GEBHART, Émile(19 juillet 1839, Nancy – 21 avril 1908, Paris)

Auteur(s) de la notice : PASSINI Michela

Profession ou activité principale

Professeur de littérature étrangère à l'université de Nancy, puis de littérature de l'Europe méridionale à la Sorbonne

Autres activités
Historien, historien de l'art, critique littéraire, écrivain

Sujets d'étude
Antiquité grecque et romaine, Renaissance en Italie et en France

Carrière
1845-1861 : scolarité à Nancy
1861-1863 : École française d'Athènes
1863-1866 : professeur au lycée de Nancy
1866 : chaire de littérature étrangère à l'université de Nancy
1880 : chaire de littérature de l'Europe méridionale à la Sorbonne
1895 : élu à l'Académie de sciences morales et politiques
1904 : élu à l'Académie française

Étude critique

Écrivain à succès, historien s'intéressant à de nombreux domaines, vulgarisateur habile, Émile Gebhart a joui à son époque d'une véritable célébrité : c'est pour lui qu'a été créée la chaire de littérature de l'Europe méridionale à la Sorbonne, où ses cours étaient fréquentés par un public nombreux de savants français et étrangers. La Renaissance fut au cœur de ses travaux et de sa pensée : il explora en historien de la culture cette époque qu'il considérait comme la période fondatrice de la civilisation occidentale, par le biais d'une analyse qui visait à embrasser tous les aspects de la société italienne. Les arts furent, à côté de la littérature, des sciences et de l'étude du sentiment religieux, le centre de sa réflexion, et l'examen du système de production et de réception des œuvres d'art constitua l'une des composantes essentielles de sa méthode. Ses ouvrages montrent d'ailleurs plusieurs points de contact avec les résultats des recherches conduites à la même époque dans le domaine de l'histoire de l'art, et semblent parfois avoir exercé un certain ascendant sur l'œuvre d'auteurs tels qu'Eugène Müntz.

Après une formation littéraire et philologique à l'École française d'Athènes, Gebhart avait commencé sa carrière par des études sur l'art et la culture classiques : sa thèse Histoire du sentiment poétique de la nature dans l'Antiquité grecque et romaine (1860), suivie par la dissertation latine De varia Ulyssis apud veteres poetas persona ; le volume Praxitèle. Essai sur l'histoire de l'art et du génie grecs depuis l'époque de Périclès jusqu'à celle d'Alexandre (1864), et enfin l'Essai sur la peinture de genre dans l'Antiquité (1868). Imbus d'un fervent classicisme et pénétrés d'une conception esthétisante de l'Antiquité, ces premiers travaux annoncent néanmoins la démarche de ses ouvrages majeurs : celle d'une historiographie attentive surtout aux expressions artistiques et littéraires permettant de remonter aux formes diffuses de la sensibilité d'une époque.

Le début de son enseignement universitaire coïncida avec la découverte d'un champ d'intérêt nouveau : en 1866, Gebhart ouvrait ses cours de littérature étrangère à l'université de Nancy par une leçon inaugurale intitulée Esquisse d'une histoire de la Renaissance des lettres et des arts en Italie. Ce texte bref marque l'essor de recherches sur la Renaissance qui déboucheront sur des études telles que De l'Italie. Essais de critique et d'histoire (1876) et Rabelais, la Renaissance et la Réforme (1877). Le résultat le plus intéressant et le plus original en sera toutefois Les Origines de la Renaissance en Italie qui, publié en 1879, marque un tournant dans l'œuvre de Gebhart et prend place avec autorité dans le débat international sur la question de la Renaissance.

