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HOURTICQ, Louis
Mis à jour le 28 octobre 2008(31 décembre 1875, Brossac [Charente] – 15 mars 1944, Paris)
Auteur(s) de la notice :
VAISSE Pierre
Profession ou activité principale
Professeur à l’École des beaux-arts, inspecteur général de l’Enseignement du dessin
Autres activités
Historien de l’art de différentes périodes, théoricien et vulgarisateur
Sujets d’étude
Peinture italienne de la Renaissance, de l’époque moderne et contemporaine, littérature
Carrière
Études secondaires au collège de Cognac, puis préparation à l’École normale supérieure au lycée Louis-le-Grand
1898 : admission à l’École normale supérieure
1903 : agrégé de lettres
1904-1906 : chargé de cours d’histoire de l’art dans plusieurs lycées de jeunes filles (suppléances)
1906-1914 : sous-inspecteur des Beaux-Arts à la Ville de Paris
1914 : mobilisé comme officier
1918 : reprend ses fonctions à la Ville de Paris
1919 : docteur d’État, nommé professeur d’histoire de l’art et d’esthétique à l’École des beaux-arts
1924 : nommé inspecteur général de l’Enseignement du dessin
1927 : élu membre de l’Académie des beaux-arts (au fauteuil de Moreau-Nélaton)
Étude critique
Ignoré par Udo Kultermann et par Germain Bazin dans leurs panoramas de l’histoire de l’histoire de l’art, Louis Edmond Joseph Hourticq est tombé dans un oubli aussi profond qu’injustifié, mais qu’explique peut-être, en partie du moins, son abondante production d’ouvrages généraux qui ont pu le faire tenir pour un simple vulgarisateur. « Pourtant, vulgariser l’histoire de l’art est œuvre utile », répondait-il par avance au début de son livre La Peinture des origines au XVIe siècle. Vulgarisateur, il le fut en effet non par incapacité de faire œuvre d’historien ou de théoricien, mais par conviction. Outre qu’elle a peut-être influé sur le choix de sa carrière, l’exigence qui l’habitait de transmettre le savoir ne se traduit pas seulement par la publication d’ouvrages destinés au grand public ; elle se manifeste également par une habitude très personnelle d’illustrer même ses ouvrages les plus savants, tels que sa thèse de doctorat d’État La Jeunesse du Titien ou son principal ouvrage théorique, La Vie des images, de très nombreux croquis d’après des œuvres ou des détails d’œuvres, croquis qu’il exécutait lui-même et qu’il accompagnait de légendes explicatives qui reprennent les principaux moments du texte sous une forme résumée, plus didactique, permettant ainsi une lecture rapide.
Peut-être Hourticq aurait-il préféré de bonnes reproductions photographiques à ces rapides croquis si leur abondance même n’avait pas exclu une telle solution. Or, ils ne lui étaient pas seulement nécessaires à des fins de vulgarisation : ils constituaient une documentation visuelle sur laquelle reposait tout son discours et sans laquelle celui-ci aurait perdu son sens. Il y avait là une façon de regarder les œuvres, c’est-à-dire une méthode consistant à s’appuyer sur l’observation attentive de leurs caractères formels qui, sans être absolument neuve, ne prit guère son essor qu’à partir des dernières années du XIXe siècle. De ce point de vue, l’importance de Hourticq était suffisamment reconnue en France au début du XXe siècle pour que la rédaction de la Revue de synthèse historique lui confiât l’article sur la méthode en histoire de l’art dans le numéro qu’elle consacra en 1914 à cette discipline. Auparavant, il avait été chargé de rédiger un gros volume sur l’histoire de la peinture des origines au XVIe siècle dans une collection dirigée par Henry Marcel qui, sous le titre trop modeste de « Manuels d’histoire de l’art », comprenait en fait des synthèses de haute qualité.
