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RODIN, Auguste
Mis à jour le 19 décembre 2008(12 novembre 1840, Paris – 17 novembre 1917, Meudon)
Auteur(s) de la notice :
LE NORMAND-ROMAIN Antoinette
Profession ou activité principale
Sculpteur
Autres activités
Dessinateur, collectionneur
Sujets d’étude
Sculpture, architecture romane et gothique, art du XVIIIe siècle
Carrière
1871 : appelé par Albert-Ernest Carrier-Belleuse, s’installe à Bruxelles et y séjourne jusqu’en 1877
1875 : première exposition au Salon (L’Homme au nez cassé, buste, marbre)
1876 : premier voyage en Italie (Rome, Naples, Florence) : découverte de Michel-Ange
1877 : expose L’Âge d’airain (plâtre) à Bruxelles puis à Paris au Salon – est accusé de l’avoir réalisé à partir de moulages sur nature
1880 : Saint Jean-Baptiste au Salon ; premier achat de l’État (L’Âge d’airain, bronze), et commande de La Porte de l’Enfer
1881 : premier voyage en Angleterre : découverte de la gravure grâce à Alphonse Legros
1884 : le buste de Victor Hugo, exécuté l’année précédente, est exposé au Salon
1885 : commande des Monument à Bastien-Lepage (Damvillers, 1889) et aux Bourgeois de Calais (Calais, 1895)
1886 : important ensemble de figures destinées à La Porte de l’Enfer exposé chez Georges Petit
1888 : commande par l’État du Baiser en marbre
1889 : commande des Monument à Claude Lorrain (Nancy, 1892) et à Victor Hugo (destiné au Panthéon et placé au Palais Royal en 1909) ; exposition Monet-Rodin à la galerie Georges Petit ; participe à la fondation de la Société nationale des beaux-arts
1890 : La Porte de l’Enfer atteint son état définitif ; commande du Monument à Balzac
1893 : participe à la première « Sécession » de Munich ; s’installe à Meudon
1894 : commande du Monument au président Sarmiento (Buenos Aires, 1900)
1895 : achat de la villa des Brillants à Meudon, résidence de Rodin désormais
1896 : exposition Rodin, Puvis de Chavannes, Carrière au musée Rath à Genève
1897 : le Monument à Victor Hugo est présenté au Salon de la Société nationale des beaux-arts ; publication de l’album Les Dessins de Auguste Rodin préfacé par Octave Mirbeau
1898 : Balzac et Le Baiser au Salon de la Société nationale des beaux-arts : le premier fait scandale et est refusé par la Société des gens de lettres qui l’avait commandé
1899 : commande du Monument à Puvis de Chavannes (inachevé) ; première exposition personnelle, à Bruxelles puis aux Pays-Bas
1900 : exposition Rodin place de l’Alma à Paris, dans un pavillon construit spécialement pour cela : sculptures (dont, pour la première et unique fois, La Porte de l’Enfer, mais dans une version privée de ses figures), dessins et photographies
1904 : le grand Penseur est exposé à Londres et à Paris
1905 : commande du Monument à James Mc Neil Whistler (inachevé)
1906 : Le Penseur, offert par souscription à la Ville de Paris, est placé devant le Panthéon ; dessins d’après les danseuses cambodgiennes
1907 : L’Homme qui marche au Salon de la Société nationale des beaux-arts ; première exposition consacrée uniquement au dessin, à la galerie Bernheim Jeune
1908 : découverte de l’hôtel Biron
1909 : projet du musée Rodin
1911 : L’Homme qui marche, acquis par un groupe d’amateurs, est placé dans la cour du Palais Farnèse, à Rome ; parution de L’Art ; acquisition du groupe des Bourgeois de Calais par le National Trust, placé dans les jardins de Westminster à Londres
1913 : exposition de sculptures de Rodin et d’antiques de sa collection à la faculté de médecine de Paris
1914 : parution des Cathédrales de France
1916 : fait donation de son œuvre et de ses collections à l’État français ; l’Assemblée nationale vote l’établissement du musée dans l’hôtel Biron
1919 : ouverture du musée Rodin
Chevalier de la Légion d’honneur (1887) ; officier (1892) ; commandeur (1903) ; grand officier (1910) ; vice-président de la Société nationale des beaux-arts et président de la section sculpture (1892) ; président de l’International Society of sculptors, painters, and engravers, en remplacement de James Mc Neil Whistler (1904) ; membre du Conseil supérieur des beaux-arts (1905) ; membre titulaire de l’Académie des beaux-arts de Berlin (1906) ; docteur honoris causa des universités d’Iéna (1905), Glasgow (1906), Oxford (1907)
Étude critique
Rodin peut-il être qualifié d’historien d’art ? Oui, si l’on en croit Paul Gsell qui affirmait à son propos en 1907 : « Quoi qu’on en dise, ce sont encore les artistes qui savent le mieux parler d’art » (Paul Gsell, « Propos d’Auguste Rodin sur l’art et les artistes », 1907, p. 95).
