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MERCEY, Frédéric Bourgeois (de)
Mis à jour le 13 janvier 2009(20 mars 1803, Paris – 5 septembre 1860, La Faloise [Somme])
Auteur(s) de la notice : JARRASSE Dominique
Profession ou activité principale
Peintre, écrivain et administrateur
Autres activités
Historien de l’art, critique
Sujets d’étude
Art antique, art européen première moitié du XIXe siècle
Carrière
1828-1837 : voyages au Tyrol, en Suisse, Italie, Allemagne et Écosse ; en tire des récits et albums illustrés
1831-1848 : expose assez régulièrement au Salon des paysages de Normandie, de Picardie et des pays qu’il a visités ; mais une maladie des yeux l’oblige à abandonner progressivement la peinture
1837-1854 : collaboration à la Revue des deux mondes, à la Revue de Paris, au Moniteur des arts ; œuvres dans L’Artiste
1857 : dernière exposition au Salon
1841 : chef de bureau au département des Beaux-Arts au ministère de l’Intérieur
1852 : chef de la division des Beaux-Arts au ministère d’État et de la Maison de l’Empereur
Mars 1853 : membre libre de l’Académie des beaux-arts
1855 : commissaire général de l’Exposition universelle des beaux-arts (avec pour inspecteurs François Arago et Philippe de Chennevières) et membre du jury de peinture
1855-1857 : publication de ses Études sur les beaux-arts depuis leur origine jusqu’à nos jours
Chevalier (1843), puis officier (15 décembre 1855) de la Légion d’honneur
Étude critique
Un « paysagiste voyageur et lettré » peut-il faire un historien de l’art ? Oui, à la condition d’ouvrir la pratique de cette discipline en gestation à celle d’une écriture courante dans les années 1830-1850, lorsque s’entremêlent encore esthétique, histoire, critique d’art, impressions de voyages ou de salons, toutes rubriques que l’on range alors sous la catégorie « beaux-arts » et qui sont souvent dévolues aux hommes de lettres, plus rarement aux artistes. On pourrait qualifier cette forme d’histoire de l’art, le plus souvent fondée sur le compte rendu bibliographique, sur la visite d’expositions ou de galeries, ou sur une étude, rarement de première main, une histoire de l’art revuiste, tant la revue est représentative des mœurs de cette période et d’une écriture.
C’est celle que pratique brillamment à la Revue des deux mondes Frédéric de Mercey, dont on se plaît à souligner qu’artiste lui-même, il a toute légitimité pour parler. Pierre Larousse, d’ailleurs, précise qu’il « a écrit d’une plume facile quelques livres d’une lecture agréable, dont les meilleurs sont ceux qui ont trait aux beaux-arts. Comme critique d’art, Mercey était loin d’être sans valeur ; si ses jugements n’ont pas la profondeur des études de Gustave Planche, ils sont du moins beaucoup plus impartiaux. » références ? Mais il juge le critique et non l’historien, plus intéressant en fait.
Ce type de démarche paraît doublement hypothéqué par le cadre où elle se développe, une vulgarisation, de bon niveau certes, destinée aux amateurs lecteurs de revues, et par son inscription dans les généralisations marquées par les philosophies de l’histoire de l’art qui fleurissent à l’époque. Néanmoins, il importe réellement de prendre en compte cette forme d’histoire de l’art dans l’appréhension de la manière dont les découvertes archéologiques ou les redécouvertes des valeurs artistiques se sont répandues ; car ces revues sont le vecteur d’une histoire de l’art qui manie parfois l’anecdotique ou le pittoresque, mais restitue aussi les débats importants et parfois les éléments d’une érudition historique indéniable : ainsi un article de Mercey comme « La Peinture flamande et hollandaise », paru dans la Revue des deux mondes du 15 mars 1848, repose sur une analyse des ouvrages d’Arsène Houssaye, d’Alfred Michiels, des Niederlaendische Briefe de Karl Schnaase, du Van Eyck de Gustav Friedrich Waagen, et d’ouvrages de Sulpiz Boisserée et de Heinrich Gustav Hotho. En confrontant de tels auteurs, il est amené à se préoccuper des options philosophiques ou méthodologiques des historiens et donc à se forger non seulement un point de vue sur l’art flamand, mais aussi sur les facteurs déterminant les arts, objet de préoccupation typique de cette génération d’historiens : ainsi rejette-t-il les sept critères de Michiels au profit des trois que propose Hotho.
