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DEVILLE, Jules
Mis à jour le 7 octobre 2008(7 juillet 1825, Paris – 24 novembre 1890, Paris)
Auteur(s) de la notice :
BONNET Xavier
Profession ou activité principale
Tapissier
Autres activités
Historien de l’art et des techniques
Sujets d’étude
Arts décoratifs, tapissiers, corporations
Carrière
1840 : entrée en apprentissage de tapissier
1848 : membre fondateur de la Chambre syndicale des tapissiers
1855 : expose à l’Exposition universelle de Paris
1861-1869 : membre de la Commission de vérification et d’examen des mémoires de la Chambre syndicale des tapissiers
1862-1867 : membre du conseil de la Chambre syndicale des tapissiers et délégué de la Chambre syndicale des tapissiers au Syndicat général des chambres
1869 : vice-président de la Chambre syndicale des tapissiers
1872 : président fondateur du Comité de patronage des apprentis tapissiers
1874 : président de la Chambre syndicale des tapissiers
Étude critique
La contribution de Jules Deville à l’histoire de l’art doit être envisagée comme l’aboutissement d’une carrière vouée à la valorisation du métier de tapissier et du savoir-faire parisien. La compréhension du parcours professionnel de cet artisan éclaire la visée de ses écrits, dont le principal propos aura été de faire connaître l’histoire de son art. Fils de tapissier, Jules Deville embrasse la profession paternelle à l’âge de quinze ans lorsqu’il entre en apprentissage, en 1840. De son propre aveu, il passe ensuite par tous les échelons de la profession : ouvrier, commis puis patron. La participation remarquée de Deville aux Expositions universelles de 1855 et de 1878 atteste ses qualités professionnelles reconnues que viennent étayer ses contributions sociales et historiques.
La vie et l’œuvre de Deville s’inscrivent pleinement dans la période d’émulation qui règne parmi les tapissiers parisiens au milieu du XIXe siècle et au cours des années qui suivent, émulation destinée entre autres à affirmer la suprématie parisienne, particulièrement face aux menaces que constituent alors les productions étrangères rendues accessibles au public par les Expositions universelles. Quatre facteurs ont une influence décisive sur les écrits de Deville. Tout d’abord, le rétablissement de l’organisation de la profession, suite au vide créé par la suppression des communautés de métiers en 1791. Après la création de la Société de secours mutuel des tapissiers en 1818, la Chambre syndicale des maîtres tapissiers de la Ville de Paris voit le jour en 1848. Deville en est membre fondateur et siège dans différentes instances dirigeantes de cette organisation durant les années 1860. Il en devient le président au début des années 1870 et est à ce titre le président fondateur du Comité de patronage des apprentis tapissiers, créé en 1872 conjointement par des patrons et des ouvriers tapissiers (eux-mêmes constitués en syndicat depuis 1868). Loin de marquer un clivage entre elles et d’opposer la classe ouvrière à la classe patronale, ces organisations tentent au contraire de rassembler en bonne intelligence les différents échelons sociaux de la profession et assurent la fluidité des rapports apprenti/ouvrier/patron.
Cette dimension sociale du métier constitue le deuxième aspect fort de la pensée de Deville. Il faut sans doute y voir la marque d’Alexandre Compagnon, le président-fondateur de la Chambre des tapissiers, qui publie en 1858 un ouvrage sur les classes laborieuses. À cette préoccupation pour les solidarités professionnelles s’ajoute chez les tapissiers parisiens du Second Empire une volonté affirmée de renforcer la transmission et la diffusion des connaissances professionnelles. Si la normalisation des pratiques et la consignation par écrit des savoir-faire paraissent en 1851 dans le Manuel géométrique du tapissier de Jules Verdelet, il revient à Deville d’aborder les aspects théoriques de la profession (histoire et définition des termes techniques).
Le dernier fait marquant dans l’œuvre de Deville relève de l’historicisme dans les arts décoratifs. Conservés au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, les six albums que Deville élabore entre 1850 et 1880 illustrent le lien étroit qui réunit alors création et copie des styles anciens. Cette collection regroupe aussi bien des gouaches de décors de style sortis de l’atelier de Deville qu’une iconographie diversifiée de meubles anciens ou modernes (dessins de Deville, d’autres tapissiers ou d’ornemanistes, photographies) pouvant constituer des références. C’est cette recherche de vraisemblance historique qui conduit Deville, sur la fin de sa carrière, à écrire sur l’histoire de son métier.
Lorsque, âgé de cinquante ans, il publie en 1875 son Recueil de documents et de statuts relatifs à la corporation des tapissiers, il explore l’histoire du métier à Paris depuis le XIIIe siècle jusqu’aux années 1870 afin de doter d’une mémoire collective une profession dont les nouvelles structures cherchent à s’inscrire dans une continuité historique. En fait, seules les périodes récentes du XIXe siècle font l’objet d’une rapide analyse (une vingtaine de pages) ; dans le reste de l’ouvrage, Deville ne produit pas un discours scientifique mais publie un ensemble de documents utiles à l’histoire de la profession. Avec les définitions des grands dictionnaires (l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, le Dictionnaire de la langue française de Littré ou le Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance de Viollet-le-Duc), Deville choisit un extrait de l’Encyclopédie méthodique publiée par Panckoucke à la fin des années 1780, tiré des Principes de l’art du tapissier de Jean-François Bimont. Il reprend également les intéressantes préfaces des statuts de la communauté des maîtres et marchands tapissiers de Paris de 1718 et 1756, textes qui donnent un exemple précoce de la conscience qu’a pu avoir une profession de sa propre histoire dès le début du XVIIIe siècle.
