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FORTOUL, Hippolyte
Mis à jour le 5 décembre 2008(4 août 1811, Digne – 4 juillet 1856, Ems)
Auteur(s) de la notice :
VAISSE Pierre
Profession ou activité principale
Journaliste, universitaire, ministre
Autres activités
Historien, historien de la littérature, historien de l’art
Sujets d’étude
Esthétique générale, art de l’Antiquité, art allemand
Carrière
1811 : naissance à Digne ; son père, avoué, entre dans la carrière préfectorale en 1831
1829 : baccalauréat (études secondaires à Digne, puis à Lyon)
1829-1837 : journaliste à Paris ; fréquente Béranger, Pierre Leroux, Lamennais
1834-1837 : voyages en Belgique, Allemagne, Suisse, Italie, Angleterre
1838 : publie une Histoire du XVIe siècle et un roman autobiographique ; voyage dans le sud de l’Allemagne et l’Italie du Nord
1840 : docteur ès lettres (thèse sur Virgile, thèse latine sur Aristote) ; voyage en Allemagne
1841 : professeur de littérature à l’université de Toulouse ; mariage
1841-1842 : publie De l’art en Allemagne
1844 : mort de sa fille ; voyage en Italie
1845 : professeur de littérature française et doyen de la faculté des lettres d’Aix-en-Provence
1848 : échec aux élections du 23 avril
1849 : élu député des Basses-Alpes ; se rapproche progressivement du Prince Président
1851 : ministre de la Marine (octobre) ; ministre de l’Instruction publique et des Cultes (3 décembre)
1853 : nommé sénateur
1854 : publie Études d’archéologie et d’histoire (recueil d’articles et d’ouvrages antérieurs)
1855 : élu membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres
1856 : meurt d’une crise cardiaque
Étude critique
Hippolyte Fortoul est surtout connu pour son action comme ministre de l’Instruction publique au début du Second Empire. Jusqu’à une date récente, la plupart des historiens ont porté sur elle un jugement sévère en raison de l’autoritarisme dont il avait fait preuve et de la brutalité avec laquelle il avait réprimé toute velléité d’opposition au sein de l’Université. Pourtant, ce bonapartiste convaincu s’était lié, lors de son arrivée à Paris après de brillantes études secondaires, avec des républicains convaincus comme le poète Béranger, qui lui manifesta son estime, ainsi qu’avec des saint-simoniens dissidents comme Pierre Leroux. Il resta d’ailleurs lui-même républicain jusqu’en 1848, lorsqu’il s’attacha au Prince Président. Mais il avait déjà renié ses illusions humanitaristes dans un roman autobiographique publié en 1838, Grandeur de la vie privée, provoquant l’indignation de ses amis. Trois ans plus tard, dans l’avertissement qui introduit son livre sur l’art allemand, il disait conserver sa place dans le « parti démocratique », qu’il opposait au « parti conservateur » dans lequel il était né, mais croyait constater un rapprochement des deux en vue de la « grande reconstruction de l’ordre ».
Cette évolution politique, dont il n’y a pas lieu de mettre en doute la sincérité, s’accompagnait d’une ambition sans frein servie par une vive intelligence et une rare puissance de travail. Venu à Paris pour faire carrière, il constate dès 1837 que le journalisme ne lui offre pas un avenir à la hauteur de son attente. Il se tourne alors vers des études plus sérieuses pour accéder à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui ne le recevra que beaucoup plus tard, et d’abord à l’université : Edgar Quinet lui ayant proposé en 1839 de reprendre sa chaire à Lyon, il se hâte de soutenir dès 1840 une licence, puis une thèse dans cette ville ; mais c’est à Toulouse qu’il sera nommé avant de devenir doyen de la faculté des lettres, nouvellement fondée, d’Aix-en-Provence.
