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DIEULAFOY, Jane et Marcel
Mis à jour le 28 janvier 2009(29 juin 1851, Toulouse – 25 mai 1916, Pompertuzat ; 4 août 1844, Toulouse – 25 février 1920, Paris) Nom de jeune fille de DIEULAFOY, Jane : MAGRE, Jane
Auteur(s) de la notice : CHEVALIER Nicole
Profession ou activité principale
Ingénieur des Ponts et Chaussées (Marcel Dieulafoy)
Autres activités
Archéologue, orientaliste (Marcel Dieulafoy)
Archéologue, femme de lettres (Jane Dieulafoy)
Sujets d’étude
Architecture perse, médiévale et islamique, art ibérique
Carrière
1863 : entrée à l’École polytechnique de Marcel Dieulafoy
1865 : entrée à l’École nationale des ponts et chaussées
1868 : débute sa carrière en Algérie à Aumale
avril 1870 : en avril, affectation au service de la navigation de la Garonne ; le 11 mai, mariage avec Jane Magre ; après la déclaration de guerre, il est enrôlé comme capitaine du génie dans le camp retranché de Nevers : Jane l’accompagne sous l’uniforme de franc-tireur, endossant pour la première fois le costume masculin
1870-1875 : de retour à Toulouse, Marcel prend la direction du service ordinaire du département de la Haute-Garonne
1874 : est préposé à la direction des services municipaux de la ville
1873 à 1878 : voyages des époux Dieulafoy en Égypte et au Maroc
1875 : sa conduite lors des inondations vaut à Marcel d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur pour services rendus
Février 1881-avril 1882 : premier voyage en Perse
17 décembre 1884 : départ pour une première campagne de fouilles à Suse (février-mai 1885)
décembre 1885-mars 1886 : seconde campagne de fouilles à Suse
9 juillet 1886 : présentation des fouilles de Suse devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres, par Marcel Dieulafoy
1888 : le 6 juin, le président de la République inaugure deux salles du premier étage du Louvre consacrées à ces découvertes
1889 : participe à l’exposition de l’histoire du travail, à l’Exposition universelle de Paris, avec des maquettes et des reproductions des monuments de Suse
1891 : une troisième salle présentant sa reconstitution de l’Apadana est ouverte
1892 : Marcel est attaché à l’administration des chemins de fer du Midi avec résidence à Paris
1895 : élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en remplacement de Victor Duruy
2 août 1902 : d’après le livret de Jane, représentation dans les arènes de Béziers de Parysatis de Camille Saint-Saëns
10 septembre 1914 : engagé volontaire, Marcel rejoint avec Jane son affectation à Rabat (Maroc) en tant que colonel du Génie
1914-1915 : dirige, entre autres, la construction d’un dispensaire et entame des fouilles à Yakub el-Mansur ; Jane en assure la direction et organise un dispensaire où elle contracte une dysenterie dont elle décède au domaine de Langlade à Pompertuzat, le 25 mai 1916
Légion d’honneur pour Marcel Dieulafoy (1875) et pour Jane Dieulafoy (26 octobre 1888)
Étude critique
Marcel-Auguste Dieulafoy, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, issu d’une famille toulousaine dont certains de ses membres se sont illustrés dans la carrière médicale – son frère Georges, membre de l’Académie de médecine, succède à Germain Sée à l’Hôtel-Dieu –, semble peu préparé pour devenir un des pionniers de l’archéologie iranienne. Toutefois, les débuts d’une carrière en Algérie où il s’intéresse aux vestiges romains lui offrent son premier contact avec l’Orient. De retour en France, après le service de la navigation de la Garonne, il intègre le service des monuments historiques. Encouragé par Eugène Viollet-le-Duc, sous les ordres duquel il travaille à la restauration des monuments toulousains, il s’engage dans des recherches sur les rapports de l’art oriental et de l’art occidental : « La vieille thèse si souvent reprise et cependant peu éclairée des influences de l’art oriental sur l’architecture, l’apport artistique et industriel des croisades dans les créations du Moyen Âge avaient toujours excité la curiosité de mon mari. […] Marcel était intimement persuadé que la Perse sassanide avait eu une influence prépondérante sur la genèse de l’architecture musulmane et que c’était par l’étude des monuments des Kosroès et des Chapour qu’il faudrait débuter le jour où l’on voudrait substituer à des théories ingénieuses des raisonnements appuyés sur des bases solides. » (Jane Dieulafoy, La Perse, la Chaldée, la Susiane, 1887, p. 1) C’est ainsi que naquit le projet d’une expédition en Perse.
