LABARTE, Jules(23 juillet 1797, Paris – 14 août 1880, Boulogne-sur-Mer [Pas-de-Calais])

Auteur(s) de la notice : TOMASI Michele

Profession ou activité principale

Avocat, avoué

Autres activités
Historien de l'art, collectionneur

Sujets d'étude
Orfèvrerie et émaillerie médiévales, arts précieux et mobilier du Moyen Âge et de la Renaissance, trésors et collections médiévaux, rapports entre l'art byzantin et l'art de l'Europe occidentale, topographie de Constantinople

Carrière
Scolarité à Paris, collège Louis-le-Grand
19 juillet 1819 : licence en droit à Paris ; le 18 août, inscrit au tableau des avocats à la Cour de Paris
29 octobre 1823 : épouse Joséphine-Sophie-Fidèle, fille du collectionneur Louis-Fidel Debruge-Duménil
1824 : succède à son père comme avoué près du tribunal de première instance de la Seine
1830 : élu capitaine-commandant dans la garde nationale ; réélu ensuite cinq fois à ce grade
1835 : démissionne de ses fonctions d'avoué pour se consacrer entièrement à ses recherches d'archéologie et d'histoire de l'art
1844 : élu chef de bataillon dans la garde nationale
1857 : ses Recherches sur la peinture en émail obtiennent, en partage avec M. Fabre, la troisième médaille décernée par l'Académie des inscriptions et belles-lettres au concours des antiquités de la France
1867 : membre de la quatrième section (orfèvrerie, armes, serrurerie, bijoux, objets usuels en métal ouvré) du comité chargé d'organiser la section rétrospective de l'exposition sur l'histoire du travail, lors de l'Exposition universelle de Paris
1868 : son Histoire des arts industriels obtient la première médaille décernée par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, au concours des antiquités de la France
1869 : succède à Léon de Laborde comme membre du Comité des arts et monuments
22 décembre 1871 : élu membre libre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, par 41 suffrages sur 42 votants, en remplacement de Charles Texier

Chevalier de la Légion d'honneur (novembre 1833)

Étude critique

L'événement crucial dans la vie de Charles-Jules Labarte fut sans doute, en 1823, son mariage avec Joséphine Debruge-Duménil, fille de Louis-Fidel Debruge-Duménil (1788-1838). Ce dernier forma, entre 1830 et sa mort, l'une des premières et des plus importantes collections françaises d'objets d'art du Moyen Âge et de la Renaissance et d'objets d'art asiatiques. Séduit par cet ensemble magnifique, Labarte décida d'abandonner, en 1835, sa profession d'avoué, pour se consacrer entièrement à des études d'archéologie et d'histoire de l'art.

Comme nombre des érudits de sa génération, Labarte fut donc un autodidacte. Sa formation se fit d'abord sur le terrain, à travers des voyages qui, au moins à partir de la fin des années 1830, l'amenèrent à parcourir l'Allemagne, l'Angleterre, la France et l'Italie. Il y découvrit les richesses artistiques exposées dans les musées, abritées dans les trésors des églises, cachées dans des collections particulières et révélées lors des expositions : on peut citer à ce propos les expositions rétrospectives de Londres de 1851 et 1862 ainsi que celle de Manchester de 1857, qui montrèrent pour la première fois l'importance des collections privées anglaises. Parallèlement, Labarte put profiter de la générosité intellectuelle du réseau de collectionneurs avec lesquels son beau-père avait été en rapport, bénéficiant de l'érudition et des conseils de pionniers dans l'étude des arts précieux et du mobilier médiévaux et renaissants, comme Jean-Baptiste Carrand ou Alexandre Du Sommerard. À une époque où la redécouverte scientifique du passé, dans le domaine des arts industriels, allait de pair avec la recherche de modèles pour la création contemporaine, Labarte ne se priva pas de faire appel aux artistes de son temps pour comprendre en profondeur les techniques et les procédés les plus divers, du cloisonné polychrome employé dans les objets retrouvés dans le tombeau de Childéric à la fabrication des verres filigraniques vénitiens. Ce processus de formation ne nous est pas connu dans les détails ; nous pouvons le reconstruire uniquement à partir des quelques indications que Labarte offre au passage dans ses écrits. En tout cas, sa première publication trahit une science déjà mûre. La disparition prématurée de son beau-père est à l'origine de ce premier ouvrage : après la mort de Debruge-Duménil, c'est à Labarte qu'échoua la responsabilité de classer et d'exposer la collection qu'il avait réunie. Le résultat en fut un catalogue, publié en 1847 et précédé d'une longue introduction historique, qui devint vite l'équivalent, dans le domaine du mobilier, de ce qu'était le Cours d'Arcisse de Caumont dans le domaine de l'archéologie monumentale.

