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MAGNE, Émile
Mis à jour le 22 septembre 2009(1877, Dax – 1953, Saint-Maur-des-Fossés)
Auteur(s) de la notice : MEROT Alain
Profession ou activité principale
Homme de lettres
Autres activités
Critique, historien, historien de la littérature et de l’art
Sujets d’étude
Société et littérature française du XVIIe siècle, architecture et peinture françaises au XVIIe siècle
Carrière
Études secondaires au lycée de Bordeaux
Études supérieures à la Sorbonne
1898 : première étude littéraire, sur les erreurs de documentation dans le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand
1903 : Le Cyrano de l’histoire
1905 : entame, avec un ouvrage intitulé Scarron et son milieu, une série d’études consacrées aux lettres et à la société mondaine en France dans la première moitié du XVIIe siècle
1908 : ouvrage sur L’Esthétique des villes
1912 : prix de la Critique pour Voiture et les années de gloire de l’hôtel de Rambouillet
1914 : publication de l’ouvrage Nicolas Poussin
1920 : reprise des études littéraires
1921 : Bourgeois et Financiers du XVIIe siècle : la joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux
1922 : Bourgeois et Financiers du XVIIe siècle : la fin troublée de Tallemant des Réaux
1927 : Le Cœur et l’Esprit de Mme de La Fayette
1933 : étude sur le château de Saint-Cloud
1935 : étude sur le château de Marly
1938 : édition de La Prétieuse ou le Mystère des ruelles de l’abbé de Pure
1939 : Images de Paris sous Louis XIV d’après des documents inédits ; édition des romans et nouvelles de Mme de La Fayette
1942 : La Vie quotidienne au temps de Louis XIII, d’après des documents inédits
Croix de guerre 1914-1918 ; chevalier de la Légion d’honneur (1920) ; officier (1927), puis commandeur (1949), en qualité d’« Homme de Lettre » ; officier de l’Instruction publique ; titulaire de la médaille Interalliée ; chevalier du Mérite agricole ; lauréat de l’Académie française, de la Société des gens de lettres et de l’association des critiques littéraires ; membre du comité de la Société des gens de lettres et de l’association des critiques littéraires ; vice-président de la Société des textes français modernes ; membre du conseil d’administration de la Société d’histoire littéraire de la France
Étude critique
La grande majorité de l’abondante bibliographie d’Émile Magne (51 volumes recensés en 1949) concerne l’histoire et surtout l’histoire littéraire du XVIIe siècle français, avec une prédilection marquée pour le règne de Louis XIII et la régence d’Anne d’Autriche. Il s’inscrit en fait dans le regain d’intérêt pour cette période d’avant Louis XIV, qui fascina les romantiques avant de triompher au théâtre en 1896 avec le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, dont le jeune Émile Magne se plaît à relever les erreurs historiques dans son tout premier essai, publié en 1898. Précision documentaire, culte de l’archive inédite, style coloré et enthousiaste qui fait revivre devant nous les grands comme les petits côtés d’une époque : ces qualités se retrouvent dans les ouvrages de cet infatigable érudit, qui fut un « homme de lettres » au plein sens du terme. Pendant une quarantaine d’années, les éditions savantes vont alterner avec des études sur les milieux littéraires et mondains, autour des figures de Voiture, Paul Scarron ou Gédéon Tallemant des Réaux et de quelques précieuses ou autres « dames galantes ».
S’attachant à faire revivre le Paris de Louis XIII et de Louis XIV, passionné par l’histoire des mœurs au XVIIe siècle, Émile Magne s’intéressa à plusieurs reprises au cadre dans lequel évoluaient ses personnages, notamment dans ses monographies sur les châteaux de Saint-Cloud et de Marly (1933 et 1935). Aujourd’hui dépassées sur bien des points (l’auteur sous-estimant le goût personnel de Louis XIV en matière d’art et le génie de Charles Le Brun, qu’il qualifie seulement de « néfaste doctrinaire »), elles s’appuient néanmoins sur une documentation très vaste, puisée aussi bien dans les comptes des Bâtiments du Roi que dans des collections privées d’autographes, sans parler des témoignages des mémorialistes.
Mais c’est avant tout le luxueux in-folio consacré à Nicolas Poussin (1914, réédité en 1928) qui peut justifier la présence d’Émile Magne dans un dictionnaire consacré aux historiens de l’art français de son époque.