Son épouse Jane Henriette née Magre, qui a déjà montré son intrépidité pendant la guerre de 1870 – elle a affronté à ses côtés la campagne de la Loire –, l’accompagne, endossant de nouveau ce costume masculin qui fera d’elle, lorsqu’elle l’adopte définitivement, une figure originale des salons parisiens. C’est elle qui relatera leurs multiples aventures dans la revue Le Tour du monde. Partis en février 1881, ils parcourent pendant quatorze mois près de six mille kilomètres à travers la Perse et la Mésopotamie avant de pénétrer en Susiane. Suse – une des capitales de l’empire perse – est l’un des buts de Dieulafoy ; les connaissances, jadis limitées aux sources grecques et bibliques, ont récemment progressé grâce à la brève exploration effectuée, entre 1851 et 1854, par le Britannique William Kennett Loftus.
Une fois de retour, Dieulafoy, convaincu de la haute valeur du site, décide d’y entreprendre des recherches et s’emploie à renverser les obstacles financiers et diplomatiques tout en travaillant à un important ouvrage – L’Art antique de la Perse –, dans lequel il fait état de ses théories sur les liens de l’Orient avec l’art gothique. Tout en suscitant plus d’une objection, ses idées n’en font pas moins sensation, ses recherches ayant le mérite d’apporter des faits nouveaux et des vues originales.
Grâce à Louis de Ronchaud, directeur des musées nationaux, en décembre 1884 Marcel et Jane Dieulafoy peuvent prendre la tête d’une mission et embarquer pour Suse. Pendant cette première campagne, commencée le 26 février 1885, malgré les difficultés qui s’accumulent, consignées par Jane dans le journal qu’elle tient sur les fouilles et la vie de la mission – publié en 1890 –, l’équipe poursuit ses travaux jusqu’au moment où Nasr ed-din Shah exige leur suspension du fait, entre autres, de l’hostilité des populations. En mai 1885, le couple rentre en France puis repart pour une ultime campagne jusqu’en mars 1886.
Les fouilles conduites principalement à l’emplacement du palais de Darius produisent de remarquables découvertes : un chapiteau colossal, la célèbre frise des archers – reconstituée avec acharnement par les fouilleurs –, trouvent leur place, deux ans plus tard, au musée du Louvre, dans deux salles inaugurées le 6 juin 1888, par le président de la République. Enfin, en 1893, Dieulafoy publie l’Acropole de Suse. L’adhésion à ses idées, là encore, n’est pas totale, mais son prestige de voyageur et de fouilleur lui attire l’estime de nombreux savants, de sorte qu’en 1895 il est élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Malgré ce succès, Dieulafoy ne peut reprendre le chemin de la Perse ; son comportement lors de sa mission, qui a irrité le souverain, lui a porté préjudice et lorsqu’en 1897 le ministère de l’Instruction publique doit nommer le délégué général des fouilles en Perse, en application de la convention archéologique obtenue en 1895, c’est Jacques de Morgan – également fin connaisseur de la Perse – qui est pressenti. Malgré cette éviction qui lui fut douloureuse, jusqu’à sa mort, la Perse, l’Orient et l’archéologie en général restèrent au centre de ses préoccupations.
Ses multiples interventions à l’Académie témoignent de l’ampleur de son activité et de la variété de ses champs d’intérêt, enrichis par de nombreux voyages. L’Espagne, surtout – il s’y rend plus de vingt fois –, alimente sa production scientifique et inspire l’œuvre littéraire de Jane, cette belle activité intellectuelle ayant pour cadre leur hôtel de la rue Chardin où règne un climat de salon littéraire. Tandis que Jane brosse la haute figure d’Isabelle la catholique, Marcel Dieulafoy rédige deux importants ouvrages sur l’art et l’archéologie ibérique : La Statuaire polychrome en Espagne et l’Histoire générale de l’art en Espagne et Portugal. Avec ces études sur l’art et la littérature de la péninsule, il ajoute un nouveau chapitre à une œuvre particulièrement ample.
La guerre déclarée, Dieulafoy fait valoir ses droits au grade de lieutenant-colonel du Génie et est envoyé à Rabat, à la direction des travaux militaires du Maroc où, malgré ses occupations, il entame des fouilles sur le site de la mosquée de Yakub el-Mansur. Jusqu’à la fin de la guerre, il accomplit son devoir malgré la disparition, en 1916, de Jane qui l’a accompagné et qui a sacrifié sa santé au service des blessés. Après l’armistice, il offre de partir pour la Syrie organiser un service d’archéologie et commencer des recherches sur le terrain ; mais la mort ne lui permet pas cet ultime contact avec les chantiers de l’Orient.
Après son premier voyage en Orient et ses deux missions à Suse, comme l’écrivit René Dussaud des années plus tard, « son esprit géométrique cherchera dorénavant à tout dériver de la Perse » (René Dussaud, La Nouvelle Académie des inscriptions et belles-lettres (1795-1914) , 1946-1947, vol. 1, p. 439). Aussi, que ce soit la fortification de Château-Gaillard, le mausolée d’Halicarnasse ou l’Ésagil du temple de Mardouk à Babylone… tous ces monuments, d’une façon ou d’une autre, procèdent selon lui de la Perse : « Idées ingénieuses », commente Georges Perrot, « dont plus d’une prêterait à discussions » ! Or des discussions, il y en a, comme en témoignent les séances de l’Académie. Melchior de Vogüé fait plus d’une réserve sur la thèse qui consiste à expliquer la révolution dans l’architecture militaire du Moyen Âge constituée par Château-Gaillard par le fait que Richard Cœur de Lion a rapporté de son séjour en Palestine les principes nouveaux appliqués par les croisés qui les ont reçus des Byzantins et des Arabes, lesquels les tiennent eux-mêmes des Persans et des Chaldéens. Quant à Salomon Reinach, son confrère de l’Académie, il salue une dernière fois sa nature intrépide : « Dieulafoy porta, dans tous ses travaux, le tempérament du mathématicien, habitué à des vérités démontrées ou démontrables. Il affirmait volontiers et se montrait plein de confiance dans les théories qu’il s’était faites. Montesquieu lui eût appliqué son néologisme de décisionnaire. Mais comme il eut le goût des explorations périlleuses, il eut celui des questions difficiles ; son courage scientifique allait de pair avec son courage physique. » (Salomon Reinach, « Marcel Dieulafoy », Revue archéologique, 1920, p. 363)
Nicole Chevalier, ingénieur d’études au département des Antiquités Orientales du musée du Louvre
Principales publications
Ouvrages de Dieulafoy Marcel
- L’Art antique de la Perse Achéménides, Parthes, Sassanides. Paris : Des Fossez, 1884-1885, vol.1 ; vol. 2 ; vol. 3 ; vol. 4 ; vol. 5.
- « Fouilles de Suse. Campagne 1884-1885 », extrait de la Revue archéologique. Paris : E. Leroux, 1885.
- Les Origines de l’architecture du Moyen Âge et ses rapports avec l’architecture perse. Paris : Société centrale des architectes, 1887.
- L’Acropole de Suse d’après les fouilles exécutées en 1884, 1885, 1886 sous les auspices du musée du Louvre. Paris : Hachette, 1890-1892, vol.1-2 ;vol. 3-4.
- Le Roi David. Paris : Hachette, 1897.
- « Le Château-Gaillard et l’architecture militaire au XIIIe siècle », extrait des Mémoires de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, t. XXXVI, 1re partie. Paris : Klincksieck, 1898.
- La Statuaire polychrome en Espagne du XIIe au XIVe siècle, Aragon et Castille. Paris : E. Leroux, 1904.
- « Le Mausolée d’Halicarnasse et le Trophée d’Auguste », extrait des Mémoires de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, t. XXXVIII, 2e partie. Paris : Imprimerie nationale, C. Klincksieck, 1911.
- Les Antiquités de Suse découvertes et rapportées par la mission Dieulafoy 1884-1886, musée du Louvre. Paris : E. Leroux, 1913.
- Espagne et Portugal. Histoire générale de l’art, « Ars una, species mille ». Paris : Hachette, 1913.
