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MARGUILLIER, Auguste
Mis à jour le 28 novembre 2008(1862, Brienne-la-Vieille [Aube] – 1945)
Auteur(s) de la notice : PASSINI Michela
Profession ou activité principale
Secrétaire et directeur de revue
Autres activités
Historien et critique d’art, traducteur
Sujets d’étude
Troyes, églises de l’Aube, Albrecht Dürer, monuments détruits pendant la Première Guerre mondiale, iconographie chrétienne, graveurs et peintres français
Carrière
Secrétaire de la Gazette des Beaux-Arts
Directeur de la Chronique des Arts
Secrétaire de la rédaction des Monuments et Mémoires publiés par l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Directeur de la collection « Bibliothèque d’histoire de l’art » chez l’éditeur Van Oest
1891 membre correspondant de la Société académique de l’Aube
Étude critique
Auguste Marguillier n’est pas de ces critiques prolifiques qui laissent après eux une œuvre aussi vaste que complexe. Quelques articles et un petit nombre d’ouvrages constituent son legs. Néanmoins, même s’il est impossible de le considérer comme une figure de tout premier plan, il est indéniable qu’il a joué un rôle d’une certaine importance dans l’histoire de l’art au tournant du XXe siècle. Pendant plus de vingt ans, en tant que secrétaire de la Gazette des Beaux-Arts, Marguillier a été le centre d’un vaste réseau de relations entre érudits, critiques et artistes français et étrangers. Des noms tels que ceux de Roger Marx, Marcel Proust, Hyppolite Flandrin, Otto Wagner, Félix Vallotton, Henri Martin, Adolfo Venturi se rencontrent à chaque pas dans sa correspondance. C’est justement Marguillier qui, en novembre 1905, consacre à Charles Ephrussi, le directeur de la Gazette des Beaux-Arts décédé peu auparavant, une étude dont Proust fera l’éloge. C’est encore Marguillier qui, à partir de 1896, s’occupe assez régulièrement des « bibliographies » de la Gazette. Une douzaine d’écrits complète le cadre de sa collaboration à la revue : en 1894 il publie un long essai sur Michael Pacher ; ensuite, après un texte sur les beautés artistiques de la ville de Troyes (1899), l’intérêt pour la gravure et la peinture contemporaines domine dans ses articles.
À côté de son activité au sein de la Gazette des Beaux-Arts, Marguillier s’adonne, en ces mêmes années, à des études régionales. En 1890, il dédie au poète troyen Edouard-Thomas Simon un ouvrage qui sera couronné par la Société académique de l’Aube. Élu membre correspondant en 1891, il participera aux travaux de la Société tout le long de sa vie. En 1904, cet engagement aboutira à une courte monographie sur l’église de Brienne-la-Vieille (Aube) qui doit beaucoup, comme son auteur le déclare explicitement, à La Sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale de Kœchlin et Marquet de Vasselot. Dans les années quatre-vingt-dix, avec l’étude Un frère et un ancêtre de notre Almanach des Bergers (1896), commence aussi à se manifester un intérêt pour l’iconographie chrétienne, et tout particulièrement pour les modalités de représentation des saints, d’où des travaux sur saint Nicolas (1918) et saint Georges (1923).
Pendant toute la période qui précède la Première Guerre mondiale, Marguillier semble avoir entretenu des relations cordiales avec différents représentant de la Kunstwissenschaft et de l’art allemands. Il traduit en français deux essais de Wilhelm Bode (La Galerie des tableaux de M. Rodolphe Kann à Paris, 1900 et L’œuvre complet de Rembrandt, 8 vol., 1897-1901), il collabore aux ouvrages sur les musées de Berlin et de Vienne (Le Musée de Vienne, 1913) mis en chantier par l’éditeur Laurens, en traduisant les notices rédigées par les savants allemands et autrichiens et en composant des préfaces dans lesquelles il décrit les différentes collections rassemblées dans chacun des deux musées et en retrace la genèse et les enrichissements successifs. Dans sa correspondance de secrétaire de la Gazette des Beaux-Arts, on trouve d’ailleurs de nombreuses lettres d’artistes allemands. En 1901, Marguillier consacre même une étude à une figure qui était, à l’époque, censée incarner l’essence de l’art allemand : Albrecht Dürer. Fort appréciée par Marcel Proust (Correspondance, XII, p. 400), cette monographie d’un peu plus d’une centaine de pages mettait en scène un être tout spirituel, « plein de droiture et de douceur » (p. 79), adonné à son art comme à une sorte de tâche sacrée. À côté de cette évidente idéalisation de l’artiste, on remarque dans le petit ouvrage une forte influence de la méthode de Taine. Marguillier se sert largement d’un outillage critique dominé par les concepts d’« époque », de « milieu » et de « race ». Époque et milieu déterminent tant l’individu que la production artistique, et la Nuremberg de la fin du XVe siècle représente aux yeux de l’auteur la combinaison parfaite de ces deux facteurs, celle faite « pour engendrer un génie » (p. 8) : Dürer devient en retour le résumé de « toute une race et toute une époque » (p. 5). Proust lui-même remarquait, dans une de ses lettres à Marguillier, le penchant tainien de l’ouvrage, mais il jugeait sa critique « moins abstraite, moins a priori », capable de « suivre plus fidèlement la réalité » (Correspondance, XII, p. 400). En tout cas, si ce petit livre ne se signalait pas par son originalité dans le contexte des travaux sur Albrecht Dürer, il apportait au moins une information approfondie en faisant état des recherches consacrées à ce sujet en France (les études de Charles Ephrussi spécialement) et en Allemagne (celles de Thausing, Friedländer, Thode, Burckhardt, Händke).
