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DEPERTHES, Jean-Baptiste
Mis à jour le 19 décembre 2008(25 octobre 1761, Reims – 25 octobre 1833, Paris)
Auteur(s) de la notice : HENRY Christophe
Profession ou activité principale
Employé de préfecture
Autres activités
Peintre, théoricien du paysage, altiste
Sujets d’étude
Paysage, Poussin, muséum et destinée des collections nationales
Carrière
1761 : naissance à Reims le 25 octobre d’un père avocat et d’une mère dont l’activité n’est pas connue
1786 : a peut-être, à partir de cette date, rejoint l’atelier parisien de Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) qui ne connaîtra une réelle renommée qu’à partir de 1795, accueillant Jean-Victor Bertin (1767-1842) et Achille-Etna Michallon (1796-1822), condisciples de Deperthes
1793 : expose au Salon plusieurs paysages ; de même en 1793, 1795, 1796, 1800
1798 : envoie à Reims, sa ville natale, un tableau représentant un brouillard tombant (tableau visible en 1850 dans une des salles de l’hôtel de ville)
1800-1815 : cesse sa carrière de peintre et entre au service du gouvernement, rejoignant sans doute un des bureaux de l’administration civile dans un premier temps, puis la préfecture de la Seine où il travaillera jusqu’en 1833
1806 : attaché comme amateur à l’orchestre du théâtre de la rue de Thionville ; y fait représenter, le 13 décembre, La Cassette de bijoux ou La fuite de Jules du toit paternel, mélodrame en trois actes, retiré par lui à la troisième représentation
1815 : après la seconde invasion des armées alliées qui enlevèrent du musée la plus grande partie des chefs-d’œuvre provenant des conquêtes impériales, présente lui-même à Louis XVIII une adresse sur la destination qu’on pouvait donner au « muséum » et sur les avantages qui en résulteraient pour les arts ; elle sera imprimée la même année sous le titre : Opinion sur la destination qu’il conviendrait de donner au museum pour favoriser l’encouragement des artistes et le perfectionnement des beaux-arts en France
1818 : publication de sa Théorie du paysage ou Considérations générales sur les beautés de la nature que l’art peut imiter et sur les moyens qu’il doit employer pour réussir cette imitation
1822 : fait hommage de son Histoire de l’art du paysage à l’Académie des beaux-arts, publiée la même année chez Le Normant ; Antoine Quatremère de Quincy en rend compte élogieusement dans le Journal des savants de décembre de la même année
Étude critique
Formé en tant que peintre à l’extrême fin du règne de Louis XVI et sous la Convention, Jean-Baptiste Deperthes fait partie de ces praticiens éclairés qui fondèrent l’historiographie moderne de l’art sur les ruines de la culture académique de l’Ancien Régime. En effet, lorsque Deperthes publie en 1818 sa Théorie du paysage ou Considérations générales sur les beautés de la nature que l’art peut imiter et sur les moyens qu’il doit employer pour réussir cette imitation, il se positionne alors comme un auteur soucieux de rappeler aux édiles et aux grands amateurs de la monarchie restaurée quels avaient été les principes de la pratique du paysage avant la période de près de vingt-cinq ans de troubles politiques qui avait fait muter les fonctions de l’art et les enjeux de la culture académique.
S’inscrivant en cela dans la lignée d’un Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy (1755-1849), alors professeur d’archéologie au Cabinet des antiques de la Bibliothèque nationale mais qui, pour s’être rallié avec empressement à la première Restauration en 1814, avait occupé successivement les fonctions de censeur royal, d’intendant des arts et monuments civils et de secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, Deperthes tente au niveau de la peinture de paysage un sauvetage de la pensée académique ancienne via la notion quatremèrienne d’imitation. Mais si Quatremère recommande pour l’architecture l’imitation des œuvres grecques reconstituées par l’archéologie, il va de soi qu’en matière de peinture le modèle ne peut être constitué que par le XVIIe siècle, qui pour Deperthes et sa génération a su reconstituer ce que fut la contribution des Anciens avant qu’elle ne disparaisse dans les décombres de l’histoire.