Dès ses premières pages, l'ouvrage se confrontait de manière tout à fait explicite avec l'illustre modèle burckhardtien de La Civilisation de la Renaissance en Italie (1860). Si Burckhardt avait brossé des tableaux extrêmement riches et expressifs de la culture et de la société de l'époque, son chef-d'œuvre ne semblait toutefois pas fournir de réponse satisfaisante à un problème qui allait devenir central dans la pensée de Gebhart : celui de la genèse des civilisations. Préférant au schéma synchronique du savant bâlois l'enquête sur les origines, s'interrogeant sur les raisons profondes des grandes transformations historiques, Gebhart prenait nettement position par rapport à une série de questions qui en ces mêmes années étaient à l'ordre du jour de la recherche historique. La solution qu'il proposait ici du problème de l'essor de la Renaissance allait à l'encontre d'une vaste tendance qui commençait alors à se dessiner dans l'historiographie européenne. « La Renaissance italienne commence, en réalité, antérieurement à Pétrarque », affirmait Gebhart, « car déjà dans les ouvrages des sculpteurs pisans et de Giotto […], les arts sont renouvelés […]. Les origines de la Renaissance sont donc très lointaines et précèdent de beaucoup l'éducation savante que les lettrés du XVe siècle répandirent autour d'eux » (p. VII). Le programme de l'ouvrage était ainsi tracé : retrouver dans les arts et dans la littérature les premiers symptômes d'une métamorphose qui, à partir de l'Italie, devait investir l'Europe entière. L'aboutissement en était un considérable déplacement des limites chronologiques de la Renaissance, qui finissait par englober le XIIIe et le XIVe siècles de Nicolas de Pise, de Giotto et des premiers humanistes tels que Dante et Pétrarque.

Déjà Michelet avait vu dans l'œuvre d'Abélard, de Roger Bacon et du mystique italien Joachim de Flore une préfiguration des conquêtes spirituelles de la Renaissance (Histoire de la France, vol. 7, 1855). De son côté, Renan avait exalté François d'Assise ainsi que Joachim comme précurseurs du « réveil » du XVe siècle et, avec une expression singulièrement féconde, avait défini François comme le « père de l'art italien » (les deux articles, parus en 1866, furent repris ensuite dans les Nouvelles études d'histoire religieuse, 1884). Forte de ces modèles prestigieux, la reconstruction de Gebhart proposait une image de la Renaissance où la pensée chrétienne n'était plus en contradiction avec l'esprit critique de la science nouvelle, mais au contraire jouait un rôle exceptionnel en tant que facteur de renouvellement. Le pivot de l'immense révolution culturelle de laquelle était issue l'Europe moderne était alors à rechercher non pas dans la redécouverte et dans l'imitation de l'art ancien, mais plutôt dans une nouvelle expérience de la nature et de l'homme véhiculée aussi par la prédication des ordres mendiants.

Les Origines de la Renaissance en Italie jouit d'un véritable succès et valut à son auteur la chaire de littérature méridionale la Sorbonne. L'ouvrage eut une influence considérable sur les études : en 1882, Eugène Müntz le mentionnait comme une lecture indispensable aux spécialistes de l'art italien ; sa vision générale des débuts de la Renaissance ne différait pas d'ailleurs de celle du savant nancéien, et il ouvrait ses Précurseurs de la Renaissance par les biographies de Frédéric II et Nicolas de Pise. Si Müntz devait par la suite insister plus spécialement sur l'importance de l'élément antique dans l'art et la culture italienne des XVe et XVIe siècles, l'œuvre de Gebhart resta néanmoins un de ses points de repère essentiels. Les études de Louis Courajod, autre grand spécialiste de la Renaissance, trahissent également une certaine affinité avec les idées de Gebhart : l'historien hollandais Johan Huizinga signala dans les écrits de ce dernier, de Courajod et de Henry Thode une continuité de méthodes et de discours qui se manifestait dans la même détermination à anticiper les origines de la Renaissance, en mettant l'accent sur les racines médiévales de la civilisation plutôt que sur son caractère de rupture par rapport à l'époque précédente. Courajod prenait toutefois ses distances avec Gebhart sur un point capital : si celui-ci avait situé en Italie le point d'irradiation de la nouvelle culture, dans ses cours de l'École du Louvre (à partir de 1887), Courajod bouleversait complètement les perspectives historiques traditionnelles en niant résolument que l'Italie eût joué une part quelconque dans le développement de l'art moderne et en revendiquant à la France et aux Flandres le rôle d'initiateurs dans le domaine artistique. Au contraire, Les Origines de la Renaissance en Italie posait clairement la question du « retard » de la France qui, après avoir été au XIIIe siècle le pays le plus « avancé » d'Europe au point de vue artistique et intellectuel, avait par la suite cédé la place à ses voisins.

