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DUTUIT, Eugène et Auguste
Mis à jour le 4 novembre 2008(7 avril 1807, Marseille – 25 juin 1886, Rouen)
Auteur(s) de la notice : LOS LLANOS José (de) RENOUARD DE BUSSIERRE Sophie
Profession ou activité principale
Avocat, négociant
Autres activités
Collectionneur, historien de l’art
Sujets d’étude
Histoire de la gravure
Carrière
1817 : mort de sa mère ; son père, filateur et négociant en coton, quitte Paris pour s’installer à Rouen
1826 : premier d’une série de voyages en Hollande où il admire en particulier l’œuvre de Rembrandt
1828 : inscrit en première de rhétorique au collège royal de Rouen
ca 1830-1835 : études de droit ; devient avocat et s’inscrit au barreau de Rouen, sans jamais exercer
1845 : fait don d’un ensemble de plus de six cents gravures à la Bibliothèque publique de Rouen (œuvres de Rembrandt, Van Ostade, Callot…)
1846 : membre de l’Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen ; discours de réception sur les graveurs de l’école française ; membre du conseil municipal et nommé adjoint au maire (il y siégera, sauf en 1848-1849, jusqu’en 1874)
1856 : membre de la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure
1870-1871 : quitte la France pour l’Angleterre au moment de l’invasion des armées prussiennes ; s’installe à Brighton ; devient membre du Burlington Fine Arts Club, à Londres
1875 : voyage en Italie avec son frère Auguste Jean-Baptiste. Il y a vraisemblablement fait d’autres séjours auparavant, mal documentés
1877 : signe un contrat avec l’éditeur A. Lévy pour la publication du Manuel de l’amateur d’estampes, alors prévu en sept volumes ; participe à l’exposition consacrée aux gravures de Rembrandt organisée à Londres par le Burlington Fine Arts Club
1880 : signe un contrat avec le même éditeur pour la publication de L’Œuvre complet de Rembrandt
1886 : à sa mort, son éloge funèbre est prononcé, au nom de l’Académie de Rouen, par Gaston Le Breton
1902 : à la mort de son frère, Auguste Jean-Baptiste, legs à la Ville de Paris et installation au Petit Palais de la collection d’œuvres d’arts qu’ils avaient tous deux réunie (11 décembre)
Étude critique
Il est impossible d’évaluer la carrière d’Eugène Dutuit comme historien de l’art sans rappeler son activité de collectionneur ni sans évoquer la personnalité de son frère, Auguste Jean-Baptiste (1812-1902). En effet, la célèbre collection d’œuvres d’art qui porte leur nom, léguée en 1902 à la Ville de Paris et conservée depuis au Petit Palais, commencée dès leur adolescence, fut conçue d’emblée comme un outil d’études, et cela par les deux frères unis. Si, dans cette collection, l’ensemble des estampes anciennes est sans doute la partie la plus célèbre et, pour l’œuvre d’historien d’Eugène, la plus importante, il faut rappeler que cette collection comprend aussi des œuvres de toutes techniques allant de l’Antiquité égyptienne jusqu’au XIXe siècle : antiques, objets d’art, livres, peintures et dessins.
Eugène Dutuit, fixé à Rouen d’où était originaire sa famille, a suivi un parcours classique de notable érudit et mécène. Diplômé de droit, féru de poésie antique et polyglotte, maniant couramment l’allemand et l’anglais, il passe dès 1842 pour un fin connaisseur de l’art hollandais auprès de qui Hippolyte Bellangé, alors directeur du musée des Beaux-Arts, prend conseil pour ses acquisitions. Son admission à l’Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen en 1846, puis à la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure en 1856 sont des étapes qui confirment sa notoriété dans le milieu érudit local. Parallèlement, sa participation au conseil municipal lui donne l’occasion de s’imposer comme un défenseur éclairé du patrimoine architectural d’une ville menacée, comme l’époque le commandait, de bouleversements radicaux. Mais ce serait une profonde erreur que de limiter son influence à ce seul milieu régional. Pour les besoins de leur collection, très tôt les deux frères ont dû faire appel à des marchands, des experts, des connaisseurs exerçant en dehors de la seule Normandie, à Paris bien sûr, mais aussi à l’étranger, tissant ainsi un important réseau de relations. D’ailleurs Auguste, personnalité plus bohème, peintre amateur – il était passé dans l’atelier de Thomas Couture –, après avoir voyagé dans sa jeunesse, notamment en Hollande puis aux États-Unis, s’est expatrié dès 1846 pour s’installer à Rome.
