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MANTZ, Paul
Mis à jour le 13 février 2009(28 avril 1821, Bordeaux– 1895, Paris)
Auteur(s) de la notice :
ELSIG Frédéric
Profession ou activité principale
Historien de l’art, critique d’art, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, directeur général des Beaux-Arts (1881-1882), membre du Conseil supérieur des Beaux-Arts
Sujets d’étude
Histoire générale des arts, collections, peinture française, peinture italienne
Carrière
1839 : arrive à Paris pour étudier le droit
1844 : entre à L’Artiste comme critique littéraire
1848 : entre à L’Événement comme critique d’art ; participe à la Vraie République de Théophile Thoré
1849-1852 : rédacteur en chef de L’Artiste avec Paul Malitourne
1853 : entre à la Revue de Paris, puis à la Revue française comme critique d’art
1859 : entre à la Gazette des Beaux-Arts
1873 : entre au Temps comme critique d’art
1878 : membre du jury d’admission des ouvrages d’art à l’Exposition universelle
1880 : sous-directeur de l’administration départementale et communale
1881-1882 : directeur de l’administration des Beaux-Arts
Étude critique
La formation du goût romantique (1821-1848)
Né à Bordeaux en 1821, Paul Mantz appartient à une génération profondément marquée par la révolution retentissante du mouvement romantique. Il nourrit son adolescence par la lecture d’écrivains qui, tels Victor Hugo ou Théophile Gautier, lui insufflent le goût d’une langue libérée des conventions classiques et déterminent, par là même, sa passion privilégiée pour la littérature du XVIIIe siècle. En 1839, il s’établit à Paris, où il accomplit des études de droit. Il fréquente, dès le début des années 1840, les cercles littéraires gravitant autour de la revue L’Artiste, pour laquelle il rédige, à partir de 1844, ses premiers articles, consacrés d’abord à la critique littéraire. Il entre ainsi en contact avec plusieurs écrivains, dont il sollicite avec assiduité les dernières productions afin d’en rendre compte promptement. En témoigne une lettre qui lui a été adressée le 27 août 1844 par Henri de Latouche (1785-1851), l’auteur des Adieux (1843), et qui constitue le plus ancien document d’une abondante correspondance conservée aujourd’hui dans la collection Doucet (bibliothèque de l’INHA) : « Votre insistance est gracieuse et si bonne que je ne saurais résister au plaisir de vous devoir un bon office. » Puis le jeune Mantz se consacre, dans les pages de L’Artiste, à la critique d’art. Dans ses comptes rendus des Salons dès 1845, il adopte naturellement les orientations politico-esthétiques du groupe romantique, en plaçant toute sa foi dans le progrès de l’art et en soutenant les nouvelles tendances (Eugène Delacroix, Théodore Rousseau) contre les conventions du conservatisme (Jean Auguste Dominique Ingres). Mantz, qui embrasse désormais la carrière de journaliste, se fait remarquer très rapidement par le style allègre de son écriture et la clarté de sa pensée. Il se lie ainsi à un groupe d’hommes de lettres qui partagent les mêmes convictions et joueront un rôle capital dans sa carrière : en particulier, Théophile Thoré, Charles Blanc et Philippe de Chennevières.
Les années décisives (1848-1859)
Avec l’avènement de la IIe République, le petit clan connaît les faveurs du gouvernement provisoire, auquel accède Louis Blanc, le frère de Charles. Devenu directeur de l’administration des Beaux-Arts entre 1848 et 1851, Charles Blanc favorise naturellement ses amis. Théophile Thoré fonde en 1848 l’éphémère revue La Vraie République, à laquelle collabore Paul Mantz. Ce dernier, désormais attaché au ministère de l’Intérieur, entre la même année à L’Événement, revue fondée par Victor Hugo, et devient, avec Paul Malitourne, rédacteur en chef de L’Artiste entre 1849 et 1852. Il continue de militer en faveur de la « jeune école française de peinture » dans ses comptes rendus des Salons, très remarqués : notamment celui de 1850-1851 paru en dix-sept articles dans L’Événement et celui de 1857 dans la Revue française. Il se présente peu à peu comme l’un des critiques d’art les plus en vue, ce qui lui vaut de collaborer avec Théophile Gautier et Arsène Houssaye à l’ouvrage Les Peintres vivants, publié en deux volumes en 1858.