Loin de se spécialiser dans un domaine, Fortoul a traité de sujets les plus divers, de la littérature antique à l’histoire de la Renaissance et des fastes de Versailles à la sculpture grecque. Leur choix tient pour une part aux circonstances : c’est ainsi que son ouvrage sur l’art en Allemagne, aujourd’hui le plus connu et sans doute le plus important, fut le fruit de deux (ou peut-être trois) voyages dans ce pays, dont un en compagnie de l’architecte Vaudoyer. Mais il reflète aussi sa conception de l’histoire. Fortement frotté de philosophie, Fortoul considère comme dépassé l’empirisme défendu par les penseurs de l’époque des Lumières : « Depuis le siècle dernier, l’esprit humain a changé sa méthode ; las de s’imposer la loi mobile et contingente des faits, il songe enfin à les soumettre au gouvernement éternel et nécessaire de ses idées » (Du génie de Virgile, p. 10). Dès la rédaction de sa thèse de doctorat, il s’était donc forgé une théorie générale de l’histoire fortement marquée par la pensée de Hegel telle qu’elle était alors vulgarisée en France : l’esprit humain, écrit-il dans De l’art en Allemagne , « tend vers la vie céleste par une suite d’évolutions dont il porte le principe en lui-même » (vol. 2, p. 548). Cette vision de l’histoire, il la projette sur les différents domaines qu’il aborde : « Ainsi j’arrive à vérifier par l’étude positive des faits une opinion que j’avais déjà déduite de la considération absolue des principes. » (De l’art en Allemagne, vol. 2, p. 327).
Une telle méthode, qui possède encore de nombreux adeptes parmi les historiens de l’art, dispense de tout effort d’érudition, de toute recherche d’œuvres inconnues ou de documents inédits ; mais il faut rendre cette justice à Fortoul qu’il rassemblait avec beaucoup de sérieux l’information disponible. S’il déclare, au début de son ouvrage sur l’art en Allemagne, n’avoir pas voulu « charger [son] livre des notes de tous les volumes qu'[il a] feuilletés », jugeant puéril cet « usage de quelques érudits », du moins une lecture attentive montre-t-elle qu’il a consulté de nombreux auteurs, qu’il a visité les galeries publiques et certaines galeries privées, comme celles du comte Raczinski et du consul Wagener à Berlin, qu’il fut reçu par des artistes dans toutes les villes où il séjourna ; il alla même, à Düsseldorf, suivre les leçons d’histoire de l’art que Schnaase dispensait à l’Académie des beaux-arts.
Le livre est en fait constitué de plusieurs études plus ou moins adroitement reliées entre elles, mais suffisamment indépendantes les unes des autres pour que quelques-unes aient été publiées auparavant dans la Revue de Paris ou la Revue des deux mondes. L’ensemble tient de différents genres, depuis le guide touristique jusqu’à la dissertation d’esthétique générale. Tantôt Fortoul conduit son lecteur de ville en ville, apparemment selon le cours de son voyage, tantôt il prétend suivre le fil d’une argumentation logique. D’où l’impression de décousu que laisse la table des matières, d’autant que le titre, De l’art en Allemagne, recouvre deux réalités distinctes : d’une part l’art allemand, ancien et moderne, de l’autre les œuvres d’art présentes dans les collections allemandes. Le premier volume commence par une série de chapitres consacrés à la musique, à la cathédrale d’Ulm, à Dürer, à Munich, et réunis sous le titre « De l’archaïsme allemand ». Vient ensuite une présentation de la résidence de Munich, suivie d’une « histoire de l’architecture d’après les monuments de Munich » dans laquelle ceux-ci n’apparaissent guère que comme un prétexte pour présenter une histoire générale de l’architecture. De là, le lecteur passe à la « rénovation de l’art en Allemagne », c’est-à-dire au néo-classicisme et au mouvements nazaréen – introduction à trois chapitres sur l’art contemporain dans l’Allemagne du Nord et du Midi. Le second volume s’ouvre sur une longue histoire de l’art grec à partir des œuvres conservées à la Glyptothèque de Munich (en particulier les marbres d’Égine), se continue par une histoire de la peinture occidentale depuis l’époque byzantine jusqu’aux contemporains, histoire fondée sur les œuvres conservées dans les grands musées allemands, et s’achève par une étude du « principe de l’art allemand d’après les monuments des cercles du Rhin, du Danube, de la Franconie et de la Saxe », qui consiste en la description d’un grand nombre de monuments, sur laquelle se greffent des réflexions concernant le problème de l’origine du gothique. Une telle incohérence ne va pas sans répétitions et même sans quelques contradictions, comme si ses idées s’étaient modifiées sur certains points (par exemple sur l’architecture gothique) entre le premier et le second volume.
En fait, au-delà de l’occasion qui lui donna naissance, l’ouvrage semble avoir répondu à deux préoccupations principales. L’une, sans doute liée à ses ambitions de carrière, consistait à élaborer les grandes lignes d’une histoire universelle de l’art ; l’autre, politique autant qu’artistique, tenait au désir de favoriser la synthèse des deux principes opposés sur lesquels reposaient selon lui l’art allemand et l’art français afin « d’aider quelque peu », du moins dans le domaine de l’art, « à cette grande reconstruction de l’ordre qui est aujourd’hui le vœu de tous les partis » (vol. 1, p. VII).