Des deux frères, seul Eugène s’est imposé comme historien de l’art. C’est pourtant à Auguste que revient le mérite d’avoir entrepris de publier toutes les parties de leur collection : La Collection Auguste Dutuit. Majoliques italiennes, vases siculo-arabes et persans, faïences Henri II, verrerie (1899) – sans nom d’auteur, mais il lui est attribué en personne –, La Collection Dutuit : livres et manuscrits (1899), établi par Edouard Rahir, puis la Collection Auguste Dutuit : bronzes antiques, or et argent, ivoires, verres, sculptures en pierres et inscriptions, en deux volumes (1899 et 1901), rédigés par Wilhelm Froehner. La mort a empêché de mettre en chantier, comme il l’avait prévu, la publication du catalogue des peintures et des dessins. Dans cette entreprise, le soin apporté à l’illustration, que ce soit pour cette collection ou pour d’autres publications, est remarquable : L’Œuvre complet de Rembrandt et La Collection Dutuit : livres et manuscrits sont deux ouvrages reconnus pour la perfection technique de leur illustration. Pour le premier, l’auteur avait confié pendant deux ans à l’éditeur les œuvres originales et s’était réservé le droit de vérifier lui-même la qualité du travail. Le second utilisait la technique de la chromolithogravure et de l’impression en relief, procédés nouveaux et coûteux – d’ailleurs, l’édition de ces ouvrages luxueux et de tirage restreint, entre 350 et 500 exemplaires, a bénéficié d’une avance financière importante de leurs promoteurs.
L’activité d’Eugène Dutuit – plus comme défenseur du patrimoine architectural de Rouen que comme conseiller municipal ou de membre de la Commission des antiquités de Seine-Inférieure ; il démissionna d’ailleurs de celle-ci –, prend une autre mesure dans la polémique qui suit la destruction du jubé de la cathédrale, en 1884. Il publie alors un article dans Le Moniteur des architectes, en formalisant une pensée assez originale sur un sujet très éloigné de son domaine de compétence reconnu – on ne manqua pas d’ailleurs de lui en faire grief. Monument Louis XVI dans un édifice médiéval, le jubé avait été démoli au nom de l’unité stylistique : dans son article, Dutuit dénonce cet argument en évoquant le caractère disparate des parties gothiques de l’édifice, construit entre le XIIIe et le XVIe siècle, parties que, selon lui, le jubé aidait au contraire à relier. Il se livre à une critique de l’architecture gothique en général et de ses défenseurs, Eugène Viollet-le-Duc et Charles Blanc en particulier, avant de conclure par une défense appuyée de l’architecture Louis XVI, rappelant à juste titre que « le jubé de Rouen était unique en son genre ». Enfin, il propose de payer lui-même la restitution du monument – ce qui n’eut jamais lieu.
Dans la carrière d’Eugène Dutuit, le grand œuvre est le Manuel de l’amateur d’estampes. Si sa publication ne fut entreprise qu’à la fin de sa vie, nul doute que le projet lui en était venu à l’esprit bien avant. Reçu à l’Académie de Rouen en 1846, son Essai sur les graveurs de l’école française, son discours de réception est un texte avant-courrier des essais à venir. Selon ses propres termes, il conçut son projet comme « un véritable manuel, commode à consulter ». Pour cela, son modèle fut naturellement ce qui constitue le vade-mecum de tout amateur d’estampes, Le Peintre-graveur (1803-1821) d’Adam von Bartsch. Reconnaissant pleinement les mérites de son prédécesseur, c’est par écoles qu’il classa sa collection et c’est selon ce classement qu’il établit le plan des huit tomes de son Manuel de l’amateur d’estampes. Comme l’indiquent les dates d’édition, Eugène Dutuit, en accord avec ses préférences de collectionneur, choisit de faire débuter sa publication par les écoles flamande et hollandaise (1881 ; 1882 ; 1883). En 1884 seulement parut l’introduction générale dont la seconde partie devait être publiée à titre posthume, en 1888. Entre-temps, la progression de l’entreprise avait été retardée par l’intervention de l’éditeur, A. Lévy, qui avait engagé son auteur à développer les pages consacrées à l’œuvre gravé de Rembrandt et à en faire un ouvrage à part, accompagné de la reproduction de toutes les estampes du maître. Lorsqu’il mourut à Rouen, le 25 juin 1886, Eugène Dutuit laissait le reste de son travail sous forme de manuscrits reliés, conservés aujourd’hui au musée du Petit Palais.
