Auteur(s) de la notice :

KERSPERN Sylvain

Profession ou activité principale

Fonctionnaire d’État

Autres activités
Bibliothécaire, conservateur de musée

Sujets d’étude
Art de la Brie et du Gâtinais, collectionneurs, histoire locale

Carrière
1857 : publie son premier ouvrage Essai de biographie départementale de Seine-et-Marne
1860 : entre à la préfecture de Seine-et-Marne, à Melun
1861 : création de l’Almanach de Seine-et-Marne, auquel il contribuera abondamment et régulièrement
Mai 1864 : membre fondateur de la Société d’archéologie, sciences, lettres et arts de Seine-et-Marne, dont il est nommé secrétaire général ; sera par la suite président de la section de l’arrondissement de Melun
18 mai 1882 : premier conservateur du musée de Melun
1897 : retraite de ses fonctions à la préfecture ; membre du Comité supérieur des Beaux-Arts

Étude critique

« Son style était agréable, ses renseignements précis, soigneusement documentés. Beaucoup de ses notices étaient accompagnées de fac-similé d’autographes rares empruntés à ses cartons » (Gabriel Leroy).

Jean-Baptiste Théophile Lhuillier apparaît comme la parfaite illustration de l’érudit local, aux intérêts divers et héritier de la tradition humaniste. Son approche est avant tout documentaire et c’est l’amour du document – qu’il collectionnait – qui l’amène à en tirer les enseignements historiques. Il participe ainsi au travail de fond commencé sous le Second Empire et consacré à la recherche documentaire nécessaire à la constitution d’une discipline historique faisant retour sur ce qui était devenu l’Ancien Régime.

L’un de ses principaux ouvrages, pour ne pas être d’histoire de l’art, n’en éclaire pas moins sa personnalité intellectuelle. Il est consacré à l’enseignement en Seine-et-Marne, et la lecture de son œuvre laisse clairement entendre que l’histoire et les témoignages qu’elle a produits entrent dans son champ d’investigation comme des éléments nécessaires à l’instruction. Ses fonctions de bibliothécaire et de conservateur à Melun, mais aussi sans doute à la préfecture, au service des travaux publics, l’ont amené à fréquenter les œuvres d’art et les témoignages archéologiques. C’est muni de ces éléments que l’on peut apprécier l’apport de Théophile Lhuillier.

Très tôt, il a borné ses ambitions à son département natal. Sans doute ses diverses occupations professionnelles et culturelles l’y ont encouragé et il n’y a pas trace de nationalisme dans son œuvre. Souvent, il part d’un document en sa possession ou qu’il a pu trouver dans ses recherches et qu’il publie (par exemple « À propos du Martyre de Saint-Étienne, tableau de l’église de Brie-Comte-Robert », Bulletin de la Société historique et archéologique de Brie-Comte-Robert, 1901-1903, II, p. 180-181). De fait, ses publications comportent différents niveaux de rigueur scientifique. Celles destinées à un public de haute volée sont dotées de nombreuses références à des documents ; celles pour des Sociétés savantes locales le sont moins, et ses articles pour les journaux locaux (hélas !) manquent cruellement de renvois aux sources qu’il avait consultées pour leur rédaction.

Le ton de ses articles emprunte à la modestie de la province à l’égard des grandes capitales, des artistes de second plan face aux grands maîtres, reflet de son humilité à l’égard des érudits de son temps (tel Charles Blanc, qu’il cite volontiers). La plupart du temps, ses avis d’ordre esthétique leur sont empruntés, et il ne s’en affranchit que rarement. Timidité, absence de sensibilité ou difficulté à l’exprimer ? On est tenté de privilégier cette dernière hypothèse en lisant l’appréciation qu’il fait des œuvres de Jean Senelle, à qui il a consacré une étude qui fut longtemps la base sur ce peintre. « L’artiste se recommande par l’agencement des personnages, par sa façon naturelle de draper, par l’animation qu’il savait donner aux scènes qu’il traduisait ; son dessin est correct, le coloris, sans être brillant, est harmonieux et agréable, la lumière et les ombres sont habilement distribuées. On peut s’étonner pourtant de retrouver dans ses diverses compositions, et avec une sorte de parti pris, les mêmes physionomies dépourvues de distinction et dont la vulgarité sinon la laideur, nuit à l’expression. » Lhuillier a bien saisi le paradoxe du peintre, à la fausse naïveté, mais comme nombre de ses contemporains (et d’autres depuis d’ailleurs), n’en fait pas une marque de son talent mais une faute de goût. Quant à la correction du dessin chez Senelle…

L’appréciation d’Henri Jouin (« La notice de M. Lhuillier a la touche et le fini d’un pastel de La Tour » ) dit avec esprit ce que son collègue Gabriel Leroy explicite. Il sait partir du document (pièce d’archives et gravures, surtout) pour une évocation vivante de ce que les informations ainsi délivrées suggèrent. Quelquefois, il extrapole un peu trop, à d’autres moments, il pose des jalons que l’on a longtemps négligés.