En 1919, Hourticq publiait sa thèse de doctorat d’État qui ne dépare pas la série des grandes thèses par lesquelles s’illustra l’histoire de l’art en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le sujet même, l’œuvre de jeunesse du Titien, montre un penchant pour les questions controversées, de même que, plus tard, son livre sur la jeunesse de Poussin, c’est-à-dire sur l’œuvre du peintre avant son départ pour Rome. Il s’en prenait à ce qu’il appelait le pangiorgionisme, ce cercle vicieux dans lequel s’enfermaient les auteurs qui, s’étant fait une idée de ce que devait être l’art de Giorgione à partir d’un tableau dont l’attribution ne reposait sur rien de solide, lui constituaient un œuvre démesurément grossi. Sans doute allait-il trop loin dans sa réaction, jusqu’à mettre en doute le rôle d’initiateur de la manière moderne qu’avait eue Giorgione à Venise, et il revint en 1930 sur cet excès dans le livre qu’il lui consacra. Sans doute aussi les études sur le Titien n’ont-elles pas confirmé toutes ses interprétations ; mais ses erreurs ne justifiaient pas l’oubli dans laquelle tomba sa thèse, à laquelle on a récemment rendu justice. C’est ainsi qu’Alessandro Ballarin pouvait écrire en 1993, dans le catalogue de l’exposition Le Siècle du Titien, que « dans l’histoire des recherches sur les rapports entre Giorgione et Titien, il n’existe rien d’aussi important que l’intervention de Hourticq ». À propos du Concert champêtre du Louvre, il ajoutait : « C’est donc Hourticq qui inaugure un nouveau chapitre de l’histoire du tableau, après celui ouvert par Morelli. » De fait, Hourticq fut le premier à rendre au Titien cette œuvre parmi les plus controversées de l’histoire de la peinture en fondant son opinion sur des arguments précis – attribution aujourd’hui largement admise, mais qui ne s’imposa qu’après des décennies.
Le livre sur la jeunesse de Poussin reste, lui, à peu près totalement oublié, sans doute à juste titre : Hourticq tentait de combler le vide de la période parisienne du peintre en remontant la date de tableaux qui n’ont pu être exécutés qu’en Italie. Mais l’histoire de l’art, à l’époque où il rédigea cette étude, semble être passée au second rang de ses préoccupations, derrière des spéculations théoriques qui devaient même prendre une dimension philosophique, ainsi qu’il ressort du titre de la collection dans laquelle parurent deux de ses derniers ouvrages. Elles s’étaient déjà manifestées dans son article de 1914 pour la Revue de synthèse historique. Il y dénonçait ce qu’il appelait la méthode documentaire, c’est-à-dire le recours exclusif aux sources écrites, lui opposant la méthode intuitive et l’observation des qualités visuelles de l’œuvre. La question concernait les problèmes d’attribution, en particulier d’œuvres des XIVe et XVe siècles ; mais les attributions n’étaient pas seules en cause : sa critique concernait aussi la recherche iconographique. Si un texte littéraire pouvait éclairer le sujet d’une œuvre comme un document d’archive son histoire, les connaissances qu’ils apportaient demeuraient cependant, selon lui, extérieures à l’œuvre, sans rapport avec leur véritable compréhension, donc d’un intérêt limité, sinon nul. Les travaux d’Émile Mâle se trouvaient explicitement visés au même titre que ceux des historiens de l’art de formation chartiste.
Ce refus d’accepter que les œuvres pussent être expliquées par des textes renvoyait à une conception de l’art que devaient développer des ouvrages postérieurs, mais répondait aussi à une considération stratégique dans le champ des savoirs. Soumettre les œuvres d’art à l’écrit, qu’il s’agît de documents ou de textes littéraires, c’était faire de la jeune et encore fragile histoire de l’art une simple dépendance, soit de l’histoire tout court, soit de l’histoire de la littérature, deux disciplines ayant depuis longtemps pignon sur rue. Hourticq se lançait ainsi dans un combat qui avait déjà animé d’autres historiens de l’art, en Allemagne, en particulier. Une discipline ne pouvait prétendre à l’autonomie, ne pouvait trouver « sa raison d’être et sa méthode », écrivait-il, que si elle avait un objet spécifique, irréductible à l’objet des disciplines voisines ; « une science n’existe que lorsqu’elle s’est donné un objet déterminé », et elle « n’est vraiment utile qu’à condition d’être indépendante ». L’article apparaît ainsi comme un long plaidoyer en faveur de l’indépendance de l’histoire de l’art. On sait quelle conséquence cette recherche d’une spécificité de la discipline eut sur l’importance prise au début du XXe siècle par la notion de style. Hourticq, lui, fondait l’histoire de l’art sur le principe d’une force interne d’évolution liée aux techniques et à des traditions propres. Il ne faisait par là qu’esquisser en quelques pages un sujet pour lequel, écrivait-il en conclusion, il faudrait « un nouvel article, ou même un livre ».
