GAILHABAUD, Jules(29 août 1810, Lille – 15 avril 1888, Paris)

Auteur(s) de la notice : RODRIGUEZ Peggy

Profession ou activité principale

Historien de l'architecture, administrateur du musée de l'Ustensillage (Carnavalet), historien de l'art, collectionneur

Sujets d'étude
Architecture de l'Europe et de l'Asie, de l'Antiquité et du Moyen Âge, arts décoratifs, arts techniques

Carrière
1830-1839 : direction du commerce familial de textile à Lille puis à Paris
1840-1850 : parution des 200 livraisons des Monuments anciens et modernes
1844 : fondation de la Revue archéologique qu'il dirige trois mois
1845-1846 : fondation et publication de la revue Bibliothèque archéologique, ou Recueil de documents sur l'histoire, l'archéologie, etc.
septembre 1850 : publication de l'ouvrage Monuments anciens et modernes en quatre tomes
1866 : vente à la Ville de Paris de sa bibliothèque, moyennant 125 000 francs et un emploi à vie
1866-1871 : fonctionnaire à la section des Travaux historiques de Paris
1867 : chargé par le baron Poisson de la création du musée de l'Ustensillage, quai de Béthune, et de ses collections ; nommé classificateur principal (5 août)
9 janvier 1868 : associé de la classe des Beaux-Arts de l'Académie royale de Belgique
1871 : destruction de sa bibliothèque dans l'incendie de l'hôtel de Ville de Paris
1877-1888 : reçoit des indemnités littéraires du ministère de l'Instruction publique

Membre de l'Académie royale de Belgique

Étude critique

Issu d'une famille aisée de négociants en textile, Jules Gailhabaud abandonne assez tôt la carrière de commerçant afin de se consacrer entièrement à sa passion pour l'archéologie et l'architecture. Il commence à réunir, dès le début des années 1830, livres, manuscrits et gravures en rapport avec l'histoire de l'architecture, notamment parisienne, et consacre sa fortune pendant plus de vingt ans à la publication d'une immense œuvre. Il conçoit, en effet, avec trois ouvrages distincts, une véritable encyclopédie de l'architecture, richement illustrée de gravures. Le premier, Monuments anciens et modernes, annoncé dès 1839, est diffusé en livraisons, de 1840 à 1850, et constitué d'une succession de notices composées de plusieurs planches monumentales et d'un commentaire assez court. Pour la rédaction des textes, Gailhabaud fait appel à des érudits réputés et leur confie des études en rapport avec leur spécialité ou leur connaissance d'une région ou d'un pays : ainsi, Joseph-Philibert Girault de Prangey s'occupe-t-il de l'architecture mauresque, Émile Prisse d'Avennes de monuments égyptiens et Daniel Ramée d'édifices allemands. D'autres savants sont également sollicités, tels Raoul Rochette, Edme-François Jomard ou encore Albert Lenoir, véritables cautions intellectuelles de l'érudition de l'ouvrage et de la diversité des domaines traités. Quant à la partie graphique qui mêle vues pittoresques monumentales et relevés architecturaux, elle est confiée à des architectes, comme Viollet-le-Duc ou Daniel Ramée, et des archéologues, tel Théodore Vacquer. Cette collection de monuments est organisée, comme la plupart des histoires de l'architecture contemporaines, selon une division périodique (Antiquité, Moyen Âge et Temps modernes) qui va de pair avec un classement géographique. L'auteur propose ainsi à ses lecteurs de dégager des systèmes architecturaux caractéristiques à chacune des époques et régions du monde, et de mettre en lumière les interactions entre chaque système.