Le premier volume du Dictionnaire du tapissier propose une approche théorique articulée autour d’un classement thématique peu pratique à manier, où chaque terme technique est défini et expliqué dans une perspective historique. La première partie traite des différents types de meubles, la seconde de la façon et des étoffes, la troisième des rideaux et tentures. De manière plus originale et novatrice pour l’époque, les pièces justificatives (quatrième partie du volume) rassemblent des documents historiques sur l’ameublement. Certains d’entre eux sont repris des publications récentes, tels les inventaires de Mazarin ou du Louvre, respectivement publiés par le duc d’Aumale et Louis-Claude Douet d’Arcq. D’autres sont des pièces d’archives inédites, tirées pour la plupart des Archives nationales et notamment de la série O1 où sont conservés les papiers du Garde-Meuble du Roi sous l’Ancien Régime. Deville est ainsi l’un des premiers à appuyer ses propos sur des inventaires de Versailles ou sur les mémoires de Capin, tapissier du Roi à la fin du XVIIIe siècle. Cette méthode sera reprise et développée avec plus de pertinence cinquante ans après par Pierre Verlet. Quant aux cent vingt-quatre planches couleur constituant le second volume du Dictionnaire, dessinées par Cleuzet sous la direction de Deville, elles se veulent un recueil de modèles et empruntent leur principe aux albums de l’auteur conservés de la Bibliothèque nationale de France. Les sources utilisées sont des planches d’ornemanistes (Marot, Delafosse, Prieur…), des illustrations tirées du Dictionnaire raisonné de Viollet-Le-Duc ou des dessins de meubles rassemblés par Deville et certains de ses confrères. Deville a également recours aux reproductions diffusées par L’Art pour tous, l’encyclopédie d’arts décoratifs publiée depuis 1861.
Si le Recueil constitue une source d’informations inégalée aujourd’hui, en revanche son Dictionnaire sera détrôné dix ans après sa publication par le Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration d’Henry Havard. L’ampleur et la précision de cette somme de connaissances, fruit de dix années de travail (Havard lance son projet en 1878, année de publication du Dictionnaire de Deville), dépassent par l’importance du champ couvert et la précision des informations l’ouvrage plus modeste du tapissier parisien, y compris sur certains points d’histoire des techniques qui font l’objet d’erreurs d’interprétation de Deville. Havard ne manque d’ailleurs pas de dénoncer la faiblesse des références et les contresens de l’auteur qui « marque plus de prétention à l’originalité que de raison et de science étymologique ». En d’autres occasions toutefois, Havard sait exploiter la richesse des détails fournis par Deville. C’est du reste là tout le paradoxe des écrits du tapissier, dont la rigueur scientifique reste fragile, mais dont les nombreux détails et anecdotes qu’il livre sur les périodes récentes (depuis la Restauration), et singulièrement sur les innovations techniques ou stylistiques, constituent une source de référence. Son œuvre nous aide d’avantage à comprendre le regard porté par la seconde moitié du XIXe siècle sur les siècles précédents (notamment par les hommes de métier) qu’il ne nous fournit des analyses fiables sur l’histoire des techniques pour les périodes anciennes.
Xavier Bonnet, tapissier, doctorant en histoire de l’art
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Recueil de documents et de statuts relatifs à la corporation des tapissiers, de 1258 à 1875. Réflexions concernant cette corporation. Paris : A. Chaix et Cie, 1875.
- Dictionnaire du tapissier, critique et historique de l’ameublement français, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Paris : C. Claesen, 1878-1880. 2 vol.
Bibliographie critique sélective
- Arnoux Jules-Joseph, dir. – Le Travail universel. Revue complète des œuvres de l’art et de l’industrie exposées à Paris en 1855. Paris : Aux bureaux de La Patrie, 1856, 2 vol.
Sources identifiées
Los Angeles, Getty Research Institute, Research Library
- Special Collections, 91-B34385 : exemplaire du Manuel des tapissiers (1766) de Jean-François Bimont, provenant de la bibliothèque de Jules Deville, offert par B. Bayard fabricant, de tapis à Aubusson
Paris, Archives de Paris
- État-civil reconstitué
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie
- Albums J. Deville Tapissier, [s. l] : [s. n.], 1850 à 1880, 6 vol. in-fol.
- Hd-110h-Fol. : vol. 1 : meubles
- Hd-110i-Fol. : vol. 2 : lits
- Hd-110j-Fol. : vol. 3 : sièges
- Hd-110k-Fol. : vol. 4 : portières, intérieurs
- Hd-110l-Fol. : vol. 5 : croisées
- Hd-110m-Fol. : vol. 6 : croisées