Parallèlement, Philippe de Chennevières pousse Paul Mantz à s’intéresser de plus en plus à l’histoire de l’art. Peu après avoir fondé les Archives de l’art français (1851), il associe plusieurs de ses amis à la publication d’une série de manuscrits qui, découverts par Louis Dussieux dans les archives de l’École des beaux-arts, contiennent des mémoires rédigés par différents académiciens, notamment Guillet de Saint-Georges (1624, Thiers – 1705, Paris). Paru en 1854 en deux volumes chez l’audacieux éditeur des Archives de l’art français, Dumoulin, l’ouvrage est rédigé avec la collaboration d’Eudore Soulié et Anatole de Montaiglon. Il est introduit par Paul Mantz qui tente de recontextualiser les biographies des académiciens considérés. La même équipe se lance aussitôt dans une seconde entreprise qui, consacrée à l’édition du Journal du marquis de Dangeau, durera plusieurs années et sera véritablement conduite à son achèvement par Louis Dussieux et Eudore Soulié.
Mû par une volonté patriotique, l’esprit des Archives de l’art français vise à révéler toute la richesse des arts produits en France dans le passé à travers une méthode positiviste qui, focalisée sur le dépouillement systématique des documents d’archives, doit démontrer la rigueur de l’érudition française. Il sera absolument déterminant dans l’orientation méthodologique des recherches menées par Paul Mantz. Ce dernier le met en pratique essentiellement dans deux champs d’investigation. D’une part, il suit son penchant naturel pour le XVIIIe siècle qui, remis en valeur dans les mêmes années et avec la même inspiration littéraire par les frères Goncourt, correspond au goût du moment et connaît un succès croissant auprès des collectionneurs. Il publie ou annote certains documents dans les Archives de l’art français (notamment sur Charles Natoire, Nicolas Lancret, Germain Drouet, Joseph Vernet) et rédige quelques articles plus généraux sur l’enseignement des beaux-arts ou les expositions de la période dans L’Artiste. D’autre part, il s’intéresse à des périodes plus anciennes de l’art français et à des techniques diverses, comme en témoignent ses recherches sur le sculpteur Michel Colombe, parues d’abord en plusieurs articles dans la Revue française puis en tant qu’ouvrage indépendant en 1857. Cette seconde orientation ne fera que s’accentuer à partir de 1859, au moment où commence une nouvelle aventure, celle de la Gazette des Beaux-Arts.
De la critique d’art à l’histoire de l’art (1859-1878)
Au moment de la fondation de la Gazette des Beaux-Arts par Charles Blanc en 1859, Paul Mantz est immédiatement sollicité, probablement en premier lieu pour la critique d’art, dans laquelle il s’est fait un nom. Dans ce champ d’activité, il fournit à la revue de nombreux articles qui peuvent se ranger en trois grandes catégories. La première comprend, sous la rubrique « artistes contemporains », les biographies de peintres et sculpteurs vivants ou décédés depuis quelques années : notamment Leslie (1859), Corot (1861), Troyon (1865), Barye (1867), Gleyre (1875), Carpeaux (1876), Courbet (1878). La deuxième correspond aux comptes rendus de manifestations, telles que les expositions de Bordeaux (1860), de Lyon (1861) ou de Londres (1862) et, surtout, les Expositions universelles organisées à Paris (1867, 1878 et 1889). La troisième, enfin, regroupe la crique des Salons (1859, 1863, 1865, 1867, 1869 et 1872). Elle s’interrompt brusquement en 1872, Mantz ayant décidé de confier dès 1873 ses critiques de Salons à la revue Le Temps. Ce glissement nous paraît très révélateur d’un changement d’attitude qui s’opère progressivement et modifie sensiblement les options esthétiques de Mantz.