- « Ésagil, ou le Temple de Bêl-Marduk à Babylone », étude documentaire par le P. Scheil et architectonique par M. Dieulafoy, extrait des Mémoires de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, t. XXXIX. Paris : Imprimerie nationale, 1913,
- La Mosquée de Hassan à Rabat. Paris, 1922.
Ouvrages de Dieulafoy Jane
- « La Perse, la Chaldée, la Susiane ». Le Tour du Monde, 1883, I, p. 1-80, II, 81-160 ; 1884, I, 145-224, II, 97-144 ; 1885, I, 81-160 ; 1886, I, 49-112.
- La Perse, la Chaldée, la Susiane. Paris : Hachette 1887 ; rééd. : Une Amazone en Orient : du Caucase à Persépolis 1881-1882. Paris : Phébus, 1989 ; L’Orient sous le voile. De Chiraz à Bagdad. Paris : Phébus, 1990.
- « À Suse (1884-1886). Journal des fouilles ». Le Tour du Monde, 1887, II, 1-96 ; 1888, I, 1-80.
- À Suse. Journal des fouilles (1884-1886). Paris : Hachette, 1888 ; rééd. : En mission chez les Immortels. Journal des fouilles de Suse 1884-1886. Paris : Phébus, 1990.
- Parysatis. Paris : A. Lemerre, 1890.
- Isabelle la Grande reine de Castille (1451-1504). Paris : Hachette, 1920 (posthume).
Bibliographie critique sélective
- Pottier Edmond. – « Les Antiquités de Suse rapportées par la mission Dieulafoy ». In Gazette des Beaux-Arts. Paris, 1886.
- Franqueville comte (de). – Le Premier Siècle de l’Institut de France, 25 octobre 1795-25 octobre 1895. Paris, 1895.
- Pottier Edmond. – « Madame Dieulafoy ». In Revue archéologique, 1916, II, p. 397-311.
- École polytechnique. Livre du centenaire 1794-1894. Paris, 1897.
- Diehl Charles. – « Discours prononcé aux funérailles de Marcel Dieulafoy, le 28 février 1920 ». In Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1920.
- Reinach Salomon. – « Marcel Dieulafoy ». In Revue archéologique, 1920, II, p. 363-364.
- Cagnat René. – Notice sur la vie et les travaux de Marcel Dieulafoy, lue le 18 novembre 1921. Publications de l’Institut de France, 1921, n° 2.
- Mecquenem Roland (de). – « Les Fouilleurs de Suse ». Avant-propos de Pierre Amiet, Iranica Antiqua, XV, 1980, p. 1-48.
- Amiet Pierre. – « Dieulafoy, Marcel-Auguste ». In Encyclopædia Iranica, vol. VII, fasc. 4, p. 399-401.
- Calmard Jean. – « Dieulafoy, Jane Henriette Magre ». In Encyclopædia Iranica, vol. VII, fasc. 4, p. 398-399.
- Gran-Aymerich Ève et Jean. – Jane Dieulafoy, une vie d’homme. Paris : Perrin, 1991.
- Tallon Françoise. – « Les Fouilles de Marcel Dieulafoy à Suse, la résurrection du palais de Darius ». In Nicole Chevalier, Une mission en Perse, 1897-1912, musée du Louvre, 3 octobre 1997-5 janvier 1998. Paris : Réunion des musées nationaux (« Les Dossiers du musée du Louvre »), 1997, p. 46-55.
- Gran-Aymerich Ève. – Naissance de l’archéologie moderne, 1798-1945. Paris : CNRS éditions, 1998.
- Gran-Aymerich Ève. – « Archéologie et Politique française en Iran : convergences et contradictions. Des missions Dieulafoy à la délégation archéologique française en Iran (1881-1947) ». Journal asiatique, t. CCLXXXVII, 199-1, p. 357-374.
- Gran-Aymerich Ève. – Dictionnaire biographique d’archéologie, 1798-1945. Paris : CNRS éditions, 2001.
- Chevalier Nicole. – La Recherche archéologique française au Moyen-Orient, 1842-1947, Centre de recherche d’archéologie orientale, université de Paris I, n° 14. Paris : Éditions Recherche sur les civilisations, 2002.
Sources identifiées
Paris, archives des Musées nationaux
Paris, archives du ministère des Affaires étrangères
Paris, Archives nationales
Paris, bibliothèque de l’Institut de France
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