COURANT, Maurice(12 octobre 1865, Paris – 18 août 1935, Lyon)

Autrice de la notice : Stéphanie BROUILLET, conservatrice du patrimoine, inspectrice des collections au Mobilier national, doctorante en histoire des collections à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Dominique Poulot.

Profession ou activité principale
Secrétaire-interprète au ministère des Affaires étrangères, puis professeur de chinois

Autres activités
Sinologue, linguiste, philologue

Sujets d'étude
Littérature, histoire, civilisation et langue coréennes, histoire et langue chinoises, langue japonaise

Carrière
1883 : bachelier ès lettres et ès sciences
1886 : licence de droit de l’université de Paris
1885-1888
 : diplôme de chinois et de japonais de l’École des langues orientales
1888-1890 : élève-interprète chargé des fonctions de premier interprète à la légation de France à Pékin, Chine
1890-1892 : interprète-chancelier à la légation de France à Séoul, Corée
1892-1893 : interprète à la légation de France à Pékin, Chine
1893-1895 : premier interprète à la légation de France à Tokyo, Japon
1895-1896 : premier interprète au consulat de France à Tianjin, Chine
1897-1912 : chargé de la rédaction du catalogue des fonds extrême-orientaux de la Bibliothèque nationale, d’abord à temps plein, jusqu’en 1900, puis à temps partiel (deux mois dans l’année)
1897-1899 : chargé de la chaire de chinois au Collège de France, en remplacement d’Édouard Chavannes, malade
1900-1913 : maître de conférences chargé des cours de chinois à la faculté de lettres de l’université de Lyon ; chargé de cours de chinois (langue chinoise, civilisation) à la Chambre de commerce de Lyon
1913-1934 : professeur, titulaire de la chaire de chinois de l’université de Lyon
1919 : membre d’une mission universitaire au Japon et en Chine ; bref voyage en Corée
1920 : membre fondateur de l’Institut franco-chinois de Lyon
1922-1926 : administrateur délégué de l’Institut franco-chinois de Lyon
1926-1934 : chargé d’un cours de civilisation extrême-orientale à l’université de Lyon

Décoration
Chevalier de la Légion d’honneur, juillet 1934

Étude critique

Interprète et savant
Maurice Courant fut formé à l’École des langues orientales. Créée en 1795 et réorganisée par un décret du 8 novembre 1869, cette école avait pour rôle principal de former des interprètes pour le compte du ministère des Affaires étrangères. Les professeurs de chinois de Maurice Courant sont donc d’anciens praticiens : Gabriel Dévéria (1844-1899) d’abord, qui avait servi en Chine de 1860 à 1882, puis Maurice Jametel (1856-1899), ancien gérant du consulat de France à Hong Kong (Galy 1995). L’enseignement du chinois y est pensé à des fins pratiques, fondé sur l’acquisition de la grammaire, de la prononciation et de notions de civilisation permettant aux futurs interprètes de comprendre leurs interlocuteurs chinois. Titulaire d’une bourse d’études versée par le ministère des Affaires étrangères, Maurice Courant y commence naturellement sa carrière, en tant qu’élève-interprète à Pékin. Ses activités diplomatiques lui laissent néanmoins le loisir de se consacrer à des recherches historiques sur le fonctionnement de la cour de Pékin. Il ne fait pas figure d’exception au sein du personnel diplomatique de l’époque, qui s’occupe souvent de sujets intellectuels ou artistiques (Bensacq-Tixier 2008). Le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts s’appuie ainsi sur un réseau de correspondants pour accroître les connaissances sur ces pays étrangers et alimenter en œuvres d’art les musées français. Maurice Courant s’oriente naturellement vers la sinologie et l’étude des textes anciens. La note qu’il consacre à la cour de Pékin devait être la première partie d’un travail plus ambitieux.

