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DEMMIN, Auguste
Mis à jour le 27 novembre 2008(1er avril 1817, Berlin – 17 juin 1898, Wiesbaden)
Auteur(s) de la notice :
DECULTOT Elisabeth
Profession ou activité principale
Collectionneur, historien de l’art
Autres activités
Homme d’affaires, romancier, essayiste
Sujets d’étude
Histoire de la peinture allemande, art allemand (notamment du Moyen Âge et de la Renaissance), histoire de la céramique, histoire des armes et des armures
Carrière
1840-1872 : s’établit à Paris pour ses activités d’homme d’affaires ; parallèlement s’adonne à l’histoire de l’art et constitue une collection de céramiques et d’armes anciennes ; entreprend plusieurs voyages à travers l’Europe, notamment en Allemagne, qu’il s’emploie à faire connaître au public français
1848 : publie un Essai sur le libre échange
1861 : publie un Guide de l’amateur de faïences et porcelaines, ouvrage de vulgarisation destiné à guider le collectionneur dans ses choix (le manuel eut plusieurs rééditions)
1862 : publie les Recherches sur la priorité de la renaissance de l’art allemand
1864 : publie ses Souvenirs de voyage et causeries d’un collectionneur, récit de voyage à travers l’Allemagne, dont la vocation est de servir de guide artistique
1866 : publie un catalogue de sa collection de céramiques (Catalogue par ordre chronologique, ethnologique et générique de la collection céramique de M. Auguste Demmin), dont il livre une version élargie en 1868, puis une édition sur « planches phototypiques » en 1875 ; le catalogue paraît en traduction allemande en 1882 (Beschreibendes Verzeichnis seiner Sammlungen für bildende und gewerbliche Künste), faisant suite à la publication à Leipzig en 1881 d’une série d’essais sur la céramique (Keramik-Studien) ; publie également un roman sentimental intitulé Une vengeance par le mariage
1869 : publie un Guide des amateurs d’armes et armures anciennes, traduit en allemand la même année
1873-1874 : publie en trois volumes une Encyclopédie historique […] des beaux-arts plastiques
1875 : édite avec Charles Blanc et Paul Mantz le volume de l’Histoire des peintres de toutes les écoles consacré à l’école allemande
1875 : vend à l’hôtel Drouot 150 numéros de sa collection, parmi lesquels essentiellement des faïences, des armes, des bois sculptés et quelques pièces de broderie
Étude critique
« Tandis que le mouvement artistique chez les Anciens aussi bien que celui de la Renaissance de l’art chez les races latines a été traité en France de toutes les manières et à satiété, l’art allemand et particulièrement les œuvres nationales et originales chrétiennes, indépendantes de toute influence étrangère, ces créations de l’art des races germaniques, pourrait-on dire, sont presque ignorées en France. » Ces phrases, parues en 1864 dans les premières pages des Souvenirs de voyage et causeries d’un collectionneur, résument deux convictions fortes d’Auguste Friedrich Demmin : il est urgent de faire connaître l’art germanique du Moyen Âge et de la Renaissance au public français car cet art méconnu a atteint un sommet supérieur aux plus brillantes réussites de l’art italien. Berlinois installé à Paris au milieu du XIXe siècle, l’auteur semble avoir consacré sa vie à servir ce projet. En témoignent tout d’abord ses travaux d’histoire de l’art, fondés sur un principe chronologique maintes fois affirmé : l’antériorité de la Renaissance allemande par rapport à la Renaissance italienne, une « priorité » dont il fait la matière d’un essai publié en 1862. « La Renaissance en peinture, aussi bien qu’en architecture, qu’en sculpture, qu’en orfèvrerie, qu’en fonderie et qu’en poterie, est plutôt sortie d’Allemagne que d’Italie », lit-on dans les premières pages de cet ouvrage. « L’Italie a suivi et non pas précédé la Germanie. » Dès le début du Moyen Âge, se serait développée sur le sol allemand une activité artistique intense qui aurait culminé entre le XIIe et le XVIe siècle dans l’éclosion d’un art national totalement débarrassé de l’héritage antique. Alors que Cimabue ne laissait à la fin du XIIIe siècle que des « tableaux byzantins », aux chairs « grisâtres », aux mains et aux figures « affreuses », Wilhelm de Herle peignait dès le début du XIVe siècle des œuvres pleines de grâce. Bien avant l’apparition de Léonard, ce mouvement donnait naissance à une école allemande remarquable, dont Demmin évoque les grands noms dans un volume de l’Histoire des peintres paru en 1875 : Stephan Lochner, Martin Schongauer, Hans Baldung Grien, etc.