Si, dans les années 1850, l’activité du critique, largement majoritaire, influe sur celle de l’historien aussi bien dans la manière de juger que dans les champs d’intérêt (l’enseignement des beaux-arts et les expositions au XVIIIe siècle), c’est exactement l’inverse qui se met en place dans les années suivantes. Paul Mantz évalue désormais la production contemporaine en fonction des « leçons » prodiguées par l’art ancien, d’une manière tout à fait comparable à un Eugène Fromentin. Il en vient ainsi à modérer son enthousiasme légendaire pour la « jeune école » et à émettre des jugements nettement plus nuancés sur des peintres tels que Gustave Courbet, Édouard Manet et les impressionnistes.
De fait, les articles consacrés à l’histoire de l’art deviennent plus nombreux que ceux dévolus à la critique d’art. Ils constituent l’ensemble quantitativement le plus important de la Gazette des Beaux-Arts, dont ils reflètent l’esprit « encyclopédique », ouvert à toutes les techniques, non seulement dans la production française (comme c’était déjà le cas dans les Archives de l’art français) mais aussi dans les productions étrangères. En témoignent plusieurs articles qui, certainement orchestrés par Charles Blanc, mettent en évidence les arts appliqués : notamment « Recherches sur l’histoire de l’orfèvrerie française » (1861-1863) ; « L’Enseignement des arts industriels avant la Révolution » (1865) ; « Les Chefs-d’œuvre des arts industriels, par Philippe Burty » (1866) et « Notes sur l’orfèvrerie anglaise » (1874).
Toutefois, l’essentiel des articles livrés à la Gazette des Beaux-Arts porte sur la peinture et se subdivise en trois grandes familles. La première comprend les études monographiques sur un artiste ou une « école ». Elle concerne surtout la Renaissance italienne et, dans une moindre mesure, le XVIIe siècle européen : on peut mentionner d’une part « Fra Angelico de Fiesole » (1859), « Un nouveau Véronèse au Louvre » (1859), « Les Commencements de l’école florentine » (1875), « Michel-Ange peintre » (1876), « André del Sarte » (1876-1877) ; d’autre part, « Herrera le Vieux » (1859), « Jan van Goyen » (1875). La deuxième famille regroupe les études de collections privées : « Le Cabinet de M. A. Dumont à Cambrai » (1860), « La Galerie Pourtalès » (1865), « La Collection La Caze au musée du Louvre » (1870), « La Galerie de M. Maurice Cottier » (1872) ; « La Galerie de M. Rothan » (1873) et « La Galerie de M. Suermondt » (1874). Elle comprend aussi un article intitulé « Le Musée d’Augsbourg » (1877-1878). La troisième enfin est constituée par les comptes rendus des expositions rétrospectives, à Rouen (1861), au Havre (1868), à Milan (1872) et à Paris (1874).
Ces différents articles témoignent de préoccupations très variées qui, communes à plusieurs collaborateurs de la Gazette des Beaux-Arts, émanent d’entreprises éditoriales beaucoup plus vastes. Dès 1847-1848, Philippe de Chennevières imagine un projet titanesque, relancé à plusieurs reprises et dont le processus de réalisation est encore aujourd’hui d’actualité : l’inventaire critique des richesses de la France. Celui-ci participe du même esprit nationaliste et positiviste que les Archives de l’art français. Il s’inspire de modèles étrangers qu’il voudrait surpasser, comme les Treasures of Art in England de Gustav Friedrich Waagen (1794-1868), publiés en 1854-1857, mais issus d’un texte paru en allemand dès 1837-1839. Il se donne pour mission de répertorier toutes les œuvres conservées en France, dans les églises ainsi que dans les collections publiques et privées. Paul Mantz y adhère totalement, comme en témoignent plusieurs de ses articles sur les collections particulières ou sur les expositions rétrospectives. Dès 1860, il plaide en faveur d’un « répertoire critique des belles œuvres que la France possède sans s’en douter », en écrivant : « Quel service à rendre à tous ceux qui cherchent que de leur révéler, dans telle église de province, dans telle collection particulière, l’existence du maître qui les intéresse ! […] Il est des heures où un bon catalogue vaut dix volumes de théorie ». Il se fera ainsi « un devoir de signaler la découverte » (« Le cabinet de M. A. Dumont, à Cambrai », Gazette des Beaux-Arts, VIII, 1860, p. 302-313) de plusieurs œuvres inédites, comme le Géographe de Jan Vermeer, alors dans la collection Dumont à Cambrai et aujourd’hui au musée de Francfort.