Cependant, dans l'avant-propos rédigé en 1850, Gailhabaud présente ce recueil comme « une sorte d'introduction ou de préface, destinée à préparer les voies de la publication d'un autre recueil, beaucoup plus considérable ». Les huit années suivantes sont consacrées à la parution de L'Architecture du Ve au XVIIe siècle et de tous les arts qui en dépendent, dont la composition texte/planches est similaire à Monuments anciens et modernes. Le rapprochement des deux ouvrages s'arrête néanmoins là. En effet, le cadre chronologique se resserre à la période médiévale (qui englobe la Renaissance) tandis que le champ d'étude se diversifie (architecture et arts décoratifs) et qu'un classement typologique est adopté (par type d'édifices puis par type d'objets). Si Gailhabaud s'occupe désormais lui-même des textes, toutefois, une importance encore plus grande est donnée à l'image qui doit représenter, de manière exacte, édifices et mobiliers. En effet, non seulement certaines gravures sont effectuées à partir de photographies, mais des lithographies en couleurs sont utilisées pour illustrer les notices consacrées aux décors peints ou aux vitraux. L'auteur se dispense donc d'un texte descriptif, au profit d'une étude historique et scientifique. Dans une digression insérée à l'article « Couronnes de lumière pédiculées », il précise ainsi sa démarche : « Grouper les variétés d'une espèce, en découvrir l'origine et la destination, constater son usage dans certains pays et à telle époque, faire connaître le caractère de chaque école d'art ou d'artistes, préciser leurs emprunts ou leurs influences, apprécier les phases de la technique, y joindre encore les investigations qui sont inhérentes à ce genre de recherches, tout cela m'avait paru beaucoup plus utile qu'un simple texte descriptif. » (L'Architecture du Ve au XVIIe siècle…, 1858, t. IV). Dans le même texte, est définie en outre l'intention de cette « série de monuments », qui est de constituer « une histoire complète de l'architecture et des arts du Moyen Âge », destinée à « l'annaliste et l'antiquaire » qui « pourront, même à de longs siècles de distance, reconstituer toute une civilisation. »

Ainsi, avec Monuments anciens et modernes et L'Architecture du Ve au XVIIe siècle, Gailhabaud veut embrasser l'ensemble des connaissances architecturales et constituer une encyclopédie d'architecture, comme l'annonce dès 1841 l'archéologue Ernest Breton : « Tous les âges, tous les styles seront ainsi passés en revue, et l'ouvrage terminé deviendra une encyclopédie monumentale, où seront enregistrées toutes les œuvres connues de l'architecture, depuis la naissance de l'art jusqu'à nos jours. » (Ernest Breton, Monuments anciens et modernes…, 1841, p. 61) Avec cette ambitieuse entreprise dont l'image se révèle être un véritable outil de pédagogie et de vulgarisation du savoir, Gailhabaud vise un public extrêmement large, du lecteur ignorant à l'érudit en passant par l'artiste, qu'il soit architecte, peintre, verrier ou céramiste. Cependant, lorsqu'en 1863 il commence une troisième publication, L'Art dans toutes ses branches […] chez tous les peuples et à toutes les époques jusqu'en 1789, le désintérêt du public pour les recueils à planches l'oblige à suspendre la parution des livraisons.

Ayant investi à fonds perdus une grande partie de sa fortune, il propose de vendre à la Ville de Paris sa riche bibliothèque, constituée de 25 000 gravures, 1 500 dessins et 8 500 manuscrits et imprimés. Au deuxième trimestre de l'année 1866, la municipalité acquiert cette collection pour le prix de 125 000 francs et d'un poste au sein du service des Travaux historiques de Paris. Gailhabaud est dans un premier temps chargé de travailler, en collaboration avec l'architecte Victor Parmentier, à l'élaboration du plan du musée historique de la Ville à l'hôtel Carnavalet. Puis, en 1867, Charles Poisson lui confie l'aménagement de la section « Vie privée », qui va devenir le musée de l'Ustensillage. Installé dans la maison communale du quai de Béthune, ce musée doit constituer une « véritable encyclopédie de la vie quotidienne des Parisiens depuis la Renaissance » (Madeleine Dubois, Les Origines…, p. 232) et annonce le musée des Arts et Traditions populaires. Gailhabaud investit une grosse partie du budget alloué par le conseil municipal au musée Carnavalet, à l'achat et à l'installation des collections. Organisant les salles de la même manière qu'il a constitué ses séries monumentales, c'est-à-dire dans un but pédagogique avec une présentation chronologique puis thématique, il cherche à intéresser un large public. Ainsi, le musée connaît un vif succès sous la Commune car le désir d'offrir une éducation artistique aux catégories sociales les moins cultivées trouve un écho dans les idéaux des communards. Cependant, Gailhabaud est sacrifié avec son musée dès la première Commission des beaux-arts de la Troisième République, le 15 septembre 1871, qui l'accuse d'avoir « dénaturé l'idée première du musée et créé, par l'irrégularité de sa gestion, les plus graves embarras à l'administration municipale. » (cité par Madeleine Dubois, ibid., p. 151) Dès lors, le musée historique de Paris change de dessein et tous les objets rassemblés par l'administrateur, à l'exception des fragments archéologiques toujours à Carnavalet, sont vendus en 1875 et 1881. Le renvoi de Gailhabaud et la destruction de sa bibliothèque dans l'incendie de l'hôtel de Ville mettent fin à sa carrière d'historien de l'art. Aujourd'hui, l'homme et son œuvre sont relativement méconnus tandis que son action au sein du musée Carnavalet et sa collection technologique sont totalement tombées dans l'oubli.