L’article sur Senelle mêle les deux tendances, fournissant nombre de documents neufs, mais confondant l’artiste avec son cousin, supposant son retour dans sa ville natale et son séjour à Orléans comme consécutifs à la Fronde. Néanmoins, Lhuillier garde une réserve qui lui permet d’éviter le roman échafaudé – avec les mêmes données et la mention d’un Senelle dans la correspondance de Nicolas Poussin –, par Philippe de Chennevières en 1894, avec qui il pouvait partager l’intérêt pour les artistes de « l’ancienne France ».

Un autre exemple mérite l’examen. S’intéresser à la Seine-et-Marne ne le privait pas d’aborder l’art le plus exigeant. Il a ainsi consacré à Montceaux une étude pertinente qui a été tout à la fois validée et corrigée par les développements les plus récents de la recherche, reprenant le recours au document. Comme régulièrement dans ses écrits, son intention est d’apporter au sujet son « contingent de renseignements historiques et artistiques, puisés la plupart à des sources inexplorées ». Ce qui l’amène dans un premier temps à réfuter l’attribution qui avait cours en faveur de Salomon de Brosse, en restituant à sa construction le contexte du milieu du XVIe siècle. Un document en sa possession atteste l’intervention de Francisque Scibec de Carpi, sous la direction du Primatice, à qui il attribue la responsabilité de l’édifice.

Les travaux récents (Catherine Grodecki, Documents du minutier central des notaires concernant l’histoire de l’art (1540-1600), Paris, 1985) ont apporté des précisions qui font du précédent propriétaire le véritable commanditaire ; Catherine de Médicis n’aurait fait que demander des aménagements à Philibert Delorme. Or celui-ci, pour balayé qu’il soit dans son propos à la suite de l’autographe découvert, est tout de même évoqué par Lhuillier, sans doute sur la foi de ce qu’il pouvait en connaître par la gravure, et par le rôle de l’architecte auprès de la couronne. On ignore par ailleurs le nom de celui qui construisit l’édifice à la demande de l’ingénieur Laguette, qui était assurément quelqu’un connaissant le chantier bellifontain…

Cet exemple porte les atouts et les limites de sa méthode. Axée sur les documents, elle permet de fonder sur des éléments avérés les informations qu’ils délivrent. Sans caractère exhaustif ou de réelle ampleur, elle comporte le risque de l’invention ou de l’extrapolation. On peut regretter que la réserve qui lui a permis, le plus souvent, de l’éviter se soit également manifestée dans sa perception esthétique des sujets qu’il abordait, qui reste embryonnaire.

Sylvain Kerspern, historien de l’art

Principales publications

Ouvrages et catalogues d’expositions

Articles

  • « Noms d’artistes français des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle relevés sur des documents inédits dans la Brie ». Revue des Sociétés savantes des départements, 2e série, t. IV, 1872, p. 489-516 (comment. d’Anatole de Montaiglon) ; 6e série, t. II, 1875, p. 207-221 ; 7e série, II, 1880, p. 247-263.
  • « L’Ancien Château royal de Montceaux-en-Brie ». Revue de la Société des beaux-arts des départements, 1884, VIII, p. 246-260 (tiré à part, Meaux, 1885).
  • « Notes sur quelques tableaux de la cathédrale de Meaux… ». Revue de la Société des beaux-arts des départements, 1888, p. 132-151.
  • « Le Peintre Claude Lefebvre de Fontainebleau ». Revue de la Société des beaux-arts des départements, 1892 p. 487-511.
  • « Notes pour servir à la biographie des deux Cotelle peintres du roi ». Revue de la Société des beaux-arts des départements, 1893, p. 625-637.
  • « Antoine Garnier de Fontainebleau peintre graveur ordinaire du roi ». Annales du Gâtinais, 1894, XIII, p. 277-297.

Bibliographie critique sélective

  • Jouve Henri, éd. – Dictionnaire biographique de Seine-et-Marne. Paris, 1893 (ad nominem).
  • Leroy Gabriel. – « Théophile Lhuillier, sa vie, ses œuvres, 1833-1904 ». Bulletin de la Société archéologique, sciences, lettres et arts de Seine-et-Marne, 1905-1906, XI, 1907, p. 167-172.
  • Blanchard Damien. – Dictionnaire biographique de Seine-et-Marne. Étrépilly : Presses du village/ C. de Bartillat, 1998.

Sources identifiées

Melun, archives départementales de Seine-et-Marne

  • 1F1 à 1F1082 ; 103J1 à 103J27