Rodin lui-même n’a jamais prétendu en être un. Cependant, à partir de 1900, tandis que sa réputation de sculpteur le mettait au premier plan de la scène artistique, il commença à constituer une collection aux orientations diverses, allant de l’antique à l’Extrême-Orient ou à la peinture contemporaine. Des journalistes, Paul Gsell, Gustave Coquiot, Georges-Gustave Toudouze, rédacteur en chef de la nouvelle revue Le Musée, des proches comme Charles Morice, René Chéruy qui fut par périodes son secrétaire de 1902 à 1908, recueillirent alors ses propos sur l’art ou l’incitèrent à prendre lui-même la plume.
Trois types de publication virent ainsi le jour : quelques articles, tout d’abord, signés par Rodin, approches personnelles de l’antique et de la sculpture indienne, écrits à la demande de Georges Toudouze pour les premiers, et de Victor Goloubew pour le dernier, ou textes plus brefs portant sur telle ou telle église (Notre-Dame-du-Fort à Étampes, dans Le Gaulois du 11 mars 1910), la restauration (« Un sacrilège national. Nous laissons mourir nos cathédrales », Le Matin, 23 décembre 1909), la danse (« La Rénovation de la danse. Loïe Fuller, Isadora Duncan, Nijinski », Le Matin, 31 mai 1912), etc. En second lieu, des « propos » recueillis en particulier par Gsell, mais également par Coquiot et Chéruy. « De temps en temps, il laisse échapper une courte phrase sur un ton peu élevé et tout en rêvant, semble-t-il. Si cependant le sujet lui plaît, soudain il en disserte passionnément, il sourit aux idées qui lui agréent, il s’emporte contre les hommes et les choses qui lui sont antipathiques » (Paul Gsell, « Propos d’Auguste Rodin sur l’art et les artistes », 1907, p. 96). Gsell en tira un volume, L’Art (1911), qui connut de multiples réimpressions car il est une des sources les plus précieuses pour connaître la pensée de Rodin, pensée bien évidemment structurée par son expérience d’artiste. Enfin, une série de notes et manuscrits inspirés par la visite des cathédrales (dont témoignent aussi environ 2 000 croquis), mis en forme par Charles Morice, également auteur de l’introduction, et Louis Gillet, fut publiée en 1914 sous le titre Les Cathédrales de France, avec cent dessins reproduits en fac-similé par Auguste Clot.
« Ce livre ne dissèque pas la cathédrale ; il la montre, vivante, à la vie » (Les Cathédrales de France, 1914, p. 135). Rodin en parle presque amoureusement, consacrant des chapitres qui sont plutôt des méditations poétiques à Étampes, Mantes, Nevers, Amiens, Le Mans, Soissons, Reims, Laon et Chartres, dans lesquels il condamne violemment le principe de restauration : « On continuera à casser et on continuera à réparer. Rien n’interrompra-t-il cet abominable dialogue où l’hypocrisie donne la réplique à la violence ? » (Les Cathédrales de France, 1914, p. 92). La nature, sujet de l’un des principaux chapitres du livre, est pour lui à l’origine de la cathédrale : il établit des correspondances avec le paysage français. De même, il compare à plusieurs reprises la cathédrale à une femme agenouillée avant d’en venir à l’idée que l’architecture n’est qu’une transposition de celle-ci, « éternel modèle ». Il le démontre, crayon à la main, et il affirme en conclusion de son livre : « La Renaissance a fait passer la chair adorée de la femme et sa tendresse dans la moulure, dans l’ornement, dans toute l’architecture, cette musique de chair » (Les Cathédrales de France, 1914, p. 159).