En 1901, Marguillier concluait donc son essai par ces mots solennels : « Dürer fut et restera la plus parfaite incarnation du génie allemand » (p. 124). Mais ce « génie allemand », auquel il avait attribué les caractères d’une poétique naïveté et d’une spiritualité créatrice, devait bientôt se changer en l’image même de la barbarie. Marguillier fut de ces critiques pour lesquels la guerre de 1914-1918, avec ses lourdes pertes humaines, mais aussi avec les destructions de monuments et d’œuvres d’art qu’elle entraîna, représenta un violent traumatisme. Comme de très nombreux historiens de l’art français de la même génération, durant les années du conflit, il voua une partie de ses recherches aux monuments meurtris. En 1919, ses efforts aboutissaient à la parution d’un ouvrage fort intéressant qui, dans le panorama de la vaste littérature sur le patrimoine détruit, se signale par des traits tout à fait originaux : La Destructions des monuments sur le front occidental. Réponse aux plaidoyers allemands.
S’il est probable qu’en France il n’y ait pas eu un seul historien qui, dans les années du conflit ou dans l’immédiat après guerre, n’ait consacré au moins un article au « vandalisme allemand » ou à la « barbarie boche », Auguste Marguillier le fit d’une façon fort différente de celle de la plupart de ses collègues. Comme il le déclare ouvertement dans le titre, son essai devait constituer une réplique aux « plaidoyers » de l’ennemi, c’est-à-dire aux ouvrages rédigés par des savants allemands et abondamment diffusés dans les pays neutres, essayant de démontrer que non seulement l’armée allemande n’était pas responsable des dégâts causés aux monuments et aux œuvres d’art dans les zones où s’était déclenché le combat, mais que les seuls coupables étaient justement les Français. En 1915, le critique Otto Grautoff avait publié à Berne son Kunstverwaltung in Frankreich und Deutschland, un très violent pamphlet qui reprenait une série d’écrits d’artistes et intellectuels français parus avant la guerre (et plus précisément après la promulgation de la loi de Séparation) où il était question du mauvais état de certains monuments : le gouvernement y était accusé de ne pas prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du patrimoine artistique national. Pour Grautoff, c’était là la preuve de la « mauvaise foi française » : on pleurait la cathédrale de Reims incendiée, mais on n’avait rien fait pour sauver des centaines de splendides petites églises. Il publiait en plus les essais de quelques savants allemands (Lanz, Bode, Hamann, Waetzoldt, Clemen), qui insistaient ultérieurement sur l’insuffisance des moyens de protection employés et déclaraient que trop souvent les destructions imputées à l’armée allemande n’étaient que l’œuvre des soldats français, accusés de tirer sur les monuments et de les utiliser pour des opérations militaires. Paul Clemen, chargé par le gouvernement allemand de la protection des biens artistiques dans les régions occupées, avait consacré à la question deux essais : Der Zustand der Kunstdenkmäler auf dem westlichen Kriegsschauplatz (Leipzig, 1916) et Kunstschutz im Kriege (Leipzig, 1919), dans lesquels il tendait à diminuer considérablement l’importance et l’étendue des dégâts. C’étaient là les principales cibles de Marguillier. En laissant à d’autres les longues récriminations contre les « vandales modernes », il s’efforça plutôt de « démontrer par des faits dûment contrôlés, des textes irréfutables, la pleine responsabilité de l’Allemagne dans les innombrables attentats dont elle [avait] essayé de se disculper » (p. 72). Il proposait donc une analyse serrée des textes allemands sur les dévastations – des volumes les plus connus comme ceux de Grautoff ou Clemen, aux plus brefs articles parus dans la presse locale – et il les réfutait en s’appuyant sur les preuves établies par ses compatriotes dans la riche littérature sur le sujet. L’ouvrage de Marguillier acquérait ainsi le caractère d’une compilation érudite, exhaustive. Bien que le ton s’avérât franchement polémique et parfois fort virulent, il conservait la forme de la discussion scientifique, ce qui était extrêmement rare dans ce genre de textes. Cette enquête sur l’état du patrimoine se concluait idéalement en 1921, avec une attachante étude, parue dans le Mercure de France, sur la réouverture des musées après la guerre.