Le goût de la Corée
En 1890, une nouvelle affectation vient bouleverser ses projets. Maurice Courant est nommé à Séoul, où la légation de France est ouverte depuis 1887. Le personnel diplomatique se limite – outre le secrétaire – au représentant de la France, Victor Collin de Plancy (1853-1922). La Corée est un petit pays méconnu, qui ne s’est ouvert à l’extérieur qu’en 1885. Sa langue et sa culture sont un territoire vierge pour les orientalistes (Quisefit 2015). Mais, pour un jeune interprète ambitieux et passionné par la culture chinoise, être nommé à Séoul, ville provinciale bien éloignée de la Chine, apparaît plutôt comme une punition. Pour distraire son collègue, Collin de Plancy l’initie à la littérature coréenne en lui faisant découvrir les librairies de la ville et en lui ouvrant les portes des bibliothèques officielles. Un projet commun naît alors : faire connaître au public français la culture coréenne en dressant un panorama complet des ouvrages publiés dans le pays sur tous les sujets. Nommé loin, Victor Collin de Plancy renonce au projet. Maurice Courant le poursuit seul avec assiduité. La Bibliographie coréenne est publiée en quatre volumes entre 1894 et 1901. Il s’agit d’une somme conséquente de connaissances sur la Corée, réparties en notices bibliographiques complètes, classées par thèmes. Cette vaste entreprise est toujours reconnue aujourd’hui par les coréanologues comme une source importante de savoirs sur la Corée, notamment parce qu’elle recense des ouvrages disparus dans les conflits du XXe siècle (Lee 2006). Édouard Chavannes (1865-1918), éminent sinologue, salue dans le Journal asiatique la parution du premier tome de cette Bibliographie, indiquant qu’il ne s’agit pas uniquement d’une liste d’ouvrages mais bien d’une somme importante de savoirs, les titres étant accompagnés de brèves notices décrivant le contenu des livres (Chavannes 1895). Le compte rendu concerne cependant surtout l’introduction de l’ouvrage, qui dresse, en cent-soixante pages un panorama synthétique et pertinent de l’histoire de la Corée, de sa langue, de sa littérature et de l’impression coréenne. Éditée à part, l’introduction de la Bibliographie coréenne aurait pu susciter l’intérêt des orientalistes, voire du grand public, comme ce fut le cas par exemple en Angleterre, où l’introduction traduite fut rééditée à plusieurs reprises (Massy Royds 1936). Mais l’ouvrage intégral, du fait de sa volonté d’exhaustivité et de son classement par thèmes, est aride et difficilement abordable pour des non-spécialistes. Or, en dehors de Maurice Courant lui-même, il n’existe alors en France aucun spécialiste de la Corée. Édouard Chavannes conclut d’ailleurs son compte rendu en émettant le vœu que l’auteur de la Bibliographie puisse « revenir en France et faire un catalogue raisonné des livres chinois que possède la Bibliothèque nationale », marginalisant ainsi les études coréennes.

L’ambition d’un orientaliste
En 1896, las d’attendre sa titularisation et fatigué par une vie nomade et difficile, Maurice Courant décide de renoncer à la carrière d’interprète et s’oriente plutôt vers les études orientales et l’enseignement. Il remplace ainsi Édouard Chavannes, chargé de cours de chinois au Collège de France, en 1897. Il accepte aussi de rédiger, pour la Bibliothèque nationale, un nouveau catalogue des manuscrits chinois, japonais et coréens. Maurice Courant tente également de se faire nommer à l’École des langues orientales. Il vise la chaire de japonais, tenue par l’orientaliste Léon de Rosny, déjà très âgé. Il publie, pour se faire connaître, une Grammaire japonaise. Il consacre également une conférence au musée Guimet aux rapports entre le Japon et la Corée, dans laquelle il insiste sur les apports culturels et artistiques de la Corée au Japon : bouddhisme, arts de la sculpture et de la céramique (Courant 1898).
La chaire de chinois de l’École des langues orientales se libère finalement la première au moment du décès prématuré de Dévéria en 1899. Mais l’École des langues orientales préfère un praticien, Arnold Vissière (1858-1930), ancien interprète en Chine, au savant Maurice Courant, qui renonce à enseigner à Paris. Ces années lui ont néanmoins permis de poursuivre ses recherches sur l’Extrême-Orient et notamment sur la Corée, à laquelle il consacre plusieurs conférences au musée Guimet. Il est également chargé en 1900 de rédiger le livret qui accompagne la présentation officielle du pays à l’Exposition universelle de Paris. Il y exprime tout son intérêt pour ce petit pays méconnu et menacé par les ambitions croissantes du Japon voisin. Cet ouvrage lui permet également de présenter de façon synthétique sa conception de l’art coréen, entre l’art chinois et l’art japonais. Il décrit ainsi un « art coréen, plus vivant, plus observateur que l’art chinois des derniers siècles, sans atteindre à la fantaisie, à la richesse, à la vérité sobre de l’art japonais » (Courant 1900, p. VIII). Selon lui, l’art coréen, bien qu’héritier de l’art chinois, doit beaucoup à l’observation de la nature, que les artistes et artisans coréens savent rendre avec vivacité. Maurice Courant loue aussi l’« austérité et le bon goût » de l’art coréen « qui ne sont pas sans grâce » (Courant 1900, p. VII).