Que ce soit dans ses articles, dans L’Art ou dans Les Cathédrales de France, la nécessité pour l’artiste d’une fidélité absolue à la nature, unique et fondamentale source d’inspiration, sous-tend toute sa pensée. « Le mal vient des écoles, des musées. Il ne faut pas aller chercher la science dans les musées ; ils ne sont que pour notre plaisir. Si vous voulez vraiment apprendre, travaillez seul avec la nature, regardez la directement, avec vos yeux seulement. Vous pourrez ensuite aller dans les musées, vous y serez chez vous » (Les Cathédrales de France, 1914, p. 66). Familier des musées, du Louvre en particulier, il s’appuie sur l’exemple de Diego Vélasquez et Jean-François Millet, pour affirmer que « dans l’art est beau uniquement ce qui a du caractère […]. Pour l’artiste digne de ce nom, tout est beau dans la nature, parce que ses yeux, acceptant intrépidement toute vérité extérieure, y lisent sans peine, comme à livre ouvert, toute vérité intérieure » (L’Art. Entretiens…, 1911, p. 52). Après avoir oscillé entre la sculpture de Phidias et celle de Michel-Ange, dont il était capable d’expliquer les principes en quelques instants (L’Art. Entretiens…, 1911, p. 255-286) en modelant des esquisses de La Sculpture grecque et de La Sculpture de Michel-Ange (deux paires : Paris, musée Rodin et New York, Metropolitan Museum), Rodin revint, dans la dernière partie de sa carrière, vers l’antique, les « Grecs » étant pour lui l’exemple même d’un respect et d’un amour de la nature dans lesquels les détails vivants soigneusement préservés se fondent dans l’ensemble. « Ce qu’il y a de divin en toi, c’est l’amour infini de ton sculpteur pour la nature », déclarait-il à la Vénus de Milo (« Vénus. À la Vénus de Milo », 1910, p. 245). C’est la raison pour laquelle, alors qu’il ne « comprenait » pas Paul Cézanne et même s’il préférait Albert Besnard, René Ménard, Eugène Carrière ou Claude Monet, il appréciait Vincent van Gogh – dont il acquit un chef-d’œuvre, Le Père Tanguy : « Il néglige toutes les recettes académiques […]. Il se place naïvement devant la nature et cherche à la traduire. Qu’il y ait réussi c’est une autre affaire […]. Mais dans ma haine de tout ce qui sent l’École, je pardonne beaucoup à l’indépendance de Van Gogh » (Paul Gsell, « Propos d’Auguste Rodin… », 1907, p. 98).
La classification des peintres entre coloristes et dessinateurs n’avait pour Rodin aucun sens, car seule compte la « vérité qui se révèle ». Un bon buste « vaut une biographie », déclare-t-il à propos de Jean-Baptiste Houdon (L’Art. Entretiens…, 1911, p. 164). Mais il va plus loin encore – et c’est là qu’il est le plus original – pour inscrire cette vérité dans la durée, par la représentation du mouvement, et il trouve alors dans des œuvres comme Le Derby d’Epsom de Théodore Géricault ou L’Embarquement pour Cythère d’Antoine Watteau la confirmation de ses propres intuitions : « C’est l’artiste qui est véridique et c’est la photographie qui est menteuse ; car dans la réalité le temps ne s’arrête pas : et si l’artiste réussit à produire l’impression d’un geste qui s’exécute en plusieurs instants, son œuvre est, certes, beaucoup moins conventionnelle que l’image scientifique où le temps est brusquement suspendu » (L’Art. Entretiens…, 1911, p. 86).
Ayant reconnu la même présence de la nature dans l’art gothique mais aussi dans l’art oriental, grâce au Ballet royal du Cambodge qui se produisit à Paris en 1906, il en arriva à opérer une assimilation entre ces trois formes d’art : « Quel mirage s’est produit dans mon esprit ? Je reviens encore une fois [à Chartres], j’arrive, je lève les yeux : cet Ange est une figure cambodgienne ! […]. Comme j’avais reconnu la beauté antique dans les danses du Cambodge […], je reconnus la beauté cambodgienne à Chartres. […] L’analogie entre toutes les belles expressions humaines de tous les temps justifie et exalte chez l’artiste sa profonde croyance en l’unité de la nature » (Les Cathédrales de France, 1914, p. 120).