Peggy Rodriguez, historienne de l'art

Principales publications

Ouvrages et catalogues d'expositions

  • Monuments anciens et modernes, collection formant une histoire de l'architecture des différents peuples à toutes les époques. Paris : Librairie de Firmin Didot frères, 1840-1850, 4 vol.
  • Ancient and modern architecture : consisting of views, plans, elevations, sections, and details of the most remarkable edifices in the world edited by M. Jules Gailhabaud. Trad. du français et révisé par Francis Arundale et Thomas Leverton Donaldson. Londres : Firmin Didot and Co., 1844-1846, 2 vol.
  • Monumenti antichi e moderni di ogni nazione descritti e rappresentati con prospettive generali e speciali, piante, sezioni ed altri particolari : rifusa e riordinata per la parte descrittiva ed artistica, con divisamento piu esteso e conforme all'utile ed agli studii d'Italia, per cura dell'Ing. arch. Luigi Tatti : parte prima. Turin : Pomba, 1846.
  • Monumentos antiguos y modernos : Coleccion que constituye la Historia de la arquitectura de los diferentes pueblos en todas sus épocas Obra publicada bajo la direccion de M. Julio Gailhabaud. Madrid : J. Boix, 1846.
  • Denkmäler des Baukunst. Unter Mitwirkung von Franz Kugler und Jacob Burckhardt herausgegung von Ludwig Lohde. Hambourg : Meissner, 1847-1850, 4 vol.
  • Comité historique des arts et monuments. – Bibliothèque archéologique publiée par Jules Gailhabaud. Cahiers d'instructions sur l'architecture, la sculpture, les meubles, les armes, les ustensiles et la musique de l'Antiquité et du Moyen Âge. Paris : C. Baudry, 1846.
  • L'Architecture du Ve au XVIIe siècle et les arts qui en dépendent : la sculpture, la peinture murale, la peinture sur verre, la mosaïque, la ferronnerie, etc. Gide, Paris : 1858, 4 vol.
  • Quelques notes sur Jean Goujon. Paris : imprimerie de Pillet fils ainé, 1863.
  • L'Art dans ses diverses branches, ou l'architecture, la sculpture, la peinture, la fonte, la ferronnerie, etc. chez tous les peuples et à toutes les époques jusqu'en 1789, 1re partie. Paris, 1863. Rééd. : Paris : Alf. Cerf Libraire, 1872.
  • Propriété intellectuelle, solution du problème. Paris : imprimerie de Gaittet, 1864.