Deperthes reprend ici une idée chère à la pensée classique de l’art et va l’expliciter dans ses deux acceptions. En tant que reconstitution mentale de la nature, l’imitation que pratique le peintre doit être fondée sur la connaissance du beau idéal et donc des principes constitutifs de la nature en tant que spectacle moral, édifiant et réflexif – ce sera l’objet de la Théorie de 1818 largement inspirée par le poussinisme des années 1770-1780. En tant que méditation sur l’exemple, l’imitation du peintre de paysage doit en passer par la connaissance des réussites de l’histoire de son art, pour comprendre l’application virtuose des principes, mais aussi afin de pénétrer les secrets de la nature elle-même, révélés par les grands maîtres du paysage.
Et cela fera l’objet de l’Histoire de l’art du paysage de 1822, dans l’avant-propos duquel l’auteur explicite très bien cette double conception : « En effet, ne sait-on pas qu’un des principaux attributs des arts qui ont pour objet l’imitation de la nature est de participer à l’essence de leur modèle et de partager avec lui la propriété d’être variés à l’infini dans leurs moyens et dans leurs résultats ? Or de ce principe incontestable il suit que chacun des genres de la peinture doit offrir au talent de l’historien des branches aussi diversifiées à décrire qu’il est donné au génie de l’artiste d’en cultiver. Il était donc naturel de penser qu’une Histoire de l’art du paysage pourrait succéder à la Théorie, sans présenter avec celle-ci aucune similitude dans la conception du sujet et dans son exécution ; il était même permis de juger que les deux ouvrages réunis formeraient en quelque sorte un traité complet, puisque l’Histoire de l’art du paysage, n’étant qu’un exposé fidèle de la conséquence des principes établis dans la Théorie, les fortifierait d’autant mieux qu’à l’appui des préceptes viendrait une série nombreuse d’exemples choisis dans toutes les productions de l’art, depuis son origine jusqu’à sa perfection » (Histoire de l’art du paysage, 1822, p. v-vi).
On comprend ainsi que la contribution à l’histoire de l’art que propose Deperthes se situe à la croisée des épistémologies : y participe encore la conception cartésienne d’une peinture conçue comme praxis de la connaissance, mais celle-ci s’y trouve engagée dans un conflit souterrain avec la conception, poussinienne et réaffirmée par les Lumières, de l’art comme objet d’édification et de délectation. Mais de ce croisement des perspectives naît aussi un trouble historiographique, puisque pour présenter un intitulé général évocateur d’une diachronie complète, l’Histoire de l’art du paysage se développe sur une chronologie historique très limitée, et qui se réduit en fait, pour 500 pages sur 544, au XVIIe siècle. De cette restriction, on peut penser qu’elle est simplement déterminée par le projet d’illustrer par l’évocation des peintres et des œuvres les principes de la théorie de 1818, ce que semble bien étayer Deperthes quand il écrit : « Si l’on s’étonne que cet historien ne se soit point occupé des paysagistes nés dans le XVIIIe siècle, ce n’est pas qu’il ne rende entièrement justice aux talents d’un certain nombre d’entre eux ; mais il ne peut échapper à la pensée de ceux qui considèrent avec raison le XVIIe siècle comme l’époque de l’apogée du paysage, que l’auteur, sans avoir eu besoin de dépasser ce terme, a considéré son sujet sous le point de vue le plus intéressant et le plus favorable à tous les développements qu’il pouvait embrasser : d’ailleurs il est encore à remarquer que la plupart des paysagistes que la seconde moitié du XVIIe siècle a vus naître, ayant prolongé leur existence plus ou moins avant dans le cours du XVIIIe, la mention qui les concerne comprend nécessairement un laps de temps plus considérable que celui que le titre de cet ouvrage semblait indiquer. »