Un orientaliste en province
En 1900, Maurice Courant est chargé de cours de chinois à l’université et à la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon. Les liens avec la Chine sont très importants pour cette ville où règne l’industrie de la soie. Loin de Paris, Maurice Courant se consacre à l’enseignement du chinois et à des cours de civilisation extrême-orientale. Il participe également à la création d’un institut franco-chinois, financé par les deux pays et destiné à former en France des étudiants chinois. Ces tâches administratives, ses activités d’enseignement et une blessure à la main droite en 1910, dont il ne se remet jamais complètement, limitent ses recherches et ses publications (Bouchez 1983). En 1913, il présente sa thèse de doctorat consacrée à la musique chinoise, avec un appendice sur la musique coréenne. En 1919, Maurice Courant fait partie d’une mission diplomatique universitaire en Asie, dont l’objectif est d’établir des liens plus étroits entre les universités françaises et les établissements chinois et japonais. Ce séjour en Asie est l’occasion de se rendre une dernière fois en Corée. Les dernières années de sa vie sont consacrées à l’enseignement et à la rédaction d’articles de commentaires sur l’actualité des pays extrême-orientaux dans les Annales des sciences politiques. Les thèmes de ses derniers cours prouvent que Maurice Courant a amassé des connaissances très importantes sur la Corée lors de ses deux courts séjours. Il aborde ainsi des sujets très pointus, tels que le changement dynastique qui fit passer de Goryeo à Joseon en 1392.
Maurice Courant fut le seul orientaliste de sa génération à s’intéresser de manière approfondie à la Corée. Mais cet intérêt pour un pays méconnu, annexé en 1905 par le Japon, ne lui a pas été profitable : exclu des grandes instances d’enseignement parisiennes, Maurice Courant n’a finalement pu entreprendre le catalogue des manuscrits coréens de la Bibliothèque nationale, catalogue qui aurait peut-être permis un véritable essor des études coréennes. Ses travaux sont restés longtemps confidentiels et il fallut attendre les années 1950 et la création d’une chaire de coréen par le professeur Li Ogg à l’École nationale des langues orientales vivantes, ainsi que la création d’un institut d’études coréennes au Collège de France, pour que fût enfin reconnu Maurice Courant.

Principales publications

Ouvrages

  • La Cour de Péking. Notes sur la constitution, la vie et le fonctionnement de cette cour, Paris, E. Leroux, 1891.
  • Bibliographie coréenne. Tableau littéraire de la Corée. Contenant la nomenclature des ouvrages publiés dans ce pays jusqu’en 1890 ainsi que la description et l’analyse détaillées des principaux d’entre ces ouvrages, Paris, E. Leroux, 1894-1901 (trad. partielle en anglais de l’introduction par James S. Gale, The Korea Review, 1901, p. 155-163 ; trad. anglaise intégrale par Mrs W. Massy Royds, Transactions of the Korea Branch of the Royal Asiatic Society, XXV, 1936, p. 1-99).
  • « La Corée jusqu’au IXe siècle. Ses rapports avec le Japon, influence sur les origines de la civilisation japonaise », T’oung Pao, 1898, p. 1-27.
  • Grammaire de la langue japonaise parlée, Paris, E. Leroux, 1899 (imprimé par Tokyo Tsukiji Type Foundry, Tokyo).
  • Souvenirs de Séoul. Corée, 1900, Paris, imprimerie de la Photo-couleur, 1900.
  • Supplément à la « Bibliographie coréenne », jusqu’en 1899, Paris, E. Leroux, 1901.

Articles

L’ensemble des articles sur la Corée rédigés par Maurice Courant a été publié dans un numéro spécial des Cahiers d’études coréennes :

  • Cahiers d’études coréennes, 1 : Études coréennes de Maurice Courant, éd. Daniel Bouchez, 1983.

Bibliographie critique sélective

  • Édouard Chavannes, « Compte rendu de Bibliographie coréenne », Journal asiatique, 9-V, 1895, p. 539-542.
  • Daniel Bouchez, « Un défricheur méconnu des études extrême-orientales : Maurice Courant (1865-1935) », Journal Asiatique, 271, 1983, p. 43-150, [en ligne] halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00724923/document.
  • James Scarth Gale, The Korea Review, 1901.
  • Laurent Galy, « Entre sinologie pratique et sinologie savante. Les interprètes professeurs de l’École des langues orientales vivantes, 1871-1930 », dans Marie-Claire Bergère et Angel Pino (dir.), L’Histoire des Langues’O. Un siècle d’enseignement du chinois à l’École des Langues orientales, Paris, L’Asiathèque, 1995, p. 130-134.
  • Élisabeth Chabanol (dir.), Souvenirs de Séoul, Séoul, École Française d’Extrême Orient, 2006, en particulier : Lee Hee-jae, « Maurice Courant et la Bibliographie coréenne »,p. 50-62.
  • Nicole Bensacq-Tixier, Histoire des diplomates et consuls français en Chine, 1840-1912, Paris, Les Indes savantes, 2008.
  • Laurent Quisefit, « Les voyageurs français en Corée au XIXe siècle », dans Romane Sarfati (dir.), Roman d’un voyageur. Victor Collin de Plancy et l’histoire des collections coréennes en France, cat. exp. (Sèvres, Cité de la céramique, 21 janvier – 20 juillet 2015), Paris, Loubatières, 2015, p. 30-33.
  • W. Massy Royds, « Introduction to Courant’s “Bibliographie Coréene” », Transactions of the Korea Branch of the Royal Asiatic Society, XXV, 1936.

Sources identifiées

La Courneuve, Centre des Archives diplomatiques

  • PAAP 50 : Papiers d’agents, Victor Collin de Plancy. L’ensemble des lettres de Maurice Courant adressées à Victor Collin de Plancy a été publié en 2017 : Maurice Courant, Une amitié pour la Corée. « Cher Monsieur Collin de Plancy », Paris, Collège de France (« Kalp’i – Études coréennes »), 2017.

Paris, Archives des Missions étrangères de Paris

  • Archives de Mgr Mutel, évêque de Séoul.

En complément : Voir la notice dans AGORHA