Ce livre, il devait le publier en 1927. C’est La Vie des images. Le lien avec l’article de 1914 est assuré par quelques développements qu’il reprit tels quels. Les deux derniers chapitres, par ailleurs, « Les Images et les Mots » et « L’Univers de l’art et celui de la science », annoncent très précisément les deux livres qu’il écrivit plus tard pour la collection « Bibliothèque de philosophie scientifique ». C’est donc l’ensemble de ses idées sur l’art qu’offre ce gros in-4 sur papier glacé, abondamment illustré, dépourvu de notes et de références, ce qui lui confère l’apparence trompeuse d’un livre de vulgarisation. À cela s’ajoute une démarche fondée sur l’analyse d’œuvres choisies dans les époques et les domaines les plus différents, non sans un lien logique entre elles, mais sans la volonté de bâtir un « système théorique et complet », qui ne serait jamais, selon l’auteur, « qu’une construction assez artificielle », car « on démontre et l’on réfute, au fond, ce que l’on veut » (p. 17).
Cette remarque, que justifient trop de systèmes esthétiques, tient aussi au refus d’assurer aux mots une quelconque supériorité sur l’image. Pour Hourticq, l’art ne serait qu’un vain divertissement s’il ne faisait qu’exprimer ce qui peut l’être mieux par l’écrit. Il est sans doute un moyen de connaissance, mais d’une connaissance acquise grâce à l’aptitude manuelle de l’homme. Les œuvres ne s’expliquent ni par la race, ni par le climat, comme l’aurait voulu Taine (dont il qualifie la méthode d’« assez paresseuse et tautologique »), mais par le matériau et la technique. C’est pourquoi « la vie des images se développe selon des lois qui lui sont propres ». D’où la récurrence des mêmes phénomènes à des siècles de distance : lorsque la grande statuaire réapparut au début du Moyen Âge, les sculpteurs se trouvant confrontés aux mêmes problèmes techniques que leurs ancêtres grecs de la période dite archaïque, leur art passa par la même phase de frontalité des figures. Mais la matière et la technique ne déterminent pas que l’aspect des œuvres ; elles déterminent aussi la vision de l’artiste : « L’histoire nous enseigne que l’artiste ne voit jamais dans ce modèle [la nature] que ce que son métier lui permet d’en reproduire. N’arrivons-nous pas à dire que la nature est, sinon une invention, tout au moins une découverte de l’art ? » Celui-ci n’a-t-il pas, souvent, précédé la science ? C’est ce que l’auteur affirme dans L’Art et la Science : « Il a fallu les découvertes mécaniques, géométriques, anatomiques des architectes et des dessinateurs pour que le mécanisme de Descartes et de Newton pût s’installer dans l’univers préparé par les œuvres de la plastique. » D’autre part, puisque l’art évolue en fonction d’une détermination interne, il est vain de vouloir expliquer, comme le faisait Émile Mâle, les formes qu’il avait prises au Moyen Âge par les écrits des théologiens ou par le sentiment religieux. Bien au contraire, ce sont les images qui, douées d’une vie autonome, déterminaient les formes de la piété, et ce sont les exigences de l’architecture et de la décoration architecturale, non un programme théologique, qui ont déterminé l’aspect du portail royal de Chartres.
Les pages consacrées à ce portail semblent directement empruntées à Wilhelm Vöge, dont le livre sur les débuts du style monumental au Moyen Âge, publié en 1894, était bien connu en France. Il est plus difficile d’identifier les autres sources d’inspiration de Hourticq, quoique le rôle qu’il attribue aux techniques ne soit pas sans rappeler les idées de Semper. Toutefois, sa réhabilitation de la main, son refus d’une hiérarchie assurant la primauté à la pensée qui s’exprime par l’écrit le situent dans un vaste mouvement d’idées qui a marqué la fin du XIXe et le début du XXe siècle. On pourrait en déduire qu’il s’opposait, comme beaucoup de contemporains, à la doctrine académique qui prenait sa source dans la volonté d’élever les arts plastiques au rang des arts libéraux et avait cultivé le principe Ut pictura poesis, et qu’il plaçait les artisans du Moyen Âge au-dessus des artistes de l’ère académique. Il n’en est pourtant rien : dans ce débat idéologique qui dépassait de loin les limites de l’histoire de l’art, il a clairement pris parti, au nom de la nécessité historique, pour l’institution de l’Académie : « Dans le Paris du commencement du XVIIe siècle, il n’était pas de maître qui enseignât le “grand dessin”, la perspective, l’anatomie, l’histoire, toutes ces doctrines ou techniques qui venaient d’illustrer l’art italien et que les écoles d’Europe cherchaient alors à s’assimiler » (L’École nationale supérieure des beaux-arts, « Historique »). Il repousse en conséquence le reproche fait à l’institution académique, et d’abord à la Renaissance, d’avoir rompu avec la tradition nationale et populaire au profit d’un art étranger et aristocratique. C’était prendre parti contre une conviction alors largement répandue et en particulier contre un historien de l’art dont le prestige restait immense au début du XXe siècle : Louis Courajod. De fait, le compte rendu qu’il donna, dans la Gazette des Beaux-Arts d’avril 1904, des Leçons professées à l’École du Louvre est, malgré quelques phrases d’éloge convenu en conclusion, une réfutation radicale des idées de celui qu’il qualifie de « paladin fourvoyé ».
