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Architectures du Vietnam colonial. Repenser le métissage
L’architecture a très peu été étudiée dans l’Indochine française, contrairement au Maroc, l’Algérie ou l’Égypte de l’époque coloniale. Architectures du Vietnam colonial comble amplement cette lacune. Mais ce livre est aussi un ouvrage décisif sur l’histoire politique et sociale des échanges culturels au sein de cette colonie française. Il en renouvelle en profondeur les perspectives tant par son approche méthodologique que par sa réflexion théorique sur le concept d’hybridation, sur le moment colonial. Il est appelé à faire date dans les études coloniales en France.
L’originalité de cet ouvrage provient de ce que Caroline Herbelin a fondé son étude sur une enquête de terrain vaste et approfondie. À commencer bien sûr par une consultation des archives, françaises comme vietnamiennes. L’auteur a ainsi pu reconstituer les discussions qui ont présidé à la création d’une section Architecture dans l’École des beaux-arts de l’Indochine créée par Victor Tardieu, concernant le choix des matériaux de construction, « indigènes » (bambou, bois, paillote, torchis) ou métropolitains en dur (fer, béton, tuiles, briques), etc. L’auteur a également suivi les cheminements des techniques entre la métropole et la colonie jusque dans leur perception et formulation, pour identifier les interactions des deux systèmes techniques mis en présence. Pour finir, elle a interrogé la mémoire des vivants, témoins contemporains des survivances et des suites de l’époque coloniale.
Ce matériau riche et divers que Caroline Herbelin rassemble en lui restituant toute sa vie, lui a, en retour, permis d’opérer un déplacement décisif dans la définition de son objet d’étude, l’architecture. Celle-ci n’est plus abordée du seul point des bâtiments effectivement construits, ou de leur portée esthétique, mais aussi comme un objet d’art au sens étymologique d’ars, c’est-à-dire comme ce qui est fabriqué par les hommes et s’inscrit dans un jeu de relations économiques, politiques et sociales et est doté d’une « vie sociale ». L’approche se doit dès lors d’être concrète, matérielle et pratique : il s’agit de comprendre comment la construction d’un bâtiment a résulté de négociations et de stratégies entre les différentes instances et relais des pouvoirs colonial et local, entre les populations « indigène » et française, mais aussi entre les différentes solutions techniques et esthétiques qui se sont offertes à ce moment-là.
Une histoire, des histoires se racontent à travers cette enquête et qui ne sont pas celles que l’on attend. Caroline Herbelin ne fait pas le récit d’une architecture qui serait nécessairement l’instrument d’une domination unilatérale, a fortiori en contexte colonial ; elle ne retrace pas l’aventure d’une architecture triomphante où Saigon ferait figure de la « perle française de l’Extrême-Orient » et Hanoi est comparée à Paris ; elle ne se limite pas non plus à l’histoire politique énoncée par les pouvoirs, celle d’une politique dite d’« association », prônée par Albert Sarraut dès le début des années 1910, qui devient au fil du temps « politique de collaboration », ni à une histoire événementielle. Ce qu’elle décrit, par exemple, derrière des pratiques dites de « zoning » (découpage du territoire en zones fonctionnelles différenciées), derrière des pratiques de ségrégation souvent contrecarrées en raison de nécessités matérielles, c’est l’apparition d’une autre ville entre les plans, où des Français habitent des maisons « vietnamiennes » et inversement. Ce sont les tentatives de la fondation d’un style « indochinois » prônée par l’architecte français Ernest Hébrard, puis l’apparition des premiers architectes vietnamiens formés à l’École des beaux-arts d’Indochine avec le soutien de Victor Tardieu et l’ouverture du premier cabinet franco-vietnamien. Ces récits démontrent, notamment à propos du style néoclassique ou de la récente apparition d’un « nouveau style français », l’existence de circulations interasiatiques tout aussi décisives que des transferts d’ouest en est. Ce qu’elle révèle donc, c’est qu’il n’y a pas une architecture coloniale à proprement parler, mais des phénomènes de métissage qui s’inscrivent dans un rapport complexe de différentes historicités enchâssées, de différentes cultures entrecroisées, et dans lequel vient s’inscrire le moment colonial. L’image qu’elle a choisie en couverture de son ouvrage révèle une somptueuse maison Art Déco construite dans la campagne du Vietnam du Sud par un maître d’œuvre vietnamien: les échanges culturels sont bien loin de s’être limités à l’architecture savante, citadine, ils ont aussi gagné l’architecture populaire des campagnes…
Caroline Herbelin, chercheuse spécialiste de l’Asie, des échanges culturels et de l’histoire urbaine au Vietnam, est maître de conférences et enseigne à l’université de Toulouse – Jean-Jaurès. Elle est membre associée au Centre de recherches sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne (CREOPS), au laboratoire de recherche France-Amériques-Espagne. Sociétés, pouvoirs, acteurs (FRAMESPA) et présidente de l’Association française pour la recherche sur l’Asie du Sud-Est (AFRASE). Elle a été conseillère de l’exposition « Indochine, des territoires et des hommes (1856-1956) », dont elle a coédité le catalogue (Paris, Gallimard, 2013).
Autour de l’ouvrage
Lire le compte rendu du bulletin de la Société française d’histoire des outre-mers.
L’ouvrage à reçu le prix Alf Andrew Heggoy 2017 de la French Colonial Historical Society.
Rencontres avec l’auteur
3 juin 2016, 17 h-18 h : avec Antoine Gournay, Festival de l’histoire de l’art, Fontainebleau, vestibule Serlio.
14 décembre 2016, 18 h 30-20 h : avec Mercedes Volait, INHA, salle Vasari.