Pour la place centrale accordée à la culture italienne, l'œuvre de Gebhart paraît extraordinairement proche de celle de l'historien allemand Henry Thode, dont le célèbre essai François d'Assise et les origines de l'art de la Renaissance en Italie (1885) servit probablement de modèle à L'Italie mystique. Histoire de la Renaissance religieuse au Moyen Âge du savant français. Paru en 1890, ce dernier essai développait les perspectives esquissées dans les précédents travaux en explorant le renouvellement religieux que connaît la société italienne du XIIIe siècle. Encore une fois, Gebhart semblait indiquer dans cette phase reculée les germes de la sensibilité moderne. La même attention à la sphère du sentiment religieux domine d'ailleurs les courtes monographies que l'auteur consacra, pendant ses dernières années, à certaines figures d'artiste : Botticelli (1907) et Michel-Ange (1908).

Michela Passini, pensionnaire à l'INHA

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

Articles

  • « Un pèlerinage aux sanctuaires du paganisme. L'Olympe et le Styx ». Revue des deux mondes, mai-juin 1867, LXIX, p. 985-1006.
  • « La Renaissance italienne et la philosophie de l'histoire. La théorie de Jacob Burckhardt ». Revue des deux mondes, novembre-décembre 1885, LXXII, p. 342-379.
  • « Une renaissance religieuse au Moyen Âge. L'apostolat de Saint François d'Assise ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1886, LXXVII, p. 101-139.
  • « Un problème de morale et d'histoire. Les Borgia. I. Les débuts d'Alexandre VI ». Revue des deux mondes, novembre-décembre 1887, LXXXIV, p. 890-919.
  • « Un problème de morale et d'histoire. Les Borgia. II. L'œuvre politique et la catastrophe ». Revue des deux mondes, mai-juin 1888, LXXXVI, p. 141-173.
  • « Sainte Catherine de Sienne ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1889, LXLV, p. 133-164.
  • « L'État d'âme d'un moine de l'an mille. Le chroniqueur Raoul Glaber ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1891, CVII, p. 600-628.
  • « Autour d'une tiare, I. Le fantôme du pape Benoît IX. La messe de minuit de Grégoire VII. Vita nuova ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1893, CXIX, p. 360-396.
  • « Autour d'une tiare, II. Heures enfantines. Canossa ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1893, CXIX, p. 599-630.
  • « Autour d'une tiare, III. Idylle. Le naufrage d'un pontificat. Mariage in extremis ». Revue des deux mondes, septembre-octobre 1893, CXIX, p. 882-930.
  • « Les Conteurs italiens. Le Novellino, Francesco da Barberino ». Revue des deux mondes, novembre-décembre 1894, CXXV, p. 694-678.
  • « Boccace. Les drames du Décaméron ». Revue des deux mondes, janvier-février 1896, CXXXIII, p. 849-875.
  • « Un conteur florentin. Franco Sacchetti ». Revue des deux mondes, janvier-février 1899, CLI, p. 174-200.
  • « Hugues Aubriot (1367-1381). Grandeur et misère d'un préfet de police du XIVe siècle ». Minerva, 15 août 1902, p. 482-499.
  • « Il y a cinquante ans ». Revue lorraine illustrée, 1907, II, p. 1-8.

Bibliographie critique sélective

  • Benoist Charles. – « La Vie et les travaux de M. Émile Gebhart ». In Séances et travaux des l'Académie des sciences morales et politiques, 1925, p. 324-349.
  • Huizinga Johan. – « Het probleem der Renaissance ». De Gids, 1920, LXXXIV, No. 10, p. 107 et sq. et No. 11, 1920, p. 231 et sq.
  • Gianturco Elio. – « The Italian Renaissance in the Estimates of Émile Gebhart and Dilthey ». Comparative Literature, 1952, Vol. 4, No. 3, p. 268-276.
  • Vasoli Cesare. – Introduzione. In É. Gebhart. L'Italia Mistica. Storia del rinascimento religioso nel Medioevo. Bari : Laterza, 1983.
  • Vasoli Cesare. – « Due momenti della discussione sul Rinascimento del Burckhardt : Émile Gebhart e Konrad Burdach ». In Renzo Ragghianti et Alessandro Savorelli, éd. Rinascimento mito e concetto. Pisa : Scuola Normale Superiore, 2005, p. 213-254.
  • Ragghianti Renzo. – « Immagini del Rinascimento nell'Ottocento francese ». In Renzo Ragghianti et Alessandro Savorelli, éd. Rinascimento mito e concetto. Pisa : Scuola Normale Superiore, 2005, p. 135-177.

Sources identifiées

Pas de sources recensées à ce jour.

En complément : Voir la notice dans AGORHA