Il est revenu en 1922, dans une chronique de la Revue de l’art ancien et moderne, sur « le cas Courajod », plus précisément sur l’importance accordée par Courajod à l’élément germanique dans la formation de l’art français. C’était s’engager dans le débat, si vif à l’époque, entre Nord et Midi, entre esprit germanique et latinité ; mais Hourticq élargit l’opposition en l’étendant à l’art moderne : « Quand les modèles classiques furent honnis, on est passé à l’archaïsme […]. L’art nègre s’installe où régnait Praxitèle. Les Vandales sont revenus et prennent leur revanche sur les Académies. Courajod est vengé et peut dormir content. » De fait, Hourticq n’appréciait pas l’art moderne. Le Génie de la France s’arrête à Puvis de Chavannes, Rodin et Monet. Sans doute attribue-t-il, à la fin du livre, la responsabilité d’une situation qu’il déplore à l’individualisme issu de la Révolution, à la « tyrannie de l’indépendance », à « l’obligation de ne ressembler à personne » – au principe de l’avant-garde, dirait-on aujourd’hui. Dans les pages précédentes, toutefois, il avait rappelé un thème qui lui était cher : l’opposition, non pas entre le Nord et le Sud, mais entre l’Orient et l’Occident – une opposition qui tendait à l’époque à se substituer à la première et qui résumait pour lui toute l’histoire de l’art depuis les temps préhistoriques. À ses yeux, l’art oriental restait un art inférieur, un jeu de lignes et de couleurs, une ornementation de surface. Jamais il ne mentionne la peinture abstraite, mais nul doute qu’elle représentait pour lui, si tant est qu’il s’en soit soucié, une régression, non vers l’art d’Afrique ou des Vandales, mais vers cet Orient dont l’art n’offrait qu’« une simple parure décorative pour le plaisir des yeux », et il aurait pu en rendre aussi Courajod responsable. En 1952, Berenson ne manifestait-il pas le même attachement à l’héritage des Grecs et de la Renaissance lorsqu’il dénonçait en Strzygowski, dont les idées s’apparentent pour beaucoup à celles de Courajod, l’introducteur de l’art abstrait !
Pierre Vaisse, professeur honoraire d’histoire de l’art contemporain à l’université de Genève
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- La Peinture des origines au XVIe siècle. Paris : H. Laurens (« Manuels d’histoire de l’art »), 1908.
- Manet. Paris : Librairie centrale des beaux-arts (« L’Art de notre temps »), s. d. [1911].
- « De la méthode en histoire de l’art ». Revue de synthèse historique, XXVIII, février 1914, p. 19-44.
- Récits et Réflexions d’un combattant : Aisne, Champagne, Verdun, 1915-1916. Paris : Hachette, 1918.
- La Jeunesse de Titien. Paris : Hachette, 1919.
- La Vie des images. Paris : Hachette, 1927.
- Ingres. L’Œuvre du maître. Paris : Hachette, 1928.
- La Jeunesse de Poussin. Paris : Hachette, 1937.
- « Historique ». In L’École nationale supérieure des beaux-arts. Paris : La Grande Masse, 1937.
- Génie de la France. Paris : Presses universitaires de France, 1943.
- L’Art et la Science. Paris : Flammarion (« Bibliothèque de philosophie scientifique »), 1943.
- L’Art et la Littérature. Paris : Flammarion (« Bibliothèque de philosophie scientifique »), 1946.
Bibliographie critique sélective
- Cazamian Louis. – « Louis Hourticq ». Annuaire de l’Association amicale des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1947, p. 46-49.
- Labrousse François. – « Notice sur la vie et les travaux de Louis Hourticq ». Publications de l’Institut de France, n° 8, 1948.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour
En complément : Voir la notice dans AGORHA