Mais la Renaissance germanique possède sur la Renaissance italienne beaucoup plus qu’un avantage chronologique. Elle la dépasse par ses qualités artistiques mêmes. Cette supériorité tiendrait à deux caractéristiques : l’ancien art allemand serait totalement endogène d’une part et profondément chrétien d’autre part. À cela des causes ethnologiques, historiques et religieuses diverses : le « génie germanique », porté par la « race franke », serait par nature étranger au génie latin ; l’occupation de la Germanie par les Romains, partielle et relativement brève, n’aurait pas permis de lui ôter son caractère propre ; enfin, l’esprit de la chrétienté n’aurait véritablement éclos que sur le sol allemand, l’Italie restant, sous l’apparence du christianisme, profondément païenne. Cette vision historiographique laisse transparaître des choix confessionnels marqués. C’est à tort, souligne Demmin, que l’on a accusé la Réforme d’avoir entravé le progrès des arts. « Ce qui a fait plus de mal à l’art en Allemagne que les iconoclastes, ce fut l’influence étrangère, particulièrement introduite par les jésuites, qui transformaient les églises en boudoirs », note-t-il dans l’Histoire des peintres de toutes les écoles.
Il convient de souligner l’aspect paradoxal de la position de Demmin. C’est sur le sol français et pour l’essentiel en langue française qu’il lance ses appels répétés à l’édification d’une véritable « histoire de l’art allemand », c’est-à-dire d’une histoire qui cesse d’orienter ses regards vers l’Italie. À ce décalage géographique, l’auteur fournit une justification encore une fois ethnographique. La France aurait certes été marquée par « l’esprit latin » qui se répandit sur son territoire à la suite de l’occupation romaine. Mais elle n’en demeurerait pas moins peuplée de Celtes qui, aussi bien que les Francs d’Allemagne, « étaient de la grande famille germanique ». Le « génie indo-germanique » y aurait donc « conservé partout d’ineffaçables traces ». Rien d’étonnant dès lors à ce que ce pays puisse servir de point de départ à l’édification d’une histoire germanique de l’art.
Le gothique joue bien évidemment un rôle important dans cette construction historiographique. Quintessence de l’art chrétien, il ne peut avoir été produit et développé que par le nord de l’Europe aux yeux de Demmin. Sa présence plus discrète dans une grande partie de l’Italie apporte selon lui la preuve que l’esprit chrétien est resté totalement étranger à ce pays. « Saint-Pierre de Rome même n’a rien d’une église chrétienne », note-t-il dans les Recherches sur la priorité de la renaissance de l’art allemand. Quant à la question de l’origine nationale précise de ce style, elle reste manifestement délicate à trancher. S’il est certes prêt à reconnaître que l’art gothique n’est pas à proprement parler né sur le sol allemand, Demmin en fait néanmoins un produit de la « race franke », qui vient d’Allemagne.
Exposées au sein d’ouvrages historiographiques généraux, ces convictions se reflètent également dans son activité de collectionneur. Tout laisse même penser que l’édification de ce qu’il appelait son « musée » personnel a joué un rôle fondateur dans l’élaboration de sa vision de l’art. C’est en commençant à rassembler des céramiques et des armes anciennes qu’il élabore les premiers axiomes de sa théorie de la « priorité » de l’art allemand sur l’art italien. Certes, reconnaît-il dans son Guide de l’amateur de faïences et porcelaines paru en 1861, l’Italie a fourni la première impulsion pour l’art céramique. Mais « à peine cet élan donné, Hirschvogel de Nuremberg, en 1503, avait produit de si belles faïences que Bernard de Palissy préféra suivre l’école de Nuremberg plutôt que celle de Pesaro ». Entre l’œuvre historiographique et la collection d’objets se dessine ainsi une étroite solidarité, que confirment d’ailleurs certaines coïncidences biographiques. Ainsi, l’année 1875 marque à la fois la parution de sa dernière publication historique d’envergure, le volume de l’Histoire des peintres de toutes les écoles consacré à l’école allemande, et la vente de sa collection à l’hôtel Drouot.
Élisabeth Decultot, directeur de recherche au CNRS, UMR 8547, Pays Germaniques
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Essai sur le libre échange considéré au point de vue philanthropique. Rotterdam : S. Van Reyn Snoek, 1848.
- Guide de l’amateur de faïences et porcelaines. Paris : Vve J. Renouard, 1861.
- Recherches sur la priorité de la renaissance de l’art allemand. Paris : Vve J. Renouard, 1862.
- Souvenirs de voyage et causeries d’un collectionneur, ou Guide artistique pour l’Allemagne. Paris : Vve J. Renouard, 1864.
- Catalogue par ordre chronologique, ethnologique et générique de la collection céramique de M. Auguste Demmin. Paris : Vve J. Renouard, 1866.
- Catalogue par ordre chronologique, ethnologique et générique du musée des arts plastiques et des industries qui s’y rattachent, de M. Auguste Demmin. Paris : Vve J. Renouard, 1868. Trad. du français : Beschreibendes Verzeichnis seiner Sammlungen für bildende und gewerbliche Künste in zeitfolgiger, länder- und gattungsgemäßer Aufstellung. Leipzig : E. Schlömp, 1882.
- Une vengeance par le mariage. Paris : A. Faure, 1866.
- Guide des amateurs d’armes et armures anciennes. Paris : Vve J. Renouard, 1869. Trad. du français : Die Kriegswaffen in ihrer historischen Entwicklung von der Steinzeit bis zur Erfindung des Zündnadelgewehrs, ein Handbuch der Waffenkunde. Leipzig : E. A. Seemann, 1869.
- Encyclopédie d’armurerie avec monogrammes, guide des amateurs d’armes et armures anