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GUADET, Julien
Mis à jour le 25 février 2013(25 décembre 1834, Paris – 17 mai 1908, Paris)
Auteur(s) de la notice :
THOMINE-BERRADA Alice
Profession ou activité principale
Architecte, théoricien de l’architecture
Activité secondaire
Chef d’atelier d’architecture, professeur de théorie à l’École des beaux-arts
Sujets d’étude
Architecture antique, architecture classique
Carrière
1853 : entrée à l’École des beaux-arts, élève de Labrouste
1854 : à la fermeture de l’atelier Labrouste, entrée dans l’atelier André
1861-1864 : sous-inspecteur des bâtiments civils, affectés aux travaux de l’opéra de Paris sous la direction de Charles Garnier
1863 : Chef de file de la révolte contre la réforme de l’École des beaux-arts
1864 : Grand Prix de Rome
1865-1868 : séjour à la villa Médicis
1870-1877 : inspecteur des bâtiments civils, nommé à l’agence des travaux du Muséum sous la direction d’André ; auditeur au conseil des bâtiments civils
1871 : direction d’un des trois ateliers officiels de l’École des beaux-arts
1874 : architecte diocésain d’Ajaccio
Mars 1878 : nommé architecte des bâtiments civils, mis à disposition par le ministre des Travaux publics auprès du ministère des Postes et Télécommunications pour le projet de la nouvelle Poste centrale du Louvre
1880-1886 : construction de la Poste centrale du Louvre
1883 : architecte diocésain de Montauban et de Rennes
1888 : obtention du diplôme d’architecte au titre de Grand Prix de Rome
1892 : architecte diocésain de Saint-Brieuc
1893 : architecte du Palais-Royal et de la Comédie française
1894, novembre : abandon de la direction de l’atelier officiel pour prendre le poste de professeur de théorie de l’École des beaux-arts.
1895 : inspecteur-général des Bâtiments civils.
1895 : rédaction du Code Guadet, qui définit pour la première fois les grands principes définissant la profession d’architecte
1900 : rénovation de la Comédie française après l’incendie du 8 mars
1901 : publication d’Éléments et théorie de l’architecture
1908 : décès
Étude critique
Dès sa jeunesse, Julien Guadet fut confronté aux nouvelles problématiques soulevées par l’importance grandissante des sciences historiques dans la création architecturale. En effet, il choisit de débuter sa formation au sein de l’atelier d’Henri Labrouste, où était remis en cause la vision statique de l’histoire défendue par l’Académie. Lorsqu’en 1856, Henri Labrouste cessa son enseignement, il décida de ne pas rejoindre l’atelier de Viollet-le-Duc – comme le firent Anatole de Baudot et ses émules – et prit la tête des étudiants qui optèrent pour les leçons de Jules André. Ce parti pris était le reflet de ses convictions relatives à l’usage de l’histoire et de ses réticences précoces – Guadet avait alors 20 ans – vis-à-vis de la pensée de Viollet-le-Duc auquel il reprocha plus tard de façon explicite son systématisme et l’intérêt exclusif qu’elle accordait au Moyen Âge. Dix ans après, il prenait de nouveau position contre celui-ci en participant aux troubles que suscita en 1863 la réforme pédagogique imaginée par le restaurateur de Notre-Dame. Initiant avec son ami Jean Louis Pascal la révolte que suscitèrent ses transformations, il rédigeait en novembre 1863 une pétition qui réunit plus de 300 signatures d’étudiants. Au-delà de la défense de son avenir professionnel (la réforme en limitant de 30 à 25 ans l’âge des candidats pour le Grand Prix de Rome, privait un grand nombre d’étudiants, dont Guadet, de cette glorieuse perspective), il luttait pour la liberté artistique et le droit de ne pas adhérer aux idéaux de l’école néo-gothique. En témoigne la façon dont il formula ses griefs contre le nouveau cours d’esthétique confié à Viollet-le-Duc lors de l’entretien que les représentants des élèves obtinrent avec le ministre de la maison de l’Empereur et des Beaux-Arts, le maréchal Jean-Baptiste Philibert Vaillant : « L’esthétique, c’est la religion de l’artiste. Instituer chez nous […] une esthétique d’état […], ce sera nous ramener au temps que nous, jeunes gens, n’avons pas connu, mais que nos aînés peuvent se rappeler, où pour obtenir une fonction – ou un grade – il fallait commencer par montrer un billet de confession » (Éléments et théorie de l’architecture, 1901, vol. I, p. 5) Grand Prix de Rome l’année suivante (1864), il faisait de nouveau œuvre d’agitateur en avouant dans le rapport de son envoi de 4e année les doutes qui assaillaient les jeunes architectes face à ce travail de restauration : « Le règlement de l’Académie nous demande […] la restauration d’un monument antique ; je l’ai faite, je l’ai faite, je puis le dire, de mon mieux, mais je l’ai faite à regret. C’est malheureusement sans doute un travail auquel je ne crois pas et je puis dire avec expérience qu’un tel travail, lorsqu’on ne croit pas à sa possibilité, est lourd à conduire à sa fin. » (cité par François-Xavier Amprimoz et Pierre Pinon, Les envois de Rome (1778-1968) : architecture et archéologie, 1988, p. 330). Il exprimait ici pour la première fois la méfiance que lui inspirait l’utilisation de l’archéologie par les architectes.