L’ouvrage se veut d’abord une biographie, conforme aux convictions de son auteur : restituer, documents à l’appui, la trame d’une vie et de toute une époque ; s’appuyer sur la science historique en critiquant telle tradition, telle anecdote peu sûre ; mais ne pas hésiter à broder pour mener un récit pittoresque et captivant. À cet égard, l’ouvrage vaut sans doute d’abord par la sympathie manifestée par Magne à l’égard de l’intimidant Poussin, dont il fait à plusieurs reprises le portrait physique et moral, brossant de son enfance paysanne et de sa jeunesse aventureuse un tableau coloré, qui tient des frères Le Nain et du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. Partageant les ignorances et les préjugés de son temps sur l’art en France des tout débuts du XVIIe siècle, l’auteur n’en souligne pas moins l’importance de Quentin Varin dans la formation du peintre et met en place, souvent avec justesse, les rares jalons sûrs des apprentissages de Poussin. Si érudit pour ce qui touche à la France, Magne connaît mal les Italiens qui ont joué un grand rôle dans les débuts du peintre : le cavalier Marin, Cassiano dal Pozzo n’ont ici guère de relief. En revanche, le milieu d’ecclésiastiques, d’érudits et d’écrivains souvent « libertins » qui croisèrent le peintre à Rome est bien évoqué, ainsi que les agents et créatures de Richelieu. Magne sait mettre à profit ses connaissances en histoire littéraire ; il s’appuie également sur des correspondances tirées des archives du ministère des Affaires étrangères. Mais il adopte souvent un ton superficiel et partisan, traitant François Sublet de Noyers de « cagot confit en dévotion » et voyant en Paul Fréart de Chantelou un « pleutre » qui extorqua au peintre des tableaux au plus bas prix.
L’ouvrage se présente avant tout comme une chronique très animée de la vie du peintre. Mais que nous apprend-il sur l’art de Poussin ? Le catalogue (qui compte 342 numéros, contre environ 250 aujourd’hui) n’est guère « scientifique » selon les critères actuels. Il mélange œuvres conservées et disparues, œuvres sûres et douteuses et accepte des attributions traditionnelles, parfois sur la seule foi d’une gravure, sans examiner les tableaux. Classé par sujets, il ne prend pas parti sur les épineux problèmes – pas encore entièrement résolus aujourd’hui – de la chronologie de l’œuvre. Ainsi, il place à la fin de la vie du peintre des tableaux en fait beaucoup plus précoces (La Danse de la vie humaine, Les Bergers d’Arcadie…) et en tire des conclusions fausses (« une peinture d’idéologue »). Il contraste avec la rigueur du catalogue de l’Allemand Otto Grautoff, dont la monographie sur Poussin parut aussi en 1914 (160 œuvres sûres, séparées des œuvres douteuses ou rejetées, classées chronologiquement, présentées en notices formalisées).
Si Émile Magne cite un certain nombre de textes théoriques sur la peinture contemporaine de Poussin, il n’en tire pas vraiment parti. Il oppose de façon simpliste le « dogmatisme ridicule » de l’Académie royale à la peinture de « délectation » selon Poussin. Son exposé clair et succinct des méthodes de travail comme des choix esthétiques de celui-ci aboutit, faute de connaissances plus précises en ce domaine, à une présentation quelque peu « double » de l’artiste. Magne oppose en effet les œuvres tardives, ces synthèses trop intellectuelles d’un « Poussin penseur », à celles du « Poussin poète » : les paysages, ces « fantômes ineffables du panthéisme antique » et les bacchanales où l’artiste a « épanché tous les modes d’enthousiasme poétique qui emplissaient son cerveau ». Magne tend ainsi à valoriser toute cette partie mythologique de l’œuvre, qu’il rattache bien sûr à ses propres goûts en matière littéraire.
L’ouvrage reprend à son compte l’idée, très accréditée à l’époque, d’un Poussin chef de l’école française, à la sévère prestance et à la vie réglée, manifestant une foi inébranlable en l’art : l’artiste devient la référence de tous ceux qui aspirent à un « retour à l’ordre ». Magne n’ignore pas les débats et les préférences esthétiques de la France d’avant-guerre, allant jusqu’à citer un article de Jacques Rivière (« Poussin et la Peinture contemporaine », L’Art décoratif, 5 mars 1912) qui place Paul Cézanne et Maurice Denis parmi la descendance du peintre de L’Inspiration du poète – un tableau que le Louvre venait d’acheter en 1911 et qui devait renforcer pour longtemps cette image compassée de Poussin.
Le Poussin de Magne n’en demeure pas moins un monument, placé entre les biographies de l’artiste qui se succédèrent du XVIIe au XIXe siècle et les études plus ambitieuses, avec catalogues raisonnés, qui devaient voir le jour au XXe siècle. C’est un excellent témoignage d’une histoire de l’art à la française, très documentée, mais d’inspiration littéraire. À cet égard, le contraste est criant avec la méthode allemande, appliquée au même moment par Otto Grautoff dans sa propre monographie : un récit biographique réduit au minimum, mais une étude beaucoup plus précise de l’évolution d’une création artistique, menée à partir de l’analyse formelle des œuvres replacées dans une chronologie ; la situation de l’artiste par rapport aux grands modèles du passé et aux courants contemporains, le tout appuyé sur un catalogue plus sûr et mieux ordonné.