Michela Passini, pensionnaire à l’INHA
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Un poète troyen au XVIIIe siècle. Edouard-Thomas Simon dit Simon de Troyes. Troyes : Dufour-Bouquot, 1890.
- À travers la Salzkammergut. Voyage pittoresque dans la Suisse autrichienne. Paris : Hachette, 1896.
- Un frère et un ancêtre de notre Almanach des Bergers. Troyes : Paul Nouel, 1896.
- Traduction de Bode Wilhelm, L’Œuvre complet de Rembrandt. Reproduction par l’héliogravure de tous les tableaux du maître accompagnée de leur histoire, de leur description et d’une étude biographique et critique. Paris : C. Sedelmeyer, 1897-1901, 8 vol.
- Traduction de Bode Wilhelm, La Galerie des tableaux de M. Rodolphe Kann à Paris. Vienne, 1900.
- Albert Dürer. Biographie critique. Paris : Laurens, 1901.
- L’Église de Brienne-la-Vieille. Troyes : Paul Nouel, 1904.
- Saint Nicolas. Paris : Laurens, 1918.
- La Destruction des monuments sur le front occidental. Réponse aux plaidoyers allemands. Paris et Bruxelles : Van Oest, 1919.
- Saint Georges. Paris : Laurens, 1923.
Articles
- « Un maître oublié du XVe siècle. Michael Pacher ». Gazette des Beaux-Arts, avril, juin, juillet et octobre 1894.
- « J.-Th. Stammel et ses sculptures au monastère d’Admont ». Gazette des Beaux-Arts, août 1896.
- « Les Eaux-fortes de M. J. P. Heseltine ». Gazette des Beaux-Arts, mars 1897.
- « Troyes artistique et pittoresque ». Gazette des Beaux-Arts, mai 1899.
- « Charles Dulac ». Gazette des Beaux-Arts, avril 1899.
- « Peintres-Graveurs contemporains. André-Charles Coppier ». Gazette des Beaux-Arts, mai 1900.
- « Peintres-Graveurs contemporains. Pierre-Marcel Roy ». Gazette des Beaux-Arts, août 1905.
- « Artistes contemporains. Franz von Lenbach ». Gazette des Beaux-Arts, octobre 1905.
- « Peintres-Graveurs contemporains. L’œuvre de Th.-A. Steinlen ». Gazette des Beaux-Arts, octobre 1913.
- « Préface ». In Le Musée de Vienne, musée impérial d’histoire de l’art. Paris, 1913.
- « J.-F. Schnerb ». Gazette des Beaux-Arts, juin 1916.
- « Musées et Collections ». Le Mercure de France, t. 146, 15 février 1921.
Bibliographie critique sélective
- Proust Marcel. – Correspondance. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb. Paris : Plon, 1984, t. XII, lettres n° 203, 204, 205, 210.
- McEwan Dorothea. – « Aby Warburg und die Figur des Nikolaus im “Russischen Struwwelpeter” ». German life and letters, 50, 3, juin 1997, p. 355 et 363.
Sources identifiées
La Rochelle, Bibliothèque municipale
- Deux « Lettres de Léon Bloy à Auguste Marguillier » : BM MS 2934/VI (1) et BM MS 2934/VII (7)
Paris, bibliothèque de l’INHA-collections Jacques Doucet
- Cartons 79-80, « Autographes d’artistes », 58808-58816
- Carton 92, dossier Ve, « Lettres adressées à Auguste Marguillier », 79631-79972
Pise, Scuola Normale Superiore, Biblioteca
- Fondo Adolfo Venturi : lettre de Auguste Marguillier à Adolfo Venturi, VT M1 B093, 01
En complément : Voir la notice dans AGORHA