Si le terme de l’étude s’approche peu ou prou de la date de la rédaction de l’ouvrage, son origine, située dans une vague « renaissance des arts » mal datée, fait l’objet d’une justification qui en passe par les arguments d’autorité que Quatremère de Quincy avait émis à l’occasion de la recension de la Théorie du paysage de Deperthes dans le Journal des savants en 1818 (!) : « Le paysage traité isolément comme un genre de peinture à part ne paraît pas avoir occupé une place distincte dans l’exercice des arts chez les Anciens, avant le règne d’Auguste, époque où Ludus, selon Pline, introduisit à Rome l’usage de décorer les intérieurs par des vues de scènes champêtres qui étaient, à la rigueur du mot, tel qu’on l’entend aujourd’hui, des paysages […]. Mais les Grecs, dans le bel âge de leur peinture, avaient-ils fait un genre à part du paysage ? C’est une question à laquelle on ne peut répondre que par conjecture […] et plus d’une raison porte à croire qu’aux plus beaux temps de l’art surtout, ce genre fut inconnu ou négligé. Nous retrouvons, au reste, la même négligence dans les deux premiers siècles du renouvellement des arts chez les modernes. »
Mais on notera toutefois que l’horizon historiographique général des années 1820 n’accordait que très peu de place au Moyen Âge, et a fortiori pour les arts. Par ailleurs, dans le cas plus spécifique du paysage, Deperthes ne disposait ni des moyens documentaires ni des outils méthodologiques pour remonter en amont de 1450. Et quand bien même l’aurait-il fait, il aurait outrepassé les limites du paysage en tant que genre autonome qu’il étudie, soit un « paysage d’histoire », défini du point de vue de la forme comme une vue paysagée et du point de vue de la fin comme une historia albertienne, chargée de révéler une vérité qui a trait à la nature en tant que nature de l’homme et en tant que nature du cosmos. C’est pour cette raison que dans l’Histoire de l’art du paysage que dresse Deperthes, les grands maîtres, envisagés dans leur succession aussi bien que dans leur héritage propre, constituent le fondement de l’écriture historiographique : « L’histoire de l’art du paysage, écrit Deperthes, considéré dans sa marche et ses progrès depuis son origine jusqu’à sa perfection, ne peut être au fond que l’histoire des paysagistes des différentes écoles, envisagés non pas seulement selon l’ordre des temps où ils ont paru, mais surtout dans une analyse méthodique et raisonnée du caractère distinctif de leurs talents et du mérite particulier de leurs productions. »
On comprend ainsi que si la structure générale de l’ouvrage est tributaire des positionnements théoriques de l’Ancien Régime, l’argumentation de détail ressortit pleinement à la méthodologie triple sur laquelle se fonde le progrès de la connaissance au XIXe siècle : inventaire et classement des phénomènes par ensembles géographiques et chronologiques ; comparaison systématique des items recensés ; documentation historique des ensembles et biographie des personnalités : « C’est dans l’examen des systèmes adaptés par chaque école et dans la comparaison des manières usitées par les principaux paysagistes, que l’on peut apprendre à connaître les différentes modifications que le paysage a éprouvées dans sa culture et dans ses résultats dès l’instant qu’il a formé un genre à part dans le domaine de la peinture, les efforts successifs qui ont contribué à le perfectionner, enfin les circonstances qui ont influé sur sa décadence. Tel est le plan de cet ouvrage dans lequel, tout en ne laissant échapper aucune occasion de faire remarquer les changements survenus dans l’état de l’art à un assez grand nombre d’époques différentes, on s’est attaché principalement à réunir dans une même galerie les plus habiles