La préface de l’introduction générale de 1884 indique la méthode suivie par l’auteur : après l’annonce de son but et de son plan, il y cite, par ordre chronologique, les catalogues et dictionnaires qui ont précédé son Manuel : les deux catalogues de l’abbé de Marolles (1666 et 1672), travaillant sur le fonds primitif du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale ; l’Abecedario de Pierre-Jean Mariette et le catalogue de la collection Quentin de Lorangère par Gersaint ; la monographie de Rembrandt (1797) et les 21 volumes du Peintre-graveur de Bartsch (Vienne, 1803-1821), première entreprise importante ayant à son tour suscité des suppléments : le Supplément au Peintre-graveur de Adam Bartsch, par Rodolphe Weigel, tome I, Peintres et dessinateurs néerlandais (Leipzig, 1843) ; et le Peintre-graveur de Passavant, directeur de la galerie Staedel à Francfort (Leipzig, 1860-1864, 6 vol.). Dutuit cite également le grand ouvrage de Nagler, Neues allgemeines Künstler-Lexicon…, en 22 volumes, paru à Munich entre 1835 et 1852, ainsi que le Dictionnaire des monogrammes, marques figurées, lettres initiales, etc. avec lesquelles les peintres, dessinateurs, graveurs et sculpteurs ont désigné leurs noms, publié par Brulliot à Munich, en 1832-1834. Dutuit rend également justice à Charles Le Blanc, auteur d’un Manuel de l’amateur d’estampes, qui sera arrêté au milieu de la lettre P (Paris, 1854-1890, 4 vol.) ; à Alexandre Robert-Dumesnil dont Le Peintre-graveur français (Paris, 1835-1871) devait compter 11 volumes (8 volumes parus au moment où Dutuit écrit) et à Andreas Andresen, Der deutsche Peintre-Graveur, oder die deutschen Maler als Kupferstecher… (Leipzig, 1864-1878, 5 vol.).
Conscient de l’importance de la matière à traiter, Eugène Dutuit annonce qu’il ne s’occupera « que des graveurs dont les œuvres ont depuis nombre d’années joui de la faveur du public ». Le classement par école est naturellement retenu et, à l’intérieur de chacune d’elles, l’ordre alphabétique des artistes est préféré à l’ordre chronologique de Bartsch – ce dernier peu commode et nécessitant un grand nombre de tables paginées. Il précise qu’il s’est livré à un travail personnel qui l’a conduit à ajouter remarques et pièces non décrites, ainsi que « le prix des estampes atteint dans les ventes, ce qui rendra de réels services aux amateurs et ne sera pas moins intéressant pour l’histoire rétrospective de l’iconophilie. » Ce dernier terme est propre à Dutuit qui se veut en premier lieu « iconographe ». Il est à remarquer que, quoique très bien renseigné sur les ventes et les collectionneurs, il n’a pas cherché à établir une nomenclature des marques de collections, en utilisant par exemple les premiers essais de ce genre datés de 1820 (par Henry Reveley) et de 1859 (par Adolphe Thibaudeau).
L’auteur reconnaît qu’il n’avait compté, dans un premier temps, ne décrire que sa collection : « À présent et quoique la description de notre collection y figure, elle se présente sous un aspect des plus modestes ; presque toutes les pièces qui la composent ne se distinguent que par un astérisque, attestant seulement que lorsque nous avons fait la description elles étaient sous nos yeux. » Les manuscrits reliés gardent le témoignage des intentions originelles de Dutuit : la notice de chacune des œuvres est écrite à la plume de trois encres différentes. Elle comprend une courte description du sujet, en noir, précisant la technique ; des annotations, en bleu, qui précisent si la pièce « manque » à sa collection, ainsi que des références bibliographiques ou des remarques de l’auteur relatives à sa visite dans telle ou telle institution ; enfin, en rouge, l’annotation appelée à disparaître à la publication et concernant la qualité de sa propre estampe et son origine. Le Petit Palais conserve aussi les exemplaires personnels de Dutuit du Peintre-graveur de Bartsch, enrichis de ses remarques, corrections ou compléments. Par ailleurs, des notes et des références à des catalogues de vente sont reportées au crayon directement sur les pages de l’ouvrage, indiquant par exemple les cabinets où l’on trouve les pièces décrites et s’il a pu les voir lui-même. Selon son témoignage, on peut savoir ainsi que ce furent les cabinets de Paris et du British Museum qu’il pratiqua le plus régulièrement.
La première partie de l’introduction générale (1884) traite des plus anciennes gravures connues en Occident : estampes en manière criblée, cartes à jouer, nielles et également livres de broderie et livres xylographiques. En abordant ce sujet, Dutuit fut amené à prendre une part importante dans la polémique touchant à l’invention de la gravure. Vasari, dans le chapitre correspondant de ses Vite, avait attribué à l’orfèvre et nielleur florentin Maso Finiguerra (1426-1464) le mérite d’avoir le premier tiré des impressions sur papier à partir de plaques niellées. À la fin du XVIIIe siècle, le prieur Gori et l’abbé Zani mirent en relation la Paix du musée du Bargello de Florence, nielle attribué alors à Maso Finiguerra (1426-1464), avec l’impression sur papier correspondante, Le Couronnement de la Vierge, conservée à la Bibliothèque nationale de Paris et datée vers 1452. Dutuit, après une investigation très scrupuleuse, conclut à l’absence de titres en faveur de Maso Finiguerra à la paternité de la célèbre Paix. À l’instigation de son éditeur, il fit paraître son texte comme article indépendant dans la revue L’Art (1884). Si son exposé lui valut de nombreuses critiques et inimitiés, l’histoire lui donna raison et cela pour deux faits au moins : l’art de la gravure était connu en Allemagne et en Italie plusieurs années avant la prétendue innovation de Finiguerra et la Paix du Couronnement de la Vierge du Bargello n’est plus attribuée à celui-ci.
La deuxième partie de l’introduction générale (1888) est entièrement consacrée aux nielles : l’ouvrage est considérable avec ses 369 pages de catalogue illustré de 31 planches et précédé d’une présentation historique de 82 pages où l’auteur revient sur l’affaire Maso Finiguerra et donne, fort à propos, un extrait de « L’Art de nieller » du Trattato dell’Oreficeria de Benvenuto Cellini. La bibliographie fournie par Dutuit est en elle-même révélatrice du sérieux du travail de l’auteur et de l’intérêt du collectionneur qui parvint à réunir un fort bel ensemble, important moins par le nombre, une vingtaine de pièces, que par la qualité ; Dutuit affirme avec raison que « son ouvrage n’est point une compilation, mais une étude approfondie et aussi complète qu’elle a pu l’être ». Les collections publiques étudiées sont celles de la Bibliothèque nationale de Paris (une centaine d’épreuves) ; du British Museum (estampes de nielles mais aussi cent plaques niellées et dix-neuf empreintes en souffre) ; enfin celles des cabinets de Pavie en Italie, Dresde et Munich en Allemagne et Vienne en Autriche. Les collections privées les plus remarquables sont celles du comte italien Durazzo et, en France, celle du baron Edmond de Rothschild. Dutuit a organisé chacun des trois volumes des Écoles flamande et hollandaise (1881-1883) autour d’une figure dominante : Van Dyck, Rembrandt et Rubens. Tout en respectant la numérotation de Bartsch pour chaque artiste, il procède à quelques innovations notables : l’ordre alphabétique et non chronologique ; l’introduction de certains maîtres (Bol, Cuyp, Frey, Van Dyck et son iconographie) et l’exclusion d’autres jugés moins importants (Jean Almeloveen ou Jean Glauber) ; de plus, si l’entreprise de Bartsch présentait le très grand inconvénient d’être dépourvue de toute illustration, Dutuit s’est attaché à faire insérer dans ses volumes les « fac-similés des estampes les plus rares reproduites par l’héliogravure », et cela au nombre d’une dizaine pour chacun des deux premiers volumes et de vingt-cinq pour le troisième.
Si la richesse et la qualité de l’illustration devaient être le grand atout des deux volumes de l’Œuvre complet de Rembrandt (1883), les notices du catalogue proprement dit offrent la même précision que les pages correspondantes du Manuel consacrées à Rembrandt et publiées un an auparavant. « Nous nous sommes livré, autant que nous l’avons pu, à une révision générale des estampes de Rembrandt ; un grand nombre de descriptions d’états ont été rédigées par nous sur les originaux ; elles sont ou nouvelles ou plus détaillées que les anciennes. […] Nous avons ajouté les prix des différentes estampes toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Cette mention rappelle les noms célèbres dans la curiosité et montre la progression constante du prix des estampes de Rembrandt. »
Les textes d’introduction (biographie de l’artiste et appréciation de ses œuvres) ainsi que les suppléments documentaires et critiques sont nouveaux et considérables : « Inventaire de Rembrandt » ; « Documents relatifs aux ventes des biens de Rembrandt » ; « Aperçu sur les différentes collections publiques et privées » ; « Catalogue chronologique des pièces avec “ dates réelles ” et “ dates présumées ” » ; « Aperçu sur les filigranes » – ce dernier élément est nouveau dans l’histoire de la gravure ; « Tables avec les concordances Bartsch, Claussin, Wilson, Charles Blanc et Middleton » ; « Bibliographie » ; « Additions » ; « Fac-similés des signatures de Rembrandt ».
Dans l’avant-propos, Eugène Dutuit énumère les auteurs des principaux catalogues qui ont précédé le sien, soulignant leurs apports respectifs. Il note que la numérotation Bartsch, fondée sur un classement iconographique, doit être respectée pour Rembrandt comme pour les autres maîtres ; en effet, les changements apportés par Vosmaer (1868, classement chronologique), Middleton (1878, chronologie et classes iconographiques) et Charles Blanc (1873, nouvelles classes iconographiques) « rendent les recherches longues et difficiles […] et reposent sur des bases contestables puisque près des deux tiers des estampes de Rembrandt ne portent pas de date ». Malgré cela, il s’est permis un léger décalage en plaçant l’Autoportrait aux yeux hagards (http://expositions.bnf.fr/rembrandt…), classé par Bartsch dans les têtes de fantaisie (B. 320), à sa juste place, celle d’un autoportrait ; d’autres modifications surviennent lorsque Dutuit entend se conformer à la bonne succession des récits bibliques et évangéliques et lorsqu’il décide de classer les portraits qui portent un nom suivant l’ordre alphabétique.
Dutuit n’indique pas la technique mise en œuvre pour chaque pièce – alors qu’elle figure dans certaines notices des manuscrits du Manuel conservés au Petit Palais –, or la technique est souvent difficile à identifier chez Rembrandt, qui utilise seuls ou combinés l’eau-forte, la pointe sèche et le burin. En revanche, l’auteur aborde ce sujet complexe dans un chapitre spécifique où il tente une « appréciation des œuvres » du maître. S’il reconnaît à juste titre que Rembrandt n’employa jamais la manière noire proprement dite tout en laissant parfois un voile d’encre sur son cuivre, il commet quelques erreurs, classant ainsi parmi les pointes sèches Le Jeune couple et la Mort (B.109 ; D. 110) alors que c’est une eau-forte pure.
Dans le dernier tome paru du Manuel de l’amateur d’estampes – édition posthume de 1888 –, Gustave Pawlowski se fait l’écho de la très bonne réception de L’Œuvre complet de Rembrandt, ouvrage qui obtint une médaille d’or à l’exposition d’Amsterdam et valut à son éditeur le diplôme d’honneur à l’exposition de Bordeaux. Dans la presse, les deux ouvrages, le Manuel et L’Œuvre complet de Rembrandt, sont reçus avec les meilleures critiques : Louis Gonse, Alfred de Lostalot dans la Gazette des Beaux-Arts ou Philippe Burty dans la République française en font des comptes rendus élogieux. Ses correspondants à l’étranger, tel Charles-Henry Middleton à Londres, August Sträter à Aix-la-Chapelle, Wilhelm von Bode à Berlin envoient à l’auteur des mots de félicitation appuyée – Bode pour lui signaler aussi qu’il travaillait lui-même à la rédaction d’un catalogue de l’œuvre de Rembrandt. Enfin, il est juste de réévaluer la place de Gustave Pawlowski, engagé par Eugène Dutuit en 1877, qui semble bien être le rédacteur de certains des textes d’introduction du Manuel, en particulier dans les deux derniers tomes parus. Pawlowski figure par ailleurs au cœur de la brouille entre Auguste Dutuit et l’éditeur, Michel Lévy, péripétie qui aura raison de tout projet de publication ultérieure.
Plusieurs collectionneurs historiens de l’art ont compté au XIXe siècle : Alexandre Robert-Dumesnil (1778-1864), auteur du Peintre-graveur français ; Ambroise Firmin-Didot (1790-1876), dont la collection fut à la base de ses ouvrages Les Graveurs de portraits en France et L’Histoire de la gravure sur bois ; Émile Galichon (1829-1875), éditeur de la Gazette des Beaux-Arts, et l’Anglais Joseph Maberly (1783-1860), auteur du Print Collector, excellent guide pour les collectionneurs débutants. Contrairement à leurs collections qui furent dispersées en ventes publiques, celle d’Eugène Dutuit fut conservée dans son intégralité et peut témoigner aujourd’hui encore du goût de celui-ci, tout comme ses écrits témoignent du sérieux de leur auteur.
José de Los Llanos, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Cognacq-Jay,
et Sophie Renouard de Bussierre, docteur en histoire de l’art, université catholique de Louvain [UCL], 1998 ; conservateur en chef du patrimoine, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Manuel de l’amateur d’estampes, IV, Écoles flamande et hollandaise, t. I. Paris : A. Lévy, 1881.
- Manuel de l’amateur d’estampes, V, Écoles flamande et hollandaise, t. II. Paris : A. Lévy, 1882.
- Manuel de l’amateur d’estampes, VI, Écoles flamande et hollandaise, t. III. Paris : A. Lévy, 1883.
- L’Œuvre complet de Rembrandt décrit et commenté par M. Eugène Dutuit et reproduit à l’aide des procédés de l’héliogravure par M. Charreyre. Catalogue raisonné de toutes les estampes du maître accompagné de leur reproduction en fac-similé de la grandeur des originaux au nombre de 360 environ. Précédé d’une introduction sur la vie de Rembrandt et de l’appréciation de ses œuvres. Paris : A. Lévy, 1883, 2 vol.
- Manuel de l’amateur d’estampes, I, première partie, « Introduction générale ». Paris : A. Lévy, 1884.
- Tableaux et dessins de Rembrandt. Catalogue historique et descriptif, supplément à L’Œuvre complet de Rembrandt. Paris : A. Lévy, 1885.
- Manuel de l’amateur d’estampes, I, deuxième partie, « Introduction générale, Nielles ». Publication continuée sous les auspices de M. Auguste Dutuit, avec une préf. de Gustave Pawlowski. Paris : A. Lévy, 1888.
- Manuel de l’amateur d’estampes, II, Écoles italienne et espagnole, non publié, manuscrit conservé au Petit Palais.
- Manuel de l’amateur d’estampes, III, École allemande, non publié, manuscrit conservé au Petit Palais.
- Manuel de l’amateur d’estampes, VII, École française, non publié, manuscrit conservé au Petit Palais.
- Manuel de l’amateur d’estampes, VIII, École française (fin) et école anglaise, non publié, manuscrit conservé au Petit Palais.