Mercey fournit donc, parallèlement à ses récits de voyages et ses études historiques, le plus souvent repris dans les recueils comme Scotia ou Souvenirs et Récits de voyage, quelques salons, mais surtout une assez longue série d’articles, entre 1837 et 1854 sur trois périodes privilégiées, l’Antiquité, la Renaissance et l’art moderne. Ces articles, pourvus d’une introduction, ont été réunis dans ses Études sur les beaux-arts, en trois volumes (1855-1857). Pour l’archéologie, avec moins de compétence évidemment qu’un Ernest Beulé dans le Journal des savants ou dans cette même Revue des deux mondes, il expose les fouilles et les découvertes, des arts orientaux en particulier ; d’ailleurs certains sujets leur sont communs, telles les fouilles de Ninive ou les travaux sur le Serapeum de Memphis ; d’ailleurs, Beulé, comme Mercey, a repris ses articles dans ses Causeries sur l’art (1867). Pour l’art moderne, il se plaît à évoquer les écoles étrangères à travers leur évolution jusqu’à l’époque contemporaine : il a ainsi écrit sur les arts allemand, piémontais, écossais, anglais… Ses positions esthétiques personnelles ne sont pas sans interférer dans ses analyses : ainsi sa prédilection pour l’art florentin et sa condamnation de l’archaïsme ou du retour aux primitifs, qui restent pour lui de « l’art à son enfance » (« Peinture flamande et hollandaise », p. 1039).
Il y a nécessairement une sorte d’abus dans l’histoire de l’art revuiste, adaptée au format et au lectorat, car elle peut rarement se développer longuement et nécessite une diversité de sujets ; de plus, selon un procédé commun, le prétexte de l’article – collection, découverte, exposition ou livre –, tend souvent à être présenté comme le support d’une synthèse : par exemple, la dispersion de la collection du maréchal Soult devient un exposé sur quatre siècles de peinture espagnole, le musée du Vatican suffit pour traiter de « l’art étrusque », une exposition à Édimbourg permet d’aborder « les arts en Écosse », la relation des fouilles de Ninive fonde une définition de « l’art assyrien ». Pourtant, même si, artiste, autodidacte, homme de lettres, Mercey n’a pas vocation à l’érudition et s’il continue à exploiter ses impressions de voyageur romantique féru d’art, il se construit une spécialité et offre souvent une information qui dépasse la culture moyenne. Quelques articles très documentés montrent une ambition historique plus affirmée. Dans « La Gravure en médailles en France » (1852), il a conscience de combler une lacune de l’histoire de l’art : « À l’exception de quelques traités spéciaux, de dissertations ou de nomenclatures arides, rien n’a été publié dans ces dernières années sur cette partie de l’histoire de l’art, et il n’existe sur cette matière aucun travail d’ensemble. » Ainsi la numismatique trouve sa place dans cette histoire ouverte à toutes les formes d’art. De même, soucieux de rendre compte de son rôle en 1855, il donne dans le troisième volume de ses Études, « L’Exposition universelle des beaux-arts », à la manière d’un rapport très précis, nourri de statistiques, et un article intitulé « Les Encouragements aux beaux-arts » qui fournit la liste des prix et des acquisitions de l’État depuis l’ancien régime, en s’attardant particulièrement sur la période révolutionnaire et le jury des arts de l’an III : il se fait donc également historien des institutions artistiques – évidemment, non sans lien avec sa propre activité au ministère.
Cependant l’histoire de l’art, pratiquée par Mercey au gré des rencontres et des circonstances (car à aucun moment il ne s’agit d’une activité structurée par une méthode et des objectifs spécifiques), offre un dernier aspect intéressant, et représentatif de son temps : la tentative de dépasser l’événementiel historique en faisant appel aux grands systèmes de pensée pour construire une approche globalisante qui permette d’organiser une cohérence dans des travaux fragmentaires et hétéroclites. Il partage là un souci qui se fait jour à la fois chez les auteurs tentés de bâtir des philosophies de l’histoire de l’art et chez ceux qui veulent la doter d’une scientificité souvent empruntée aux sciences naturelles. Mercey est donc pris dans la double tension de la discipline, entre histoire détaillée et approche globalisante reposant sur des lois.