En parallèle au projet avorté de Philippe de Chennevières, Charles Blanc lance dès 1849, avec le libraire Jules Renouard et l’éditeur Henri Laurens, une collection intitulée « Histoire des peintres de toutes écoles depuis la Renaissance jusqu’à nos jours », à laquelle il associe ses amis les plus proches. En 1864, il publie L’École flamande avec Paul Mantz. Ce dernier accumule ainsi de nombreuses notes monographiques, dont plusieurs restent inédites, conservées aujourd’hui dans la collection Doucet (bibliothèque de l’INHA). En 1869, il participe également, dans une moindre mesure, à L’École espagnole, pour laquelle il rédige les biographies de « Juan de Joanès » et « Francisco Ribalta ». Il aura cependant une part beaucoup plus importante dans L’École florentine, parue en 1876. Comme l’a déjà révélé l’examen des articles publiés par la Gazette des Beaux-Arts, c’est en effet la Renaissance italienne qui l’occupe majoritairement durant ces années-là. En 1870, il publie de manière autonome, chez Firmin Didot, un livre qui, intitulé Les Chefs-d’œuvre de la peinture italienne, trahit la conception évolutionniste de son auteur, en mettant en évidence les progrès de l’art italien jusqu’à la Renaissance, puis sa décadence à partir de l’époque baroque. Il collabore aussi à une monographie, L’Œuvre et la vie de Michel-Ange, dessinateur, sculpteur, peintre, architecte et poète, parue en 1876 simultanément dans la Gazette des Beaux-Arts et en ouvrage indépendant sous la direction de Charles Blanc.
Le temps des honneurs (1878-1895)
La césure de 1878 que nous proposons de marquer dans la carrière de Mantz peut paraître, à première vue, totalement artificielle, dans la mesure où celui-ci poursuit jusqu’à sa mort sa double activité de critique et d’historien. Pourtant, à y regarder de plus près, elle correspond à un changement sensible d’orientation esthétique, qui coïncide avec la période de la reconnaissance sociale. En 1878, Paul Mantz est appelé à faire partie du jury de la quatrième section de l’Exposition universelle. En 1879, il se fait portraiturer à la pointe sèche par Louise Abbéma dans un album qui, publié l’année suivante avec des textes d’Alfred Levasseur, évoque quelques personnalités célèbres du moment (son portrait figurera également en 1893 parmi les journalistes les plus illustres du siècle dans une exposition de la galerie Georges Petit). Toujours attaché au ministère de l’Intérieur, il devient le 1er janvier 1880 sous-directeur de l’administration départementale et communale. Il reçoit le 18 janvier 1881 la Légion d’honneur et, le 2 février de l’année suivante, devient directeur général de l’administration des Beaux-Arts. Toutefois, celle-ci étant entrée dans le ministère de l’Instruction publique, il donne sa démission le 20 novembre 1882 et conserve désormais le titre de directeur honoraire. Il reste également membre du Conseil supérieur des beaux-arts, ce qui lui permet d’organiser régulièrement des expositions à l’École des beaux-arts.