paysagistes des diverses contrées, à présenter sous son véritable jour le talent de chacun d’eux en particulier, quelquefois même à les opposer les uns aux autres dans la vue de mieux faire ressortir leurs traits caractéristiques ; enfin, pour ne laisser ignorer rien de ce qui peut les concerner, on a cru devoir faire précéder les remarques de quelques renseignements exacts, autant que possible, sur leur vie privée ; persuadé que le lecteur aimerait sans doute à faire, en quelque sorte, connaissance, avec des artistes célèbres dans la carrière qu’ils ont suivie, avant de découvrir dans leurs chefs-d’œuvre la source et les causes de leur célébrité. »
Savante, la perspective de Deperthes fut aussi civique. À cet endroit, l’Histoire de l’art du paysage s’inscrit dans la logique directe de la position politique qu’avait adoptée Deperthes en publiant en 1815 son Opinion sur la destination qu’il conviendrait de donner au muséum pour favoriser l’encouragement des artistes et le perfectionnement des beaux-arts en France, laquelle se proposait de réfléchir à la remise à disposition des collections nationales dans le contexte des restitutions aux armées alliées des chefs-d’œuvre conquis par les armées napoléoniennes. Inspiré par la conviction de l’utilité civique des collections et des grands maîtres, cette supplique au roi Louis XVIII se fondait avant tout sur une connaissance particulièrement fine des ressources artistiques parisiennes et notamment de ce que l’on nommait alors la galerie du Musée royal, de la galerie d’Apollon au Louvre et du cabinet des estampes de la bibliothèque du Roi – trois « dépôts », comme les nomme Deperthes, qui lui fournirent « les matériaux nécessaires pour former l’Histoire de l’art du paysage ».
Christophe Henry
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Opinion sur la destination qu’il conviendrait de donner au muséum pour favoriser l’encouragement des artistes et le perfectionnement des beaux-arts en France. Paris : Le Normant, 1815.
- Théorie du paysage ou Considérations générales sur les beautés de la nature que l’art peut imiter et sur les moyens qu’il doit employer pour réussir cette imitation. Paris : Le Normant, 1818. Rééd. en fac-similé. La Rochelle : Rumeur des âges, 2002.
- Histoire de l’art du paysage, depuis la Renaissance des beaux-arts jusqu’au XVIIIe siècle, ou Recherches sur l’origine et le progrès de ce genre de peinture, et sur la vie, les ouvrages et le talent distinctif des principaux paysagistes des différentes écoles. Paris : Le Normant, 1822.
Bibliographie critique sélective
- Quatremère de Quincy Antoine C. – Journal des savants, 1793, 1795, 1796, 1800.
- Hoefer Jean Christian-Ferdinand. – Nouvelle Biographie générale. Paris : Firmin-Didot, 46 t., 1852.
- Michaud Louis Gabriel. – Biographie universelle ancienne et moderne. Nouv. éd. Paris : Chez Madame C. Desplaces & chez M. Michaud, 1855, t. X, p. 442-443.
- Bellier de la Chavignerie Jean-Baptiste Eugène, continué par Auvray Louis. – Dictionnaire général des artistes de l’école française. Paris : Le livre à la carte, 2 t., suppl., 1882-1887.
- Boime Albert. – The Academy and French Painting in the Nineteenth Century. Londres, New York : Phaidon, 1971.
- Whitney Wheelock. – « Pierre-Henri Valenciennes : an unpublished document ». In The Burlington Magazine, vol. 118, n° 877, avril 1976, p. 225-227 (227).
- Wenzel Carol-Rose. – The Transformation of French Landscape Painting from Valenciennes to Corot, 1787 to 1827. Diss, Philadelphia, Ann Arbor : University of Pennsylvania, 1979 (plusieurs mentions).
- Harambourg Lydia. – Dictionnaire des peintres paysagistes français au XIXe siècle. Neuchatel : éd. Ides et Calendes, 2001, p. 115-116.
Sources identifiées
Pas de sources recensées à ce jour
En complément : Voir la notice dans AGORHA