Profondément marqué par les synthèses philosophiques de son temps, Mercey partage ce goût pour la recherche de lois générales d’évolution et s’efforce de les appliquer à l’histoire de l’art : il marque ainsi la transition de systèmes encore ancrés dans le dogmatisme et l’esprit religieux à des philosophies positivistes et à une historicisation des valeurs artistiques. Il se sert ainsi d’Auguste Comte, Georg Wilhelm Friedrich Hegel ou Victor Cousin contre Félicité de Lamennais. Il oscille entre les écoles spiritualistes et scientistes.
Le premier schéma de construction qu’il utilise est la loi des trois états d’Auguste Comte. Dans son Cours de philosophie positive (vol. 1, 1830), Comte proposait de cerner l’évolution de chaque branche des connaissances qui « passe successivement par trois états théoriques différents : l’état théologique, ou fictif ; l’état métaphysique, ou abstrait ; l’état scientifique, ou positif ». Cette démarche nourrit aussi l’opposition de Mercey à Lamennais : il s’appuie ainsi sur l’histoire de l’art pour condamner les théories qui veulent « ne considérer comme œuvre d’art que celles auxquelles la religion a servi de mobile ou d’inspiration, pour expliquer le progrès dans l’art par l’infini, terme idéal dont il s’approche indéfiniment sans jamais l’atteindre » (Études, t. I, p. 5). Ici, il cite sans le nommer le fameux tome III de l’Esquisse d’une philosophie (1840) de Lamennais qui traite de l’art et du beau. Certes, concède-t-il, « l’art prend naissance et se développe en même temps que les religions », mais sa perfection est souvent contemporaine de leur décadence […]. De plus, seul l’art des peuples orientaux est « exclusivement religieux » ; les Grecs, qui divinisent l’homme, surent se détacher de cette conception.
Le schéma de Comte lui sert non seulement à lire l’histoire, mais aussi à défendre un point de vue esthétique, l’erreur qui consisterait à revenir au Moyen Âge : « Les arts comme les sciences, comme la politique, passent de l’état théologique à l’état métaphysique pour arriver à l’état positif ou pratique. » Il est assez savoureux de voir les entorses faites au système : ainsi l’art français serait passé directement de l’état théologique à l’état pratique… « Il semble », écrit-il, « que, de nos jours, l’art, après être passé de nouveau, pendant le Moyen Âge, par une période théologique ou religieuse, offre une analogie des plus prononcées avec ce qu’il a pu être chez les Romains. Sommes-nous arrivés, comme eux, à l’époque positive et pratique ? »
Mercey s’efforce donc d’ordonner, dans le format de l’article de revue et à travers ces grilles, la diversité historique et artistique. Cela peut paraître prétentieux en se fondant sur des articles de revues assez dispersés, mais la tentative est révélatrice des mutations de l’histoire de l’art. Enfin, la fréquentation de l’histoire et des œuvres a fait naître en lui un esprit critique qui l’amène à éviter les excès de certaines généralisations scientistes, tel l’envahissant aryanisme dont il rappelle que si les Indiens sont effectivement des Aryens, on doit alors s’étonner de ne pas trouver plus d’affinités artistiques avec les Européens… (Esquisse d’une philosophie, p. 41).
Dominique Jarrassé, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université de Bordeaux
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Histoire et Description des principales villes de l’Europe. Tyrol. Trente et Innsprück. Paris : Desenne, 1835.
- Le Tyrol et le Nord de l’Italie, esquisses de mœurs, anecdotes… Paris : Paulin, 1833 ; 2e éd. Paris : A. Bertrand, 1845-1847.
- Scotia, souvenirs et récits de voyages. Paris : Magen et Comon, 1842.
- Études sur les beaux-arts. Paris : A. Bertrand, 1855-1857, vol. 1 ; vol. 2 ; vol. 3.
- Souvenirs et Récits de voyages. Les Alpes françaises et la Haute Italie. Paris : F. Sartorius, 1857.
- La Toscane et le Midi de l‘Italie. Notes de voyage, études et récits. Paris : A. Bertrand, 1858.