Cette même introduction fournit le squelette du chef-d'œuvre de Labarte, son Histoire des arts industriels, publiée une première fois en 1864-1866, en quatre volumes de texte avec deux volumes de planches, puis rééditée en 1872-1875, en une version en trois volumes, moins coûteuse, destinée non plus aux amateurs et aux érudits, mais plutôt aux artistes. Visant des publics variés, l'Histoire présente un caractère hybride dans son articulation : les arts « industriels », dont l'auteur ne donne jamais une définition, sont tantôt traités à partir de la matière première qu'ils emploient (ivoire, bois), tantôt à partir de la technique (émaillerie, vitrail) ou encore selon la fonction de leurs produits (armures, mobilier). L'Histoire reflète ainsi le statut ambigu des objets d'art dans la deuxième moitié du XIXe siècle, quand ils étaient tour à tour appelés à servir de modèles aux artistes, d'objets de plaisir esthétique pour les amateurs, de documents sur la vie et les mœurs pour les historiens et les archéologues. Malgré ces limites dans la conception, cette somme resta pendant des décennies la référence fondamentale pour toute recherche sur les arts précieux. Son succès tient à plusieurs raisons. L'objectif affiché par Labarte était d'écrire « une histoire des arts industriels par les monuments », en cherchant à définir l'origine, le développement et les procédés de chaque technique. La large connaissance directe des œuvres examinées s'associait à une maîtrise parfaite des sources écrites, non seulement de celles publiées, mais encore, souvent, de documents ou de textes inédits d'une importance capitale (inventaires de Boniface VIII ou de Charles VI, transcriptions de comptes florentins aujourd'hui perdus effectuées par le sénateur Carlo Strozzi au XVIIe siècle…). La compréhension des textes était donc éclairée par l'analyse des œuvres et inversement, comme c'est par exemple le cas lorsque Labarte utilise le traité De diversis artibus du moine Théophile (XIIe siècle) pour décrire la fabrication des émaux cloisonnés. L'édition de l'inventaire du roi Charles V, publiée en 1879, n'est que la trace la plus visible de cette connaissance des traités, des chroniques, des récits hagiographiques, des testaments, des inventaires. Labarte s'intéressait d'autant plus aux sources qu'il était conscient de l'importance d'établir une terminologie scientifique pour l'histoire de l'art, en précisant d'abord quel était le lexique utilisé par les hommes du passé. La polémique qui l'opposa à Ferdinand de Lasteyrie au sujet de l'interprétation du mot electrum chez les auteurs anciens est révélatrice de ce souci de codification du vocabulaire ; le fait que sur le fond de la question Labarte ait eu tort (electrum prend la signification de « émail » seulement au Moyen Âge, et notamment chez Théophile), est moins important que la modernité de la démarche. Cette quête de précision scientifique ne se limitait pas aux mots, elle impliquait aussi les images : l'auteur ne ménagea pas son temps, ses efforts, son argent, pour doter la première édition de son Histoire d'illustrations qui fussent à la hauteur de son texte. Les cent cinquante planches réalisées montrent qu'il chercha à profiter de toutes les techniques de reproduction dont on pouvait alors disposer pour obtenir des images le plus précises et fidèles possible.

L'Histoire des arts industriels contribua ainsi de manière déterminante à faire avancer les connaissances dans les domaines de l'émaillerie, de l'ivoirerie, de l'orfèvrerie. Elle eut aussi une grande importance dans le processus de réévaluation du rôle que joua Byzance dans l'histoire de l'art occidental, à une époque où l'art byzantin était souvent considéré comme figé et répétitif – que l'on songe à Didron. Si en 1847 Labarte semblait indifférent à l'art byzantin, si en 1850 il montrait à peine des signes d'intérêt pour cette culture, à partir de 1856 il arriva à la conviction, ensuite plusieurs fois répétée, que les Grecs d'Orient furent, au moins jusqu'au XIe siècle, les véritables « maîtres de l'art ». Dans le but de « soulever le voile épais qui couvre l'histoire des arts industriels dans l'Empire d'Orient » et de démontrer la « haute prépondérance » de l'industrie artistique byzantine en Europe au Moyen Âge, il finira par exagérer la part qui revenait aux Byzantins, en leur attribuant tout ce que le Haut Moyen Âge européen avait pu produire de beau, de l'épée de Childéric aux ivoires de l'école de Metz. Mais à côté de ces excès, la reconstruction de la topographie du palais impérial constantinopolitain au Xe siècle, appuyée sur les sources contemporaines et notamment sur le De cerimoniis de Constantin Porphyrogénète, révèle une démarche et une méthode bien plus sûres. À la fin du XIXe siècle, lorsqu'il rédigeait ses ouvrages primordiaux sur l'enluminure et l'émaillerie byzantines, Nicodim Kondakov pouvait ainsi reconnaître que c'était à Jean-Baptiste Séroux d'Agincourt et à Jules Labarte que revenait « la gloire d'avoir commencé l'étude scientifique des œuvres d'art de Byzance ».

