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Dans l'intimité d'Eugène Delacroix (2/2)
Mis à jour le 17 mai 2018
Les trésors de l'INHA
Auteur : Élodie Desserle
À l’heure où l’exposition événement sur Eugène Delacroix (1798-1863) bat son plein au musée du Louvre, la bibliothèque numérique vous propose de pénétrer dans l’intimité du peintre. Trois lettres nouvellement numérisées viennent de rejoindre le corpus de ses manuscrits. En effet, la bibliothèque de l’INHA conserve une part importante de la correspondance de l’artiste, ses cahiers d’écolier ainsi que son Journal, ensemble unique issu des collections Doucet de l’ancienne Bibliothèque d’art et d’archéologie ainsi que de la bibliothèque centrale des musées nationaux. Nombre de ces pièces servirent à André Joubin (1868-1944) pour publier son édition du Journal et de la Correspondance générale qui font aujourd’hui encore autorité. Beaucoup furent acquises grâce au mécène David David-Weill (1871-1952) membre de la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, notamment le Journal, l’un des fleurons de la bibliothèque.
Alors qu’il séjourne au Louroux, village d’Indre-et-Loire dans lequel son frère aîné Charles-Henri (1779-1845) a élu domicile, le jeune Delacroix, tout juste âgé de 24 ans, débute la rédaction de son journal en ces termes : « Je mets à exécution le projet formé tant de fois d’écrire un journal. Ce que je désire le plus vivement, c’est de ne pas perdre de vue que je l’écris pour moi seul ; je serai donc vrai, je l’espère ; j’en deviendrai meilleur ». Deux jours plus tard, il révèle que la date choisie pour commencer ce journal, le 3 septembre 1822, n’est en aucun cas anodine : « C’était avant-hier l’anniversaire de la mort de ma bien-aimée mère. C’est le jour où j’ai commencé mon journal » – soit huit ans jour pour jour après le décès de sa mère, Victoire Œben, épouse Delacroix (1758-1814). Il ajoute : « Que son ombre soit présente quand je l’écrirai et que rien ne l’y fasse rougir de son fils ».
Le 3 septembre 1822 s’avère également un jour hautement symbolique pour la carrière de Delacroix puisqu’il vient d’apprendre de « Félix » (Félix Guillemardet (1796-1842), son ami d’enfance) que son premier grand tableau acheté par l’État, suite au Salon, vient d’être placé au musée du Luxembourg. En effet, Delacroix expose pour la première fois au Salon de 1822. Il y présente Dante et Virgile aux enfers, dit aussi La Barque de Dante, une toile illustrant un épisode de la Divine Comédie de Dante (1265-1321), conservée actuellement au département des Peintures du musée du Louvre. L’œuvre ne laisse pas les critiques indifférents et reçoit un accueil mitigé. Au regard sévère d’Étienne-Jean Delécluze (1781-1863) qui qualifie le tableau de « vraie tartouillade » (Moniteur universel du 18 mai 1822) s’opposent les louanges d’Adolphe Thiers (1797-1877) pour qui « M. de Lacroix a reçu le génie ». Dans les colonnes du Constitutionnel du 11 mai 1822, Thiers s’enthousiasme : « Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre, que celui de M. de Lacroix, représentant le Dante et Virgile aux enfers. C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste ». Pour Thiers, la composition de Delacroix évoque la « hardiesse de Michel-Ange » et la « fécondité de Rubens » tout en donnant une orientation nouvelle à la peinture. Delacroix crée une passerelle entre l’art classique et le romantisme qui s’annonce en s’inspirant de l’écriture visionnaire du poète italien. Le peintre est un passionné de littérature, son œuvre foisonne de compositions narratives, de références et de sujets liés à ses lectures d’auteurs aussi bien classiques que contemporains. Il fréquente les salons littéraires et beaucoup de ses amis appartiennent au monde des lettres : George Sand (1804-1876), Théophile Gautier (1811-1872) ou encore Charles Baudelaire (1821-1867) qui le surnomme le « peintre-poète ». Recopiant la prose et les vers d’auteurs qu’il admire, ou livrant ses commentaires fouillés, Delacroix aime lire mais aussi écrire. Pourtant, il abandonne son journal pendant près de vingt-trois années, du 5 octobre 1824 à janvier 1847.
Eugène Delacroix, Journal, 1856. Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, MS 253 (4). Cliché INHA
Les cahiers de feuilles de papier coupées du début font alors place à de solides agendas reliés. Pour Delacroix, l’écriture devient un outil de réflexion pour fixer ses idées et les retranscrire ensuite sur ses toiles. Son état d’esprit a également évolué. Il est maintenant sur le devant de la scène publique, son carnet de commandes rempli, notamment suite à la rétrospective qui lui a été consacrée lors de l’Exposition universelle de 1855, à laquelle deux des lettres qui viennent d’être mises en ligne font allusion.
Incontournable pour comprendre l’artiste et son œuvre, le Journal permet de suivre le cheminement de sa pensée, ses goûts, ses découvertes, ses émotions, sa conception des arts en général ; car il traite non seulement de peinture et de littérature mais aussi de théâtre, de musique, de sculpture et même de la photographie, dont il suit avec intérêt l’émergence et le développement.
Delacroix poursuivit son journal jusqu’à sa mort, en 1863. La bibliothèque de l’INHA conserve par ailleurs une des dernières lettres qu’il ait écrites. Adressée à George Sand, le 21 juillet 1863, elle témoigne d’une amitié fidèle de près de trente ans et livre ce poignant aveu, sous la plume d’un artiste mu depuis le plus jeune âge par la passion de l’écriture : « écrire m’est insupportable ».
Eugène Delacroix, Cahiers de classe (1811-1815) : 8e cahier, 1815 Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, MS 246 (8). Cliché INHA
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire
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