Articles
- « Salerne et Poestum ». Revue des deux mondes, 4e série, t. 19, 1er septembre 1839, p. 692-713.
- « Le Musée étrusque du Vatican ». Revue des deux mondes, 4e série, t. XX, 1er décembre 1839, p. 667-688.
- « La Peinture et la Sculpture en Italie ». Revue des deux mondes, 4e série, t. XXIII, 15 juillet 1840, p. 256-278.
- « La Galerie royale de Turin ». Revue des deux mondes, 4e série, t. XXVIII, 1er octobre 1841, p. 91-111.
- « Peintres modernes. M. Charles de Laberge ».Revue des deux mondes, 4e série, t. XXIX, 15 février 1842, p. 642-653.
- « L’Art moderne en Allemagne ». Revue des deux mondes, 4e série, t. XXIX, 15 mars 1842, p. 909-935.
- « Les Arts en Angleterre ». Revue des deux mondes, 4e série, t. XXXII, 15 décembre 1842, p. 899-920.
- « Peintres et Sculpteurs modernes. M. Ingres ». Revue des deux mondes, nouv. série, t. XV, 1er août 1846, p. 514-542.
- « La Peinture flamande et hollandaise ». Revue des deux mondes, nouv. série, t. XII, 15 mars 1848, p. 1027-1056.
- « La Reine Marie-Antoinette, de M. Paul Delaroche ». Revue des deux mondes, nouv. période, t. XI, 15 juillet 1851, p. 380-386.
- « Les Arts en 1851. La Rome souterraine. L’expédition de Mésopotamie. Le Sérapéum ». Revue des deux mondes, nouv. période, t. XIII, 15 septembre 1851, p. 1001-1026.
- « Les Arts depuis le dernier Salon. La peinture et la sculpture monumentales ». Revue des deux mondes, nouv. période, t. XIII, 1er janvier 1852, p. 125-147.
- « La Gravure en médailles en France ». Revue des deux mondes, nouv. période, t. XIV, 1er mai 1852, p. 401-433.
- « La Galerie du maréchal Soult ». Revue des deux mondes, nouv. période, t. XIV, 15 mai 1852, p. 807-816.
- « Les Fouilles de Ninive ». Revue des deux mondes, nouv. période, 2e série, t. II, 1er avril 1853, p. 39-58.
- « La Mission de Babylonie et l’Art babylonien ». Revue des deux mondes, nouv. période 2e série, t. VIII, 15 octobre 1854, p. 364-380.
Bibliographie critique sélective
- Blanc Charles. – « Frédéric de Mercey ». Gazette des Beaux-Arts, t. VII, 15 septembre 1860, p. 374-376.
- Vapereau Gustave. – Notice « Mercey ». In Dictionnaire universel des contemporains, 3e éd. Paris : Hachette, 1865, p. 1229-1230.
- Larousse Pierre. – Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, t. XI, 1874, p. 56.
- Soubies Albert – Les Membres de l’Académie des beaux-arts depuis la fondation de l’Institut, 3e série, 1852-1876. Paris, 1911, p. 203-205.
- Bellier de La Chavignerie Émile. – Dictionnaire général des artistes de l’école française. Paris : Librairie Renouard, 1882, t. I, p. 150-151.
- Guarducci Anna. – « Un viaggiatore scientifico, geografo e naturalista : Frédéric Bourgeois de Mercey (1830) da La Montagna italiana nel Grand Tour europeo ». In La Montagna come esplorazione permanente. Gli aspetti storici e naturalistici dell’esplorazione scientifica sulle Alpi. Atti del convegno. Florence, 2004.
Sources identifiées
Ajaccio, Bibliothèque municipale
- Don d’une partie de sa bibliothèque en 1887
Lieux divers
- Des série de photos par Édouard Baldus (1856) montrant le château de La Faloise, Mercey, sa femme Anna Morgan et des familiers sont conservées par le Centre canadien d’architecture (Montréal), la Gilman Paper Company (New York), le musée d’Orsay et la Bibliothèque nationale de France (Paris), le Philadelphia Museum of Art (Philadelphie) et The Sterling and Francine Clark Art Institute (Williamstown).
En complément : Voir la notice dans AGORHA