Articles
- « Objets divers ». In Collection Auguste Dutuit. Antiquités, médailles et monnaies, objets divers exposés au palais du Trocadéro en 1878. Paris : A. Lévy, 1879, p. 171-191.
- « Une des plus anciennes gravures connues avec date ». In L’Art. Paris : A. Lévy, 1884, t. XXXVI, p. 81-90.
- « De la démolition du jubé de la cathédrale de Rouen ». In Le Moniteur des architectes. Paris : 1884, A. Lévy, n° 9, p. 129-144.
Bibliographie critique sélective
Ne sont retenus ici que les articles portant sur la carrière d’historien de l’art d’Eugène Dutuit.
- Lostalot Alfred de. – « Le Manuel de l’amateur d’estampes par M. Eugène Dutuit ». Gazette des Beaux-Arts, 1882, XXVI, p. 358-361.
- Burty Philippe. – « Sur L’Œuvre gravé de Rembrandt de Dutuit ». La République française, 9 novembre 1885, p. 2-3.
- Le Breton Gaston. – Eugène Dutuit. 1807-1886. Discours prononcé le 28 juin 1886. Rouen : imprimerie Cagniard, 1886.
- Gonse Louis. – « L’Œuvre gravé de Rembrandt ». Gazette des Beaux-Arts, 1885, XXXII, p. 328-336 (premier article) et 498-510 (deuxième et dernier article).
- Bouchot Henri. – « La Collection Dutuit. Les estampes ». Gazette des Beaux-Arts, 1903, XXIX, p. 396-407.
- Lapauze Henry. – Catalogue sommaire des collections Dutuit. Notice historique sur les frères Dutuit. Paris : Motteroz-Martinet, 1907.
- Lapauze Henry et al.. – Catalogue sommaire des collections Dutuit, précédé d’une notice sur les frères Dutuit. Paris : Crété, 1925.
- Renouard de Bussierre Sophie. – L’Œuvre gravé d’Albrecht Dürer dans la collection Dutuit ; les œuvres gravés de Martin Schongauer et de Rembrandt dans la même collection. Thèse de doctorat de 3e cycle, mai 1998, non publié.
- Los Llanos José de. – « Eugène et Auguste Dutuit, collectionneurs ». In Regards sur l’art hollandais au XVIIe siècle, Frits Lugt et les frères Dutuit, collectionneurs : [catalogue de l’exposition], Paris, Institut néerlandais, 18 mars-16 mai 2004, p. 15-20.
- Renouard de Bussierre Sophie. – « Eugène Dutuit et Rembrandt ». Dossier de l’Art, hors série de L’Objet d’Art, n° 10 H, 2004, p. 50-65.
- Renouard de Bussierre Sophie. – « Eugène Dutuit, collectionneur d’estampes ». In Regards sur l’art hollandais au XVIIe siècle, Frits Lugt et les frères Dutuit, collectionneurs : [catalogue de l’exposition], Paris, Institut néerlandais, 18 mars-16 mai 2004, p. 20-21.
- Renouard de Bussierre Sophie. – « Eugène Dutuit (1807-1886) et Rembrandt ». In Rembrandt, Eaux-fortes : [catalogue de l’exposition], Paris, Petit Palais, 19 octobre 2006-14 janvier 2007, p. 27-31.
- La Collection Auguste Dutuit. Majoliques italiennes, vases siculo-arabes et persans, faïences Henri II, verrerie. Avec un atlas. Châteaudun : Imp. typographique, 1899.
- Rahir Édouard, éd. – La Collection Dutuit : livres et manuscrits. Paris : Damascène Morgand, 1899.
- Wilhelm Froehner. – Collection Auguste Dutuit : bronzes antiques, or et argent, ivoires, verres, sculptures en pierres et inscriptions. Châteaudun : impr. de la Société typographique, 1899-1901, 2 vol.
Sources identifiées
Paris, archives du Petit Palais
- Dossiers donateurs (non cotés)
Rouen, Archives départementales de Seine-Maritime
- Papiers privés : 220 JP 2046 à 2132 (cotes provisoires)
Rouen, Bibliothèque municipale
- Archives de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen
En complément : Voir la notice dans AGORHA