Isi ! Nul encore n’a soulevé mon voile ! Mon fruit est le soleil !
Planche XVIII : Le Diable et saint Antoine [Antoine : Quel est le but de tout cela ? Le Diable : Il n’y a pas de but !]
Planche XX : La Mort et la Luxure [La Mort : C’est moi qui te rends sérieuse, enlaçons-nous !]
Planche XXII : Les bêtes de la mer, rondes comme des outres
L’œuvre de Redon à l’INHA
La bibliothèque de l’INHA conserve un ensemble important de l’œuvre d’Odilon Redon, constitué de cinquante estampes en feuilles isolées et de dix albums.
Odilon Redon, « Béatrice », lithographie en couleur, 33,2 x 29 cm, 1897, épreuve d’artiste, signée. Paris, bibliothèque de l’INHA, EM REDON 28. Cliché INHA
Liste des albums :
- Fol Est 55 : Apocalypse de saint Jean (12 planches)
- Fol Est 222 : Dans le rêve (10 planches)
- Fol Est 223 : La Maison hantée (6 planches)
- Fol Est 224 : La Nuit (6 planches)
- Fol Est 225 : Hommage à Goya (6 planches)
- Fol Est 226 : Songes (6 planches)
- Fol Est 227 : À Edgar Poe (6 planches)
- Fol Est 228 : Le Juré (7 planches)
- Fol Est 261 : Tentation de saint Antoine (3e série) (24 planches)
- Fol Est 263 : À Gustave Flaubert (6 planches)
Odilon Redon, « A Gustave Flaubert : six dessins pour la Tentation de saint Antoine », Paris, Dumont, 1889, 2e série, lithographie en noir, page de titre. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol EST 263.
C’est grâce à André Mellerio , grand spécialiste, biographe et collectionneur de Redon, codirecteur de la revue L’Estampe et l’affiche avec Noël Clément Janin, lui-même conservateur du cabinet d’estampes de Doucet de 1911 à 1914, que l’œuvre de Redon est entré à la Bibliothèque d’art et d’archéologie. En effet, Redon n’a pas fait partie des premiers achats de Doucet dès les années 1906-1911, comme Goya, Toulouse-Lautrec, Degas ou d’autres encore. Il est intéressant de relire à ce sujet les articles établis par Clément-Janin sur la situation du cabinet d’estampes au 31 décembre 1911.
Doucet était-il moins sensible au côté sombre et ésotérique des symbolistes ? Il faut dire aussi que les lithographies de Redon étaient très rares sur le marché à cette époque. Chez le grand marchand d’estampes Gustave Pellet, qui a déjà fourni à Doucet une grande partie de ses collections de Degas et de Gauguin, seules deux estampes de Redon sont alors disponibles. Clément-Janin fait donc appel à André Mellerio, son ancien collaborateur à L’Estampe et l’affiche, l’un des plus grands collectionneurs et connaisseurs de l’œuvre de Redon. Malheureusement, dans un premier temps, Odilon Redon refuse de vendre sa propre collection, voulant la léguer à sa femme et à son fils. Mellerio propose alors de vendre la sienne mais Clément-Janin refuse et s’efforce d’obtenir la vente du fonds d’atelier de Redon. Grâce à l’appui de Mellerio et à l’esprit philanthropique de la bibliothèque de Jacques Doucet, l’artiste se laisse convaincre. Quelques planches seront achetées plus tard chez Philipon ou Le Garrec jusqu’en 1914, mais la grande partie de la collection de Doucet – plus de 150 estampes – provient donc directement du fonds d’atelier d’Odilon Redon. En novembre 1912, Mellerio fait parvenir à Clément-Janin une liste des estampes présentes chez Redon, au 129 avenue de Wagram et le conseille précisément dans ses choix.
Anonyme, Portrait d’Odilon Redon, tirage photographique sur papier, 1913. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 PHOT 025 (6).
La Tentation de saint Antoine
« Redon prend sinon comme cause substantielle, au moins comme excitant initial les productions d’artistes en des domaines différents, littéraire ou musical » (Mellerio). Dans sa Tentation de saint Antoine de Flaubert, comme dans tous les albums de Redon, il est à noter une « interprétation libre dans le domaine plastique des mots de Flaubert : moins l’expression d’une exacte conformité recherchée avec la pensée littéraire que les idées et les émotions très personnelles, jaillies au contact de tempéraments extériorisés dans un autre art. En somme, non la servilité, ni même un accommodement large, mais bien un parallélisme corrélatif » (Mellerio).
