Au début du XXe siècle, alors que l’histoire de l’art se structure en tant que discipline, plusieurs universitaires entreprennent de défendre une vision radicalement régionaliste et anti-étatique de l’art français, considéré comme le produit de « petites patries » spoliées durant des siècles par la capitale et la culture de cour. À l’intérieur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie fondée par Jacques Doucet, André Girodie (1874-1946), éminent représentant de cette tendance, souvent cité mais peu étudié, coordonne la réalisation d’un grand projet illustrant les thèses régionalistes : une série de Dictionnaires des artistes et des ouvriers d’art actifs dans huit provinces historiques de la France des origines à 1900, dont seul le premier volume, « La Franche Comté », parut en 1912 avant que la guerre n’interrompe la publication. Comme Les Artistes décorateurs du bois – Répertoire alphabétique des ébénistes, menuisiers, sculpteurs, doreurs sur bois, etc., ayant travaillé en France aux XVIIème et XVIIIème siècles, que Girodie, fit paraître – toujours grâce au mécénat de Doucet – avec la collaboration de Nathalis Rondot et Eugène Vial en 1912, les dictionnaires impliquaient de constants échanges avec de nombreux spécialistes – archivistes, érudits, chanoines – installés en province, ce qui permit de constituer en quelques années, à travers la France entière, un vaste réseau intellectuel lié à la Bibliothèque d’art et d’archéologie.

Cette journée d’étude entend d’abord ouvrir un dialogue entre chercheurs de différentes disciplines pour éclairer l’usage des notions de régionalisme et de nationalisme dans la construction disciplinaire de l’histoire de l’art au début du XXe siècle, alors que ces notions ont jusqu’à présent surtout été étudiées dans le champ politique ou littéraire autour des figures du Lorrain Maurice Barrès et du Provençal Charles Maurras – à l’exception notable des travaux de Michela Passini sur le discours nationaliste des historiens de l’art en France et en Allemagne. En replaçant la figure d’André Girodie, engagé par Doucet dans le contexte des débuts de la Troisième Republique en France, parcourue de questionnements identitaires contradictoires entre la recherche de la « Revanche » contre l’Allemagne et une critique de l’État centralisateur qui rassemblait droite et gauche, elle mettra l’accent sur le lien intime, et en apparence paradoxal, qui unissait régionalisme, et nationalisme – fût-il « intégral » selon le mot de Maurras.

Elle permettra de réévaluer la nature et l’importance des réseaux qui unissaient les milieux scientifiques parisiens et provinciaux, et ainsi de mieux connaître la méthodologie des grandes entreprises prosopographiques organisées sous l’égide de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, ancêtres des bases de données d’aujourd’hui.

Directement liée au programme « La Bibliothèque d’art et d’archéologie de  Jacques Doucet : corpus, savoirs et réseaux », lancé en 2018, et dans la droite ligne des précédentes journées d’études du programme, elle mettra en valeur une partie des archives de la photothèque de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, inédites et récemment inventoriées, ainsi que plusieurs fonds d’archives de la bibliothèque de l’INHA comme le fonds Girodie (contenant le manuscrit intégral et inédit du Dictionnaires des artistes et des ouvriers d’art sur le Poitou et les ébauches d’une vingtaine d’autres dictionnaires régionaux), en recontextualisant une grande partie de ces archives inexploitées.

Ce sera enfin l’occasion de collaborer avec d’autres institutions nationales détentrices de fonds d’archives relatifs à André Girodie (musée de Blérancourt, archives d’Alsace) et aux érudits ou historiens en charge des Dictionnaires des artistes et ouvriers d’art (le fonds Requin conservé aux archives de Provence, par exemple).

Comité scientifique

  • Ilaria Andreoli (INHA)
  • Pascale Cugy (Université Rennes 2)
  • François-René Martin (ENSBA, Paris-Ecole du Louvre)
  • Guy Mayaud (INHA)
  • Neil McWilliam (Duke University)
  • Michela Passini (CNRS)
  • Antoine Robin (EPHE)
  • Louisa Torres (INHA).

Propositions d’intervention

En fonction de ces orientations les propositions d’intervention pourront aborder les thèmes suivants (sans exclusivité) :

  • L’œuvre d’André Girodie, particulièrement le moment « BAA » (1910-1914) et les sources de sa conception du lien entre art et nation.
  • Le réseau érudit établi autour des Les Artistes décorateurs du bois – Répertoire alphabétique des ébénistes, menuisiers, sculpteurs, doreurs sur bois, etc., ayant travaillé en France aux XVIIème et XVIIIème siècles et le Dictionnaires des artistes et ouvriers d’art des provinces, du volume publié et de ce ceux qui étaient en preparation (en particulier celui sur la Provence de l’abbé Requin) dans une grande entreprise interrompue par la guerre, qui se distingue des dictionnaires d’artistes contemporains (Thieme-Becker, Benezit) par sa repartition en regions.
  • Nationalisme et régionalisme dans les pratiques de l’histoire de l’art dans les provinces française à la fin du XIXe au débout du XXe siècle (sociétés et réseaux savants).
  • Le rôle de groupements régionalistes comme la Fédération régionaliste française, fondée par Jean Charles-Brun en 1900, et ses équivalents régionaux, comme Le Félibrige en Provence, dans la redécouverte de la vie culturelle hors de Paris, surtout en ce qui concerne la période médiévale.
  • Le rôle des musées dans la redécouverte des artistes locaux et la recherche des « écoles » régionaux.
  • La question de la nature nationale ou locale de l’art du Moyen Âge et de la Renaissance à partir du débat européen sur l’exposition des Primitifs francais de 1904 (Bouchot, Dimier, Warburg, Clemen, Hurin de Loo) et de Martin Schongauer et l’art du Haut-Rhin en France(1911).

Candidatures

Les propositions d’interventions (300 mots), qui doivent porter sur des sujets originaux, sont à envoyer, accompagnées d’un titre provisoire, d’une brève bibliographie et d’un court CV à Ilaria Andreoli (ilaria.andreoli@inha.fr) et Victoria Grigorenko (victoria.grigorenko@inha.fr) avant le 15 juillet 2025.

Les interventions pourront être en prononcées en français ou en anglais.

Selon l’origine géographique des candidats il est possible que les frais de voyage et d’hébergement ne soient pas entièrement pris en charge par les organisateurs.