Magne, s’il se laisse aller parfois à des descriptions élégantes, à des évocations fort bien venues, ne s’intéresse guère à la façon dont la construction, l’éclairage et le coloris sont mis en œuvre dans les tableaux. Grautoff, quant à lui, a mis en lumière plusieurs points que les historiens à venir développeront, comme « l’esprit de l’Antiquité » chez Poussin ou ses rapports avec la philosophie de René Descartes… Analysant plus en détail, dans une série d’excursus rejetés en fin d’ouvrage, la correspondance du peintre et les textes théoriques de son temps, il utilise également plusieurs concepts forgés à la fin du XIXe siècle par les fondateurs d’une « science de l’art » : le baroque, le Kunstwollen… Son histoire de l’art, menée comme une expérience à partir d’une investigation minutieuse des œuvres et des textes, est essentiellement formaliste, alors que le livre d’Émile Magne reste un récit haut en couleurs dédié à l’une des « gloires de la France ».
Alain Mérot, professeur d’histoire de l’art moderne, université de Paris IV – Sorbonne
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Les Erreurs de documentation de Cyrano de Bergerac. Paris : Revue de France, 1898.
- Le Cyrano de l’Histoire. Paris : Dujarric, 1903.
- Bertran de Born. Paris : Lechevalier, 1904.
- Scarron et son milieu. Paris : Mercure de France, 1905.
- Madame de Villedieu. Paris : Mercure de France, 1907.
- Madame de La Suze et la Société précieuse. Paris : Mercure de France, 1908.
- L’Esthétique des villes. Paris : Mercure de France, 1908.
- Le Plaisant Abbé de Boisrobert, fondateur de l’Académie française. Paris, 1909.
- Madame de Châtillon. Paris : Mercure de France, 1910.
- Voiture et les Origines de l’hôtel de Rambouillet. Paris : Mercure de France, 1911.
- Gaultier-Garguille, comédien de l’hôtel de Bourgogne. Paris : Louis-Michaud, 1911.
- Voiture et les Années de gloire de l’hôtel de Rambouillet. Paris : Mercure de France, 1912.
- Les Femmes illustres : Ninon de Lenclos. Paris : Nilson, 1912.
- Nicolas Poussin, premier peintre du roi. Bruxelles : Van Oest, 1914.
- Lettres inédites du Grand Condé et du duc d’Enghien à Marie-Louise de Gonzague, reine de Pologne, sur la cour de Louis XIV. Paris : Émile Paul, 1920.
- Une amie inconnue de Molière. Paris : Émile Paul, 1922.
- Le Vrai Visage de La Rochefoucauld. Paris : Ollendorff, 1923.
- Madame de La Fayette en ménage. Paris : Émile Paul, 1926.
- Le Cœur et l’Esprit de Madame de La Fayette. Paris : Émile Paul, 1927
- Le Salon de Madeleine de Scudéry, ou le Royaume de Tendre. Monaco : imprimerie de Monaco, 1927.
- Bibliographie générale des œuvres de Nicolas Boileau-Despréaux et de Gilles et Jacques. Paris : L. Giraud-Badin, 1929.
- Boileau, suivie des Luttes de Boileau. Documents inédits. Paris : L. Giraud-Badin, 1929.
- Les Plaisirs et les Fêtes. Les fêtes en Europe au XVIIe siècle. Paris : Rombaldi, 1930.
- Le Château de Saint-Cloud. Paris : Calmann-Lévy, 1932.
- Le Château de Marly. Paris : Calmann-Lévy, 1934.
- Au temps du Grand Roi, illustrations de Carlègle (album pour enfants). Paris : Calmann-Lévy, 1935.
- Naissance de l’Académie française. Paris : L’Illustration, 1935.
- Images de Paris sous Louis XIV. Documents inédits. Paris : Calmann-Lévy, 1939.
- La Vie quotidienne au temps de Louis XIV. Paris : Hachette, 1942.
- La Bruyère, Jean de (1645-1696). Paris : Plon-Nourrit, 1914.
- Le Chevalier de Lignières. Paris : Saunot, s. d.
- Vichy. Paris : Dewambez, s. d.
- L’Auvergne. Paris : Louis-Michaud, s. d.
Bibliographie critique sélective
- Rosenberg Pierre. – « À propos de Poussin, de Chantelou et d’Émile Magne ». In El-Wakil Leïla, éd., Liber veritatis : Mélanges en l’honneur du professeur Marcel G. Roethlisberger. Cinisello Balsamo : Silvana Editoriale, 2007 (« Biblioteca d’arte »), p. 133-139.
Sources identifiées
- Voir Pierre Rosenberg. – « À propos de Poussin, de Chantelou et d’Émile Magne ». In El-Wakil Leïla, éd., Liber veritatis : Mélanges en l’honneur du professeur Marcel G. Roethlisberger, Cinisello Balsamo : Silvana Editoriale, 2007 (« Biblioteca d’arte »), p. 133-139.
En complément : Voir la notice dans AGORHA