C’est Émile Hennequin qui donna à lire le roman de Flaubert à Redon, qui fut immédiatement enthousiaste. Ce qui n’est pas étonnant, étant donné la convergence des mondes décrits par Flaubert et ceux imaginés par Redon dans ses albums précédents. La Tentation de saint Antoine est devenue pour Redon « une mine qu’il se plaît à creuser, où il revient sans cesse, comme si loin de l’épuiser, il la retrouve à chaque fois plus richement féconde » (Mellerio).
Redon produira trois séries de la Tentation de saint Antoine : la 1re série en 1888 , la 2e série en 1889 et la 3e en 1896, cette dernière est celle prêtée en partie à Rome.
Flaubert ne souhaitait pas que son œuvre fût illustrée, refusant « formellement toute espèce d’illustrations » (Correspondance, t. 9, 1965, p. 384). De même que Redon était très réservé sur l’utilisation du terme d’illustration appliqué à ses œuvres. Comme le souligne Mellerio, Redon ne s’efface pas derrière le texte, qui lui donne au contraire la possibilité de faire largement appel à ses sujets de prédilection.
Redon avait entrepris la lecture de Dante durant l’été 1875. « Il ne me quitte plus. Nous allons vers une amitié sérieuse », note-t-il dans À soi-même.
Les 24 planches de cette 3e série constituent la suite la plus importante en nombre de l’œuvre lithographié de Redon, puisque les autres albums comportent en moyenne seulement six estampes. Vu le nombre important de planches de cet album, deux imprimeurs s’en sont partagés l’impression : Auguste Clotet Blanchard. Dans son « livre de raison », conservé à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet sous la cote Ms 42820, Redon donne la liste exacte des planches tirées respectivement par l’un et par l’autre (19 par Clot, 4 par Blanchard, la planche XVIII étant le fruit d’une exécution commune puisque la mise sur pierre a été faite chez Clot et le tirage chez Blanchard). C’est Redon lui-même qui en a assuré l’édition, grâce à une souscription. Les albums étaient vendus 100 francs. Ils seront vendus à 140 francs après la souscription. Par une lettre du 18 mai 1895, Redon avait demandé le soutien du directeur des Beaux-arts pour sa publication, alors que son deuxième album de la Tentation avait été rejeté. Cette fois, l’administration honore sa demande en achetant cinq albums pour 500 francs. Cet achat témoigne de la reconnaissance officielle tardive du talent de Redon.
Odilon Redon, Tentation de saint Antoine, 3e série, 1896, lithographies sur chine appliqué. Planches prêtées à l’exposition Inferno à Rome : pl. VI, IX, XIII, XIV, XVI, XVIII, XX, XXII. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol EST 261.
Plus tard, en 1909, Ambroise Vollard réimprime la suite en vue d’une seconde édition. Dans son « livre de raison », Redon note : « Cette impression seconde de la Tentation est mauvaise ». Elle ne paraît finalement qu’en 1938 avec le texte de Flaubert, 22 lithographies et 15 bois de Georges Aubert d’après Redon (cf. exposition des défets Vollard au Petit Palais).
On note des allers et retours fréquents entre l’œuvre dessiné ou peint et les lithographies. Un dessin ou une peinture précède souvent la version lithographiée (ex. dessin préparatoire pour la pl. XVII – Chute de Phaéton). Pour Oannès (pl. XIV), Redon précise dans son « livre de raison » que la peinture sur carton portant ce titre (W 1206) est une réplique changeante de la lithographie. Le Buddha a lui aussi son pendant pictural (W 1205).
Odilon Redon, Oannès, huile sur toile, 65,1 x 54,1 cm, 1905. Musée d’art de la Haye.
Le grand nombre de planches de l’album de la troisième Tentation permet d’appréhender la variété des formats et la diversité des techniques lithographiques employées (manière noire, dégradés de gris ou encore dessin lithographique privilégiant le blanc du papier).
Certaines planches de cet album ont été exposées individuellement, comme la Grande Isis, exposée au Salon des Cent dans les galeries de la revue la Plume, rue Bonaparte, en avril 1896, ou Oannès en mars 1903 chez Durand Ruel.
Les Fleurs du mal
La deuxième œuvre prêtée à Rome est l’édition des Fleurs du mal parue à Bruxelles en 1891 . La planche exposée est la huitième : Gloire à toi, Satan, dans les hauteurs du ciel où tu règnes, et dans les profondeurs de l’enfer où vaincu, tu rêves en silence (Mellerio no 205).
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, interprétations par Odilon Redon, Bruxelles, E. Deman, 1891. Paris, bibliothèque de l’INHA, 8 EST 42.
Odilon Redon, « Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs du ciel où tu régnas, et dans les profondeurs de l’enfer, où tu vaincu, tu rêves en silence », dans Les Fleurs du Mal, pl. VIII.