Ayant choisi une carrière d’architecte et d’enseignant – il fut trois ans après son retour de Rome nommé responsable d’un des trois grands ateliers officiels de l’École – , Guadet n’eut jamais l’ambition de faire œuvre d’historien mais appartenant à une époque marquée par le succès envahissant de la pensée rationaliste, la remise en cause des modèles classiques et la nécessité de faire coïncider architecture et identité nationale, il continua à jouer un rôle essentiel dans l’histoire des idées en contribuant au renouvellement des références académiques et du rapport de la théorie à l’histoire. Ainsi, sa principale réalisation, la Poste du Louvre (1881-1885), fut conçue comme une profession de foi contre la pensée de Viollet-le-Duc et les architectes de l’école néo-gothique, puisque le bâtiment témoignait que le gothique n’était pas la seule esthétique compatible avec les usages modernes et qu’il était possible d’allier des références classiques au respect du rapport entre fonction et composition. Mais il construisit fort peu et le rayonnement de ses idées passa principalement par la réputation de son enseignement (tout d’abord comme responsable d’un atelier officiel de l’École des beaux-arts – à partir de 1870 – puis comme professeur de théorie – poste qu’il obtint en 1893) et le succès de ses publications, en particulier son ouvrage, appelé à marquer toute une génération d’architectes en France et à l’étranger (il fut très vite et très largement traduit), Éléments et théorie de l’architecture (1901). Sa pensée s’articula autour d’une méfiance vis-à-vis de l’archéologie qui le conduisit à défendre une vision de l’histoire fondée sur l’idée de tradition.
Dix ans après son envoi de 4e année, Guadet développa plus précisément, dans un texte consacré au Colisée (1878), les raisons de sa méfiance vis-à-vis de l’archéologie. Après avoir présenté son travail comme celui d’un artiste et non d’un historien ou d’un archéologue, il qualifia son approche intellectuelle d’ « analyse » qu’il définit comme une méthode scientifique opposée à l’incertitude des hypothèses faites par les historiens ou les archéologues. Plus tard, dans ses leçons de théorie à l’École des beaux-arts, il poursuivit son réquisitoire contre l’archéologie, en expliquant qu’elle était un frein à la liberté artistique : « Depuis un siècle et dans le monde entier, les arts et l’architecture surtout sont anémiés par leur subordination à l’archéologie. Eussions-nous un Raphaël ou un Paul Véronèse, il ne leur serait permis de faire ni l’École d’Athènes, ni les Noces de Cana, car à ces admirables chefs d’œuvre l’archéologie opposerait qu’ils sont inexacts ! […] Si j’insiste […], ce n’est certes pas pour faire table rase de tout ce qui nous a précédés […]. Mais je hais les proscriptions artistiques comme toutes les proscriptions, l’exclusivisme artistique comme tous les exclusivismes […]. » (« Leçon d’ouverture du cours de théorie d’architecture… », p. 400) À l’instar des critiques de Léonce Reynaud, ces reproches visaient très précisément la rigidité des références imposées par l’école néo-gothique. Il put avoir à son propos des mots à l’ironie féroce : « [Faut-il] enfermer les origines et les sources de notre architecture entre le XIIe et le XVe siècle, et nous astreindre aux formes, au style et jusqu’aux gargouilles de cette époque ? Mais alors habillons-nous en figurants de la Tour de Nesle et conférons avec nos clients dan la langue du sire de Joinville. » (L’enseignement de l’architecture…, p. 21) L’approche archéologique, parce qu’elle avait pour objectif d’insérer les édifices dans leur temps, de les reconstituer, figeait les modèles historiques dans le passé. Guadet n’en accordait pas moins un très grand intérêt à l’histoire : « On ne peut cependant décrire l’architecture sans exposer ses évolutions historiques ; j’aurai à le faire à l’occasion, mais avec cette réserve capitale : l’histoire est une explication mais malheur à qui, professeur ou élève, enfermerait l’étude de l’architecture dans les lisières d’une étude historique. L’histoire vient […] confirmer les saines études, montrer les apogées concordant avec la discipline acceptée des principes, les décadences expiant fatalement leur oubli, les renaissances s’éclairant de leur réveil. » (ibid.)