Ces manifestations couronnent la carrière du critique d’art, dont elles reflètent les goûts. Mentionnons notamment les expositions consacrées à Eugène Delacroix (1885 ; au profit de la souscription pour un monument) et à Jean-François Millet (1887) qui rappellent les premières passions de Mantz pour le renouveau apporté par la peinture romantique. Toutefois, l’exposition la plus significative reste celle consacrée aux peintres français de la caricature et de la peinture de mœurs (1888). Complétée au même moment par l’article « La Caricature moderne » dans la Gazette des Beaux-Arts, elle s’inscrit dans une mode conditionnée par le goût des collectionneurs contemporains pour la peinture hollandaise du XVIIe siècle et témoigne plus que jamais de l’intérêt de Mantz pour l’histoire, dont les peintres vivants doivent tirer la « leçon ». Par ailleurs, elle trahit un nationalisme qui s’accentue dans ces années-là et dont la température se retrouvera, notamment l’année suivante, dans le compte rendu de l’Exposition universelle rédigé dans la Gazette des Beaux-Arts. Dans cet article, le jugement du critique est à la fois confiant dans « la souveraineté de l’art français », mais nostalgique de l’époque héroïque où la peinture romantique s’abreuvait aux sources du XVIIIe siècle en refusant les conventions classiques : « Ils se sont inclinés devant l’archéologue David, si peu inspiré de l’esprit nouveau : c’était à Prud’hon qu’il fallait croire. »
De fait, la vision à la fois évolutionniste et historiciste de Mantz, largement partagée par ses contemporains, se referme sur elle-même et ne permet plus d’adhérer aux tendances les plus contemporaines. Elle consiste à reconnaître dans chaque « école nationale » une période d’âge d’or pendant laquelle le génie propre à la nation connaît son expression la plus aboutie : la Renaissance pour l’Italie et l’Allemagne, le XVIIe siècle pour les Pays-Bas et l’Espagne, le XVIIIe siècle pour la France, dont la peinture est le produit le plus parfait de l’évolution. Paul Mantz mène des recherches sur chacun de ces champs. Dans une série de monographies lancées par le libraire Quantin et richement illustrées, il publie en 1879 le premier ouvrage en français sur Hans Holbein le Jeune, fruit de ses visites aux musées de Bâle et d’Augsbourg, dont il a décrit peu avant les collections de « primitifs allemands » dans un article de la Gazette des Beaux-Arts. Sur la Renaissance italienne et les Pays-Bas du XVIIe siècle, il fait notamment paraître dans la même revue d’importants articles sur Rubens (1882-1883) et Andrea Mantegna (1886). Mais c’est naturellement sur la peinture française du XVIIIe siècle que se concentre son attention, en renouant ainsi avec ses prédilections de jeunesse, comme l’atteste du reste sa propre collection (mise en vente à Paris, 10-11 mai 1895).
En 1880, Paul Mantz publie chez Quantin une monographie sur François Boucher, François Lemoyne et Charles-Joseph Natoire, qui apporte une somme importante d’informations biographiques. Il livre également à la Gazette des Beaux-Arts plusieurs articles consacrés à des peintres du XVIIIe siècle : Antoine Watteau (1889-1890 ; publié sous forme de livre autonome en 1892), Nicolas de Largillière (1893), Jean-Marc Nattier (1894) et Louis Tocqué (1894 ; le dernier article de l’auteur). Il tente dans chaque cas de définir l’esprit français à travers une rhétorique brillante et chantante qui se veut certainement en adéquation avec l’esthétique décrite, notamment à propos de Watteau : « Elles ne sont jamais assez nombreuses pour la joie des yeux et de l’esprit les œuvres de cet enchanteur qui a connu, à l’égal des plus grands maîtres, le flottant caprice du rayon, la fête éternelle de la couleur, la vérité du geste élégant, les horizons faits de réalité et de rêve et qui, plus que tout autre, a su apprendre au monde entier ce que vaut le sourire de la France. » Son style n’est évidemment pas sans évoquer celui des Goncourt, même si Philippe de Chennevières, en rendant compte du livre sur Boucher dans la Gazette des Beaux-Arts et en célébrant ce « maître écrivain », lui reproche amicalement un ton ironique, une certaine distance par rapport au sujet traité : « Ah ! Mantz, ah ! Mon ami, ce n’est point sur ce ton que, vers 1847, dans notre beau temps, vous auriez parlé de Boucher, du peintre des grâces à fossettes, de l’artiste favori de la favorite ; Mantz, Mantz, Raphaël et Léonard vous ont gâté ; vous ne croyez plus assez à Boucher. Les Goncourt, eux, y croient, et ils se délectent tout de bon dans l’air qu’il a respiré. » (« Le François Boucher de M. Paul Mantz », Gazette des Beaux-Arts, 1880, XXI, 1, p. 70-86).