Les images de cet ouvrage ont été produites par le procédé d’Évely, sorte de photogravure réalisée à partir d’un dessin original.
À partir des années 1880, Redon était connu des milieux symbolistes belges, parmi lesquels Edmond Deman bibliophile et éditeur de volumes illustrés de poésies de Mallarmé ou Verlaine et de l’album de Redon de la Tentation de saint Antoine, première série. En 1889, il semble que c’est Redon lui même qui suggère à l’éditeur l’idée d’un album des Fleurs du mal en lui vendant un ensemble de neuf petits dessins qu’il appela « interprétations » plutôt que « illustrations », terme qu’il trouvait inapproprié.
Ces dessins constituent un ensemble quelque peu disparate en ce qui concerne les sujets, styles, techniques, dimensions et même la chronologie puisque quelques-uns datent des années 1870. Cette série de dessins a été exposée pour la première fois au Salon des XX en février 1890 puis reproduite pour l’édition par le procédé de Léon Évely (imprimeur de renom en Belgique à la fin du XIXe siècle travaillant au perfectionnement des techniques d’héliogravure) : les planches étaient gravées photomécaniquement puis retouchées à la pointe sèche, à l’aquatinte ou à la roulette. Ces dessins seront réédités quelques années plus tard par Henri Floury (Paris, 1923).
Mellerio dit qu’Armand Clavaud, botaniste et ami de Redon, lui « fit lire Edgar Poe et Baudelaire, Les Fleurs du Mal, à l’heure même de leur émission ». On ne sait pas exactement quand et dans quelle traduction Baudelaire a lu Dante ; ces questions ont été débattues dans les années 1950. À partir de 1857, Barbey d’Aurevilly prend la défense de Baudelaire en replaçant les Fleurs du mal dans leur époque et en le comparant à Dante : « Il y a quelque chose de Dante dans l’auteur des Fleurs du mal mais c’est un Dante d’une époque décadente, un Dante athéiste et moderne, un Dante vivant après Voltaire », un Dante sans le support de la foi : la modernité de Baudelaire n’est pas seulement contemporaine du déclin des vieilles structures du christianisme, elle en est l’héritage.
Cet ensemble d’estampes de Redon exposées aux Scuderie del Quirinale trouve toute sa dimension symbolique grâce à la mise en scène proposée et leur confrontation avec d’autres œuvres d’art sur la thématique de l’Enfer.
Vue de l’exposition avec les estampes de Redon © 2021 Scuderie del Quirinale – Ales, Inferno di Jean Clair (exhibition view) Photo: Alberto Novelli; Allestimento: Francesca Ercole
Nathalie Muller
service du Patrimoine
En savoir plus
Jean Clair, Laura Bossi (dir.), Inferno [exposition, Rome, Scuderie del Quirinale, 15 octobre 2021-9 janvier 2022], Milan, Electa, 2021. Libre accès : N8150CLAI 2021.
Odilon Redon, prince du rêve (1840-1916) [exposition, Paris, Grand Palais, 23 mars-20 juin 2011], Paris, RMN-Grand Palais-Musée d’Orsay, 2011. Libre accès : NY REDO5.A3 2011.
Sandro Botticelli: the drawings for Dante’s Divine Comedy, Londres, Royal Academy of Arts, 2000. Libre accès : NY BOTT11.A34 2000.
Alec Wildenstein, Odilon Redon : catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Paris, Wildenstein Institute, 1992-. Libre accès : NY REDO5.A2 1992.
Alfred Wernet, The graphic works of Odilon Redon, New York, Dover Publications, 1969. Libre accès : NY REDO5.A2 1969.
Jurgis Baltrušaitis, Le Moyen Âge fantastique : antiquités et exotismes dans l’art gothique, Paris, A. Colin, 1955.
Odilon Redon, À soi-même, Paris, Henri Floury, 1922.
André Mellerio, Odilon Redon , Paris, Société pour l’étude de la gravure française, 1913.
Manuscrits d’Odilon Redon conservés à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet : Livre de raison : catalogue des estampes entre 1866 et 1901 (Ms 42820) ; livre de comptes (Ms 42821) ; les « Noirs » (Ms 42822).
Edmond Pilon, « Un nouvel album d’Odilon Redon », dans La revue blanche,vol. II, 1er août 1896, p. 135-137.
André Mellerio « La tentation de saint Antoine (3e série) par Odilon Redon», dans L’avenir artistique et littéraire, 1er aout 1896, p. 29-31.
Jules Destrée, L’œuvre lithographique de Odilon Redon, Bruxelles, E. Deman, [1891].