Loin de sous-estimer l’importance des savoirs historiques, sa pensée en fut nourrie. Ainsi, la rédaction de son grand ouvrage, Éléments et théories de l’architecture, s’est appuyée sur des recherches documentaires approfondies sur les édifices du passé, menées avec persévérance au département des Estampes, ainsi qu’en témoignent les archives conservées à l’Institut français d’architecture. Mais la vision historique de Guadet va rompre radicalement avec celles des héritiers de Viollet-le-Duc. Alors que ceux-ci concevaient les édifices comme le reflet des principes de leurs temps, Guadet les percevait de façon identique, et se permit de les interroger en fonction de questions ou de principes éternels ancrés dans le présent. Ce qui intéressait Guadet, ce n’était pas la véracité d’une reconstitution historique mais les traces laissées concrètement par le passé au présent, ainsi qu’en témoignait sa définition du classicisme : « Le classique […] n’est le privilège d’aucun temps, d’aucun pays, d’aucune école. Le classique, c’est aussi bien Dante que Virgile, Shakespeare que Sophocle […]. Et pour nous, c’est le Parthénon, les Thermes ou les Amphithéâtres, Sainte-Sophie ou Notre-Dame, Saint-Ouen ou Saint-Pierre, le palais Farnèse ou le Louvre. » (ibid.) De ce fait, dans la pensée de Guadet, les ruptures historiques comme la hiérarchisation des époques, ou la distinction de phases de progression et de régression perdirent l’importance que ces concepts avaient dans l’œuvre de ces prédécesseurs, Viollet-le-Duc ou Léonce Reynaud : « Le progrès est chose lente et doit être chose sûre […] Savez-vous ce qui est très fort et très original ? C’est de faire très bien ce que d’autres ont fait simplement bien. Les plus belles époques d’art sont celles où la tradition était la plus respectée, où le progrès était le perfectionnement continu, l’évolution et non la révolution. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de génération spontanée en art : entre le Parthénon et les temples qui l’ont précédé, il n’y a que des nuances. » (ibid., p. 133-134)
Sa vision présente du passé n’en fit pas pour autant un promoteur de la copie : « Admirons ces magnifiques monuments tels qu’ils nous sont parvenus mais sachons être respectueux pour nous interdire de prétendre les refaire. » Il prôna au contraire une connaissance objective de l’histoire, perçue comme un réservoir patrimonial, et son ouvrage Éléments et théorie de l’architecture fut conçu comme « l’inventaire dressé […] méthodiquement […] du patrimoine acquis de l’architecture. » (ibid., vol. I, p. 10) Ainsi, expliquait-il aux jeunes architectes à qui il enseignait la théorie : « Si je pouvais vous dire, – prenons un programme, le théâtre par exemple – ce qu’a été le théâtre dans l’antiquité, ce qu’il a été aux différentes époques qui se rapprochent de notre temps, ce qu’il est aujourd’hui […], je ne conclurais pas […] « voilà comment vous devez faire un théâtre » […] mais je vous dirais : « voilà quel est l’état de la question » (L’Architecture, p. 407). Méfiant vis à vis de la notion de progrès et de rupture historique, Guadet préféra défendre celle de « tradition » (Éléments et théorie…, vol. 1, p. 133).