L’héritage de Paul Mantz
Certes, l’intérêt de Mantz pour une histoire positiviste et nationaliste, dans l’esprit des Archives de l’art français, a progressivement façonné un regard plus distant par rapport à l’art du XVIIIe siècle et amené l’historien à rechercher dans l’art du passé les racines de l’« école française ». Il s’est ainsi focalisé sur la peinture médiévale, alors en pleine redécouverte depuis le début du XIXe siècle et, plus précisément, sur les « primitifs français ». Ceux-ci, dont l’existence même est mise en doute par certains érudits, ont été révélés dès les années 1830 par les repérages de Prosper Mérimée, chargé de recenser les monuments historiques sur le territoire français. À partir des années 1850, ils commencent à susciter quelques recherches documentaires attestant l’activité de peintres de souche française au XVe siècle, comme Jean Fouquet et Jean Perréal. Mais c’est véritablement l’exposition des portraits historiques au Trocadéro en 1878 qui les révèle au public, de manière encore tout à fait discrète. Paul Mantz, qui en rend compte dans la Gazette des Beaux-Arts, insiste sur ces œuvres « instructives », aux sources de l’esprit français. Il est notamment le premier à mettre en rapport la signature « Nicolaus Frumenti » de la Résurrection de Lazare (Florence, Offices) avec l’auteur du Buisson ardent (Aix-en-Provence, cathédrale Saint-Sauveur), fraîchement découvert par l’archiviste Blancard : « Maître Nicolas Froment d’Avignon ». Il met également en évidence le « caractère français » des portraits qui ornent les volets du triptyque de Moulins, assigné par une tradition locale à Ghirlandajo. Toutefois, il se refuse à proposer une véritable attribution, dans la mesure où, attaché aux « preuves positives » des documents d’archives, il nourrit une grande méfiance à l’encontre des connaisseurs tels que Gustav Friedrich Waagen.
Un exemple significatif de cette attitude se manifeste dans l’article « Un tableau attribué à Jean Perréal », publié dans la Gazette des Beaux-Arts en 1885. Aujourd’hui assigné à un peintre flamand (le Maître de 1499), le tableau en question montre une Vierge à l’Enfant avec deux commanditaires portraiturés que l’on identifie alors avec Louis XII et Anne de Bretagne. Il porte également le monogramme « J. P. » que l’on reconnaît alors comme celui de Jean Perréal. Paul Mantz, qui relève le manque de fondement de l’identification des portraits, met aussi en doute son attribution, en signalant au moins deux autres noms de peintres contemporains de Perréal avec les mêmes initiales : Jean Prévost et Jean Poyet. Il conclut que, malgré son anonymat, le tableau garde toute sa qualité : « Ce nom, que je respecte sans le connaître, je le demande aux privilégiés qui savent tout. » (« Un tableau attribué à Jehan Perréal », Gazette des Beaux-Arts, XXXI, 1, 1885, p. 322-339). Dans le même article, il souligne l’importance de construire une histoire « positive » des « primitifs français » : « Je crois qu’il aura mérité un laurier celui qui, mettant en ordre les souvenirs de ses promenades dans les musées et dans les livres, écrira une petite histoire de la peinture française au XVe siècle. Aucun chapitre n’est plus méconnu, aucun n’est plus encombré de conjectures téméraires. » (p 322).
De fait, Paul Mantz semble accumuler depuis plusieurs années des informations en vue d’un tel projet, informations puisées dans les publications, les collections et les musées, mais aussi dans les églises qu’il visite lors de ses repérages sur le territoire français, inscrits dans la tradition de Prosper Mérimée et toujours motivés par l’idée d’un inventaire critique des richesses de la France. En 1886-1887, il publie même, dans la Gazette des Beaux-Arts, un article insolite qui, sous la forme très vivante d’un journal, relate « une tournée en Auvergne » en compagnie de son grand ami Louis Gonse. Il décrit ainsi toutes les œuvres examinées dans « ce pays aussi inconnu que le Congo », à commencer dans l’église d’Aigueperse par l’Adoration des bergers de Benedetto Ghirlandajo et surtout le Saint Sébastien de Mantegna (aujourd’hui au Louvre) qui, alors totalement inédit mais déjà signalé par lui-même dans son article sur le peintre en se fiant à un guide de voyage d’Émile Montégut, constitue le prétexte du voyage. Il met également en évidence d’autres peintures peu connues, examinées au cours du voyage, comme les Arts libéraux et la Déploration du Christ de la cathédrale du Puy ou la Danse macabre de la Chaise-Dieu. Ses différentes notes, conjuguées à celles prises lors des autres voyages et des lectures, vont nourrir un livre intitulé La Peinture française du IXe siècle à la fin du XVIe siècle. Celui-ci, publié deux ans après la mort de Mantz avec une introduction d’Olivier Merson, est conçu comme le premier chapitre d’une série de quatre ouvrages sur l’histoire de la peinture française. Il présente avec un grand discernement l’état de la question et prépare ainsi le terrain à un nouvelle historiographie qui, après les prémices de l’Exposition universelle de 1900, connaîtra une véritable impulsion avec l’Exposition des primitifs français, organisée par Henri Bouchot en 1904.