Dans l’évolution de l’art, Fortoul croit discerner une succession dialectiquement nécessaire d’époques et un retour cyclique de cette succession. C’est sur cette idée de retour que repose son essai, réédité en 1854 dans Études d’archéologie et d’histoire sous le titre « Étude sur l’histoire comparée de la peinture chez les anciens et chez les modernes », dans lequel il met en parallèle l’évolution de la peinture à plus d’un millénaire de distance. À ce déterminisme s’en ajoute un autre, ethnique et géographique, dans lequel il n’y a pas lieu de voir une anticipation des idées de Taine, tant l’idée d’une détermination de l’art par la race et le climat était banale à l’époque. Mais comme Taine un peu plus tard, Fortoul se trouve confronté au conflit entre un système déterministe et la nécessité de porter sur les œuvres un jugement de valeur esthétique. Il semble apporter au problème deux réponses distinctes. D’une part, la valeur d’une œuvre est d’autant plus grande qu’elle exprime plus fidèlement le génie du peuple ; mais à côté de cette valeur relative semble exister pour lui une valeur absolue, qui résiderait dans la synthèse supérieure de principes opposés, la forme et l’expression, telle que l’aurait réalisée l’art de la Renaissance et telle qu’il l’appelle de ses vœux. Mais au-delà de cette supériorité explicitement accordée à la Renaissance – ce qui n’était qu’un lieu commun à l’époque –, Fortoul laisse apparaître, en dépit de sa volonté affichée de mettre l’art allemand en balance avec l’art français, une préférence pour le second suffisamment sensible pour lui avoir attiré les critiques de Schorn dans le compte rendu qu’il publia de son livre dans le Kunstblatt en 1843.
En dépit de ces réserves, Fortoul fait preuve d’une connaissance et d’une compréhension de l’art allemand rares en France à son époque, et son livre apportait au public français une masse considérable d’informations sur la vie artistique outre-Rhin. Sans doute les nazaréens avaient-ils quelques fervents admirateurs dans les milieux catholiques, mais qui leur portait une admiration exclusive. Fortoul reconnaît aussi leur importance, mais il n’ignore pas les autres courants, comme celui qui se dessinait à Düsseldorf. De plus, si l’on excepte David d’Angers, qui lui rendit visite (mais dont les carnets restèrent inédits jusqu’en 1958), il fut alors le seul Français à parler de Caspar David Friedrich, mort peu avant son arrivée à Dresde dans un oubli total, dont il décrit longuement un tableau exposé au musée de cette ville et dont il évoque l’œuvre avec une sensibilité que l’on n’attendrait pas forcément chez un homme à système (De l’art en Allemagne, vol. 1, p. 515-517).
Pierre Vaisse, professeur honoraire d’histoire de l’art contemporain à l’université de Genève
Principales publications
Ouvrages
- Grandeur de la vie privée. Paris : Gosselin et Coquebert, 1838,vol.1 ; vol. 2.
- Du génie de Virgile. Lyon : Boital, 1840.
- De l’art en Allemagne. Paris : Jules Labitte, 1841-1842, 2 vol.
- Essai sur les poëmes et les images de la danse des morts. Paris : Jules Labitte, s. d. [1842].
- Essais sur la théorie et sur l’histoire de la peinture chez les anciens et chez les modernes. Paris : Jules Labitte, 1845 (extrait de L’Encyclopédie nouvelle).
- Études d’archéologie et d’histoire. Paris : Firmin Didot, 1854, vol. 1 ; vol. 2.
Bibliographie critique sélective
- Raphaël Paul et Gontard Maurice. – Un ministre de l’Instruction publique sous l’Empire autoritaire : Hippolyte Fortoul 1851-1856. Paris. Presses universitaires de France, 1975.
- Journal d’Hippolyte Fortoul, Geneviève Massa-Gille, dir. Genève : Droz, 1979. L’introduction de G. Massa-Gille (t. I, p. 9-31) contient une biographie détaillée.
- Pierre Vaisse, « La Connaissance des romantiques allemands en France ». In Un siècle de passions franco-allemandes : [catalogue de l’exposition], Paris, musée du Petit-Palais, 18 novembre 1997-15 février 1998, p. 56-64. Paris : Paris-Musées, 1997.
- Pierre Vaisse, « Hippolyte Fortoul ». Revue germanique internationale, 13/2000 (n° spécial Écrire l’histoire de l’art. France-Allemagne 1750-1920), p. 141-153.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour
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