Michele Tomasi, maître-assistant d'histoire de l'art médiéval, Université de Lausanne

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

Articles

  • « Orfèvrerie ». In Lacroix Paul et Seré Ferdinand, dir. – Le Moyen Âge et la Renaissance. Histoire et description des mœurs et usages, du commerce et de l'industrie, des sciences, des arts, des littératures et des beaux-arts en Europe, t. III, 3e partie. Paris : s. n., 1850, fol. I-XXIX.
  • « L'Émail de Geoffroy ou de Henri Plantagenêt au musée du Mans. Réponse à la dissertation de M. Hucher sur cet émail ». Bulletin monumental, 1865, n° XXXI, p. 789-802.
  • « L'Église cathédrale de Sienne et son trésor d'après un inventaire de 1467 traduit et annoté ». Annales archéologiques, 1868, n° XXV, p. 261-287.
  • « Dissertation sur le Rössel d'or d'Altötting ». Annales archéologiques, 1869, n° XXVI, p. 204-212.
  • « Dissertation sur l'abandon de la glyptique en Occident au Moyen Âge et sur l'époque de la renaissance de cet art ». Gazette des Beaux-Arts, 1870, n° IV, p. 382-405.

Bibliographie critique sélective

  • Torche Nicolas-Michel. – « Compte rendu de J. Labarte, Description des objets d'art qui composent la collection Debruge-Duménil ». Revue archéologique, 1848-1849, n° X, p. 506-508.
  • Hase Charles-Benoît. – « Rapport de la Commission des antiquités de la France ». Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances de l'année 1857, 1858, n° I, p. 201-210.
  • Didron Adolphe-Napoléon. – « Le Palais impérial de Constantinople ». Annales archéologiques, 1861, n° XXI, p. 261-276 et 309-328.
  • Darcel Alfred. – « Compte rendu de J. Labarte, Le Palais impérial de Constantinople ». Gazette des Beaux-Arts, 1862, n° XII, p. 186-190.
  • Hase Charles-Benoît. – « Compte rendu de J. Labarte, Le Palais impérial de Constantinople ». Journal des savants, 1862, p. 326-334 et 463-475.
  • Darcel Alfred. – « Une encyclopédie des arts industriels du Moyen Âge et de la Renaissance ». Gazette des Beaux-Arts, 1865, n° XIX, p. 120-134 et 248-271.
  • Darcel Alfred. – « Compte rendu de J. Labarte, Histoire des arts industriels ». Bulletin monumental, 1865, n° XXXI, p. 312-316.
  • Desnoyer Jules. – « Rapport de la Commission des antiquités de la France ». Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances de l'année 1868, nouv. série, 1869, n° IV, p. 335-339.
  • Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances de l'année 1871, nouv. série, 1871, n° VII, p. 410-411.
  • Perrot Georges. – « Compte rendu de J. Labarte, Histoire des arts industriels ». Revue archéologique, 2e série, 1872, n° 24, p. 393-398.
  • Glaeser Ernest, dir. – Biographie nationale des contemporains, rédigée par une Société des gens de lettres. Paris : Glaeser, 1878, p. 332-334.
  • D[arcel] A[lfred]. – « Nécrologie. Jules Labarte ». Bulletin monumental, 1880, n° XLVI, p. 855-857.
  • Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. J** L**, membre de l'Institut. Maison Silvestre, rue des Bons-Enfants, 28, 9-12 février 1881. Paris : Labitte et Saint-Jorre, 1881.
  • Kondakov Nicodim Pavlovitch. – Histoire de l'art byzantin considéré principalement dans les miniatures. Paris : Jules Rouam ; Londres : Gilbert Wood & C., 1886-1891. 2 t.
  • Kondakov Nicodim Pavlovitch. – Histoire et monuments des émaux byzantins. Les émaux byzantins : collection Zwénigorodksoï. Francfort-sur-le-Main, s. n., 1892.
  • Diehl Charles. – « Les Études byzantines en France ». Byzantinische Zeitschrift, 1900, n° IX, p. 1-13.
  • Arquié-Bruley Françoise. – « Debruge-Duménil (1788-1838) et sa collection d'objets d'art ». Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, IIIe série, 1990, n° 20, p. 211-248.
  • Aubenas Sylvie et Smith Marc H. – « La Naissance de l'illustration photographique dans le livre d'art. Jules Labarte et l'Histoire des arts industriels (1847-1875) ». Bibliothèque de l'École des chartes, 2000, n° 158, p. 169-196.
  • Tomasi Michele. – « De la collection à l'histoire : sur la genèse et la structure de l'Histoire des arts industriels au Moyen Âge et à l'époque de la Renaissance de Jules Labarte », p. 255-266. In Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire Barbillon et François-René Martin, dir. – L'Histoire de l'histoire de l'art en France au XIXe siècle, actes du colloque international, 2-5 juin 2004. Paris : La Documentation française, 2008.

Sources identifiées

Paris, Archives nationales

  • Minutier central des notaires : XXXIV, 975, contrat de mariage entre Jules Labarte et Joséphine-Sophie-Fidèle Debruge-Duménil, 29 octobre 1823
  • Minutier central des notaires : XXXIV, 1383, testament de Jules Labarte, 16 août 1880

Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits

  • N.a.f. 18837, f. 98-102 ; n.a.f. 22861, f. 16-19 ; n.a.f 22952, f. 249-250 ; n.a.f. 24370, f. 153, 156, 165, 167, 170, 180. Correspondance