Guidée par de nouveaux principes, l’œuvre de Guadet se distingua également par de nouveaux contenus. Manuscrit conçu au départ (avant 1893) comme une publication destinée à guider ses élèves d’atelier dans l’apprentissage des éléments de base de l’architecture, son ouvrage Éléments et théorie de l’architecture évolua lorsque Guadet devint professeur de théorie. La construction du livre qui commence par décliner l’architecture par « éléments » puis développe les grands principes de l’architecture dans un ordre typologique reflétait ce double objectif. Il reprenait aussi l’organisation adoptée par Léonce Reynaud dans son célèbre Traité d’architecture. La pensée historique de Guadet fut construite suivant ces deux aspects. Sa réflexion sur les « éléments » l’amena à développer une histoire de la construction, proche de la pensée de Reynaud, tandis que la seconde partie consacrée aux grands programmes s’appuyait sur une histoire des typologies, reprenant ainsi l’organisation intellectuelle méthodique du Dictionnaire de Viollet-le-Duc. Bien que défenseur d’une vision continue de l’histoire, Guadet fut cependant amené à privilégier ou de dévaluer certaines périodes. Il fut ainsi très méfiant vis-à-vis de la période gothique dont la virtuosité était selon lui suspecte et doutait de l’utilité des arcs boutants. En revanche, ses centres d’intérêt furent chronologiquement bien plus larges que ceux de Viollet-le-Duc, en particulier parce qu’il fut un des premiers à présenter de façon systématique les grands édifices de la période moderne, du XVIe au XVIIIe siècle. En terme typologique, l’étude de cette période l’amena à accorder un intérêt particulièrement prononcé pour l’architecture privée, intérêt parfaitement en accord avec les besoins nés de l’accroissement des villes au tournant des XIXe et XXe siècles. L’histoire fondée sur la tradition que défendit Guadet fut bien une des multiples tentatives du XIXe siècle pour réconcilier passé et présent.
Alice Thomine, conservateur au musée d’Orsay, et Françoise Largier
Principales publications
Ne sont ici mentionnés que les titres documentant la pensée historique de Guadet.
Ouvrages
- Étude sur la construction et la disposition du Colisée, amphithéâtre flavien. Paris : A. Lévy, 1878 ; publié l’année suivante dans Le Moniteur des architectes, 1879, p. 6-36.
- L’enseignement de l’architecture : conférence faite à la Société centrale des architectes, le 24 mars 1882. Paris : Ducher, 1882.
- Éléments et théorie de l’architecture. Paris, 1901, 4 vol.
Articles
- « Le salon d’architecture de 1891 ». L’Architecture, 1891.
- « Leçon d’ouverture du cours de théorie d’architecture à l’École des beaux-arts ». L’Architecture, 8 décembre 1894, p. 397-400 et 406-408.
- Préface.– In Henry Guédy, L’Enseignement à l’École nationale et spéciale des beaux-arts, section d’architecture. Paris, librairie de la construction moderne : Aulanier et Cie éditeurs, s.d., p. I à VII (préface datée du 1er juin 1899).
Bibliographie critique sélective
- Sandor Kuthy.– Julien Guadet (1834-1908), thèse de doctorat. Paris, 1968, 2 vol.
- Sandor Kuthy.– « Julien Guadet et l’enseignement de l’architecture ». Architecture, Mouvement, Continuité, février 1970, p. 26-32.
- Mohamed Chaoui.– The rhetoric of composition in Julien Guadet’s Elements et théories de l’architecture, thèse de doctorat, 1981, University of Pennsylvania, 241 p. (non consulté).
- Sandor Kuthy.– « L’Académie des beaux-arts et Guadet contre Viollet-le-Duc ». Gazette des Beaux-Arts, CII, 1377, 1983, p. 134-138.
- Panayotis Tournikiotis.– « La Grèce dans l’histoire et la théorie de l’architecture (1899-1902) : Choisy et Guadet ». In Sophie Basch (éd.), La Métamorphose des ruines. L’influence des découvertes archéologiques sur les arts et les lettres (1870-1914). Paris/Athènes : École française d’Athènes, 2004, p. 39-45.
- Jacques Lucan.– Composition, non-composition, Architecture et théories, xixe-xxe siècles. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p. 154-171.
Sources identifiées
Paris, Archives nationales
Paris, Institut français d’architecture
En complément : Voir la notice dans AGORHA