Frédéric Elsig, professeur assistant, université de Genève
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, publiés d’après les manuscrits conservés à l’École impériale des beaux-arts. Collab. de Louis Dussieux, Eudore Soulié, Philippe de Chennevières et Anatole de Montaiglon. Paris : Dumoulin, 1854, 2 vol.
- Journal du marquis de Dangeau, publié en entier pour la première fois. Collab. d’Eudore Soulié, Louis Dussieux, Philippe de Chennevières et Anatole de Montaiglon. Paris : Firmin Didot, 1854-1860, 19 vol.
- Michel Colombe. Paris : Revue française, 1857.
- Les Peintres vivants. Cent gravures, eaux-fortes, lithographies. Collab. de Théophile Gautier et Arsène Houssaye. Paris : Bureaux de L’Artiste, 1858.
- Histoire des peintres de toutes les écoles. École flamande. Collab. de Charles Blanc. Paris, 1864.
- Histoire des peintres de toutes les écoles. École espagnole. Collab. de Charles Blanc, William Bürger, etc. Paris, 1869.
- Les Chefs-d’œuvre de la peinture italienne. Paris : Firmin Didot, 1870.
- L’Œuvre et la Vie de Michel-Ange, dessinateur, sculpteur, peintre, architecte et poète. Collab. de Charles Blanc, Eugène Guillaume, etc. Paris : Gazette des Beaux-Arts, 1876.
Histoire des peintres de toutes les écoles. École florentine. Collab. de Charles Blanc. Paris : Renouard, 1876.- Hans Holbein. Paris : A. Quantin, 1879.
- François Boucher, Lemoyne et Natoire. Paris : A. Quantin, 1880.
Histoire des peintres de toutes les écoles. École allemande. Collab. de Charles Blanc, Auguste Demmin. Paris, 1883.- Le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Paris, 1883.
- Antoine Watteau. Paris : Librairie illustrée, 1892.
La Peinture française du IXe siècle à la fin du XVIe siècle. Paris : Bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts, 1897.
Articles
- « L’École de Toulouse ». L’Artiste, 15 octobre 1848, p. 53-56.
- « J.-B. Lepaon ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 181-182.
- « Félix Lecomte ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 270-272.
- « Nicolas Lancret ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 301-303.
- « Joseph Vernet ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 304-306.
- « Germain Drouais ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 314-318.
- « Francisco Goya ». Archives de l’art français, I, 1851-1852, p. 319-320.
- « J. B. M. Pierre ». Archives de l’art français, II, 1852-1853, p. 214-216.
- « Correspondance de Charles Natoire avec Antoine Duchesne, prévôt des Bâtiments du Roi ». Archives de l’art français, II, 1852-1853, p. 246-304.
- « Les Portraististes du XVIIIe siècle ». L’Artiste, 1er juin 1854, p. 129-130 ; 15 juin 1854, p. 148-150 ; 1er juillet 1854, p. 165-167 ; 15 juillet 1854, p. 177-179.
- « Testament d’Hyacinthe Rigaud ». Archives de l’art français, IV, 1855-1856, p. 25-32.
- « Testament de Pierre Mignard ». Archives de l’art français, V, 1857-1858, p. 41-51.
- « L’École française sous la régence, Antoine Watteau ». Revue française, 16, 1859, p. 263-272, 345-353.
- « Fra Angelico de Fiesole ». Gazette des Beaux-Arts, I, 1859, p. 193-206.
- « Un nouveau Véronèse au Louvre ». Gazette des Beaux-Arts, II, 1859, p. 31-39.