Bibliographie critique sélective

  • Daly César. – « Critique de l'Histoire des monuments anciens et modernes ». Revue générale de l'architecture et des travaux publics, février 1840, p. 116-117.
  • Jacquemart Albert. – « Rapport fait par M. Jacquemart sur l'ouvrage intitulé : Monuments anciens et modernes, collection formant une histoire de l'architecture des différents peuples à toutes les époques, coll. éd. sous la direction de M. Jules Gailhabaud ». Annales de la Société libre des beaux-arts, 1840-1841, t. X, p. 224-236.
  • Breton Ernest. – « Monuments anciens et modernes, publiés par M. Jules Gailhabaud ». L'Investigateur, journal de l'Institut historique, t. I, 1841, p. 60-61.
  • « Chronique ». Bulletin monumental, 1843, p. 136.
  • Wright T. – « Notice of new publications : Ancient and modern architecture : chronologically arranged by Jules Gailhabaud, second series, Didot, 1846 ». Journal of the British Archaeological Association, 1846, p. 121-123.
  • Kugler Franz. – « Rezension von : Denkmäler des Baukunst aller Zeiten und Länder, J. Gailhabaud ». In Kleine Schriften und Studien zur Kunstgeschichte, t. II. Stuttgart : Ebner & Seuber, 1854, p. 408-410, 645-647.
  • Pelletan Eugène. – « Gailhabaud. Histoire de l'architecture ». In Heures de travail, t. II. Paris : Pagnerre, 1854, p. 265-274.
  • Quérard Joseph-Marie. – « L'Architecture du Ve au XVIIIe siècle […] par Jules Gailhabaud ». Archives d'histoire littéraire, de biographie et de bibliographie françaises, 1855, 1re année, p. 418-419.
  • « Chronique : acquisition de l'hôtel Carnavalet ». La Revue de l'art chrétien, octobre 1866, 10e année, p. 549.
  • Dubreuil Jacques [Jules Cousin]. – « Architecture ». Le Mois artistique. Revue critique du vrai et du beau dans les arts, novembre 1866, t. I, 1re année, 2e livraison, p. 119-131.
  • Poisson Charles. – Mémoires sur l'œuvre historique de la Ville de Paris par le baron C. Poisson. Paris : imprimerie Impériale, 1867.
  • Poisson Charles. – Les Donateurs du Musée historique de la Ville de Paris. Paris : imprimerie Impériale, 1868.
  • Verly Hippolyte. – Essai de biographie lilloise contemporaine (1800-1869), augmenté d'un supplément et accompagné de notes historiques et bibliographiques. Lille : Leleu, 1869.
  • Dantès Alfred. – Dictionnaire biographique et bibliographique, alphabétique et méthodique, des hommes les plus remarquables dans les lettres, les sciences et les arts, chez tous les peuples, à toutes les époques. Paris : Boyer, 1875.
  • Bitard Adolphe. – Dictionnaire général de biographie contemporaine française et étrangère : contenant les noms et pseudonymes de tous les personnages célèbres du temps présent. Paris : M. Dreyfous, 1878.
  • Glaeser Ernest. – Biographie nationale des contemporains, rédigée par une Société de gens de lettres, sous la direction de M. Ernest Glaeser. Paris : Glaeser, 1878.
  • Catalogue des objets d'art et de curiosité… provenant du musée Carnavalet et dont la vente aura lieu… hôtel Drouot, salle n° 1, les lundi 24, mardi 25, mercredi 26, jeudi 27, vendredi 28 et samedi 29 janvier 1881. Paris : imprimerie De Pillet et Dumoulin, s. d.
  • Lermina Jules. – Dictionnaire universel illustré biographique et bibliographique de la France contemporaine. Paris : L. Boulanger, 1885.
  • Vente (livres), 20 juin 1888. Collection Gailhabaud. Paris : Martin, 1888.
  • Cousin Jules. – « L'Hôtel Carnavalet ». In La France artistique et monumentale, Henry Havard, dir.. Paris : Librairie illustrée, t. I, 1892, p. 105-128.
  • Vapereau Gustave. – Dictionnaire universel des contemporains contenant toutes les personnes notables de la France et des pays étrangers. Paris : L. Hachette, 1893, 6e éd.
  • Lacombe Paul. – « Jules Cousin ». Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 15 novembre 1899, p. 535-542.
  • Dubois Madeleine. – Les Origines du musée Carnavalet. La formation des collections et leur accroissement. 1870-1897. Mémoire de recherches approfondies, sous la dir. de Gaston Brière et François Boucher. Paris : École du Louvre, 1947, 4 vol.
  • Jeanjot Paul. – Index biographique des membres, correspondants et associés à l'Académie royale de Belgique de 1769 à 1963. Bruxelles, 1964.
  • Talenti Simona. – L'Histoire de l'architecture en France, émergence d'une discipline (1863-1914). Paris : Picard, 2000.

Sources identifiées

Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique

  • Correspondance de Jules Gailhabaud avec Édouard van Even, bibliothécaire (1853-1854) (Ms II, 7.203/29 à 34)

Paris, Archives nationales

  • Indemnités littéraires accordées à Jules Gailhabaud par le ministère de l'Instruction publique (1877-1888) (F17 3155)

Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris

  • Papiers Théodore Vacquer : rapports sur ses travaux (Ms 261) ; rapport sur l'état du service : pertes définitives (dont la collection Gailhabaud) et objets sauvés (29 mai 1871) (fol. 65-66) ; rapport de Jules Gailhabaud sur l'arcade de la rue de Nazareth (21 juin 1871) (fol. 182-183) ; rapport de Tisserand sur le musée de la Maison municipale du quai de Béthune (22 novembre 1871) (fol. 179)

En complément : Voir la notice dans AGORHA