Antoinette Le Normand-Romain, conservateur général du patrimoine, directeur général de l’INHA
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- L’Art. Entretiens réunis par Paul Gsell. Paris : Bernard Grasset, 1911.
- Les Cathédrales de France. Introd. de Charles Morice. Paris : Librairie Armand Colin, 1914.
Articles
- « La Leçon de l’antique. Propos d’Auguste Rodin ». Le Musée. Revue d’art antique, n° 1, janvier-février 1904, vol. 1, p. 15-18. Repris et développé : « La Leçon de l’antique ». Touche à tout, n° 10, octobre 1909, p. 497-502.
- « Une statue de femme au musée de Naples ». Le Musée. Revue d’art antique, n° 3, mai-juin 1904, vol. 1, p. 116-120.
- « La Tête Warren ». Le Musée. Revue d’art antique, n° 6, novembre-décembre 1904, vol. 1, p. 298-301.
- « Vénus. À la Vénus de Milo ». L’Art et les Artistes, n° 10, mars 1910, p. 243-255. Repris dans Rodin, sa vie, son œuvre. Paris : Éditions Artistiques de l’Art et les Artistes, 1914, p. 91-104.
- « Le Parthénon et les Cathédrales ». Le Musée. Revue d’art antique, 1, janvier-février 1905, vol. 2, p. 66-68.
- « La Danse de Civa ». In Ananda Coomaraswamy, Victor Goloubew, Ernest Binfield Havell, Auguste Rodin, Sculptures çivaïtes de l’Inde, Ars Asiatica. Bruxelles : G. Van Oest, 1921, vol. 3, p. 9-13.
Bibliographie critique sélective
- Gsell Paul. – « Propos d’Auguste Rodin sur l’art et les artistes ». La Revue, n° 21, 1er novembre 1907, p. 95-107.
- Cladel Judith. – Auguste Rodin, l’œuvre et l’homme. Préf. de Camille Lemonnier. Bruxelles : Librairie nationale d’art et d’histoire/G. Van Oest et Cie, 1908.
- Coquiot Gustave. – Rodin à l’hôtel Biron et à Meudon. Paris : Librairie Ollendorff, 1917.
- Le Normand-Romain Antoinette, dir. – Rodin et l’Italie : [catalogue de l’exposition], Rome, Villa Medicis, 5 avril – 9 juillet 2001. Rome : Edizioni De Luca, 2001.
- Garnier Bénédicte. – L’Antique est ma jeunesse. Paris : musée Rodin, 2002.
- Delclaux, Marie-Pierre. – Rodin. Éclats de vie. Paris : musée Rodin, 2003.
- Judrin Claudie, dir. – Rodin en Bourgogne. Dessins d’architecture, [catalogue de l’exposition], Auxerre, musées d’Art et d’Histoire, La Charité-sur-Loire, Musée municipal, printemps 2005 et printemps 2006. Auxerre, 2005.
- Beausire Alain, Pinet Hélène, Cadouot Florence et Vincent Frédérique éd. – Correspondance de Rodin, 1860-1917. Paris : musée Rodin, 1985-1992, 4 vol.
- Butler Ruth. – Rodin. The Shape of Genius. New Haven, Londres : Yale University Press, 1993. Trad. de l’anglais par Dennis Collins : Rodin. La Solitude du génie. Paris : Gallimard/musée Rodin, 1998.
- Le Normand-Romain Antoinette. – Rodin et le bronze. Catalogue des œuvres conservées au musée Rodin. Paris : Réunion des musées nationaux/musée Rodin, 2007, 2 vol. Version anglaise : The Bronzes of Rodin. Catalogue of works in the musée Rodin. Paris : Réunion des musées nationaux, 2007, 2 vol.
- Butler, Augustin (de), éd. – Auguste Rodin. Éclairs de pensée. Écrits et entretiens. Paris : Éditions du Sandre, 2008.
Sources identifiées
Paris, musée Rodin
Ensemble de correspondances, notes manuscrites, carnets, coupures de presse, documentation en tout genre (ainsi les Notes de René Chéruy), dont le noyau initial, soigneusement préservé par l’artiste, a fait partie de la donation de 1916. Le musée dispose également d’une assez grande quantité de copies de lettres dont les originaux sont conservés dans de nombreuses institutions ou collections françaises et étrangères.
En complément : Voir la notice dans AGORHA