- « Herrera le Vieux ». Gazette des Beaux-Arts, III, 1859, p. 169-177.
- « Exposition de Bordeaux ». Gazette des Beaux-Arts, VI, 1860, p. 294-301.
- « Collections d’amateurs. Le cabinet de M. A. Dumont à Cambrai ». Gazette des Beaux-Arts, VIII, p. 303-313.
- « Recherches sur l’histoire de l’orfèvrerie française ». Gazette des Beaux-Arts, IX, 1861, p. 15-41, 82-100 ; X, 1861, p. 14-28, 129-157 ; XI, 1861, p. 110-134, 250-261, 349-361 ; XIV, 1863, p. 176-187, 238-254, 410-429, 534-550.
- « Exposition de Lyon ». Gazette des Beaux-Arts, IX, 1861, p. 321-334.
- « Exposition de Londres. Peinture et sculpture. École anglaise ». Gazette des Beaux-Arts, XIII, 1862, p. 97-125, 206-222, 365-377.
- « La Galerie Pourtalès. Les peintures espagnoles, allemandes, hollandaises, flamandes et françaises ». Gazette des Beaux-Arts, XVIII, 1865, p. 97-117.
- « L’Enseignement des arts industriels avant la Révolution ». Gazette des Beaux-Arts, XVIII, 1865, p. 229-247.
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- « Les Beaux-Arts à l’Exposition universelle ». Gazette des Beaux-Arts, XXIII, 1867, p. 7-30, 134-149, 209-230,319-34.
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- « Notes sur l’orfèvrerie anglaise ». Gazette des Beaux-Arts, IX, p. 5-24 ; XVI, 1877, p. 297-315.
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- « Le Père de Nicolas Berchem ». Gazette des Beaux-Arts, XXVII, 1883, p. 182-186.
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- « Andrea Mantegna ». Gazette des Beaux-Arts, XXXIII, 1886, p. 5-17, 177-193, 480-498 ; XXXIV, 1886, p. 5-16, 107-126, 208-225.
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- « Watteau ». Gazette des Beaux-Arts, I, 1889, p. 5-28, 177-195, 454-472 ; III, 1890, p. 5-29, 129-147, 222-238.
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- « J.-M. Nattier ». Gazette des Beaux-Arts, XII, 1894, p. 91-114.
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Bibliographie critique sélective
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- Chennevières Philippe (de). – « Le François Boucher de M. Paul Mantz ». Gazette des Beaux-Arts, XXI, 1880, p. 70-86.
- Lermina Jules. – Dictionnaire universel illustré biographique de la France contemporaine. Paris, 1884.
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- Borowitz Helen. – « The Watteau and Chardin of Marcel Proust ». Bulletin of the Cleveland Museum of Art, LXIX, 1982, 1, p. 18-35.
- Monneret Sophie. – L’Impressionnisme et son époque. Dictionnaire international illustré. Paris : Robert Laffont, 1987, t. I, p. 489-490.
- La Promenade du critique influent : anthologie de la critique d’art en France : 1850-1900. Jean-Paul Bouillon, éd. Paris : Hazan, 1990, p. 19.
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- Bouillon Jean-Paul. – « La Critique d’art dans la seconde moitié du XIXe siècle : nouvel aperçu des problèmes ». 48/14. Conférences du musée d’Orsay, 5, 1993, p. 35, 38.
- Doyon Carol. – De l’exemple à l’archive : la constitution des discours sur l’art du passé, en France, entre 1850 et 1900, thèse de doctorat, Concordia University, Department of Humanities, 1995.
- Peltre Christine. – « La Description comme sauvegarde : à propos de la décoration de la cour des Comptes par Théodore Chassériau 1844-1848 ». In Le Texte de l’œuvre d’art : la description. Éd. Roland Recht. Colmar : Presses universitaires de Strasbourg, 1998, p. 70-77.
Sources identifiées
Paris, bibliothèque de l’INHA-collections Jacques Doucet
- Fonds d’archives Paul Mantz (archives 78) : deux cartons contenant d’une part des notes manuscrites classées selon les biographies d’artistes, d’autre part des lettres reçues entre 1844 et 1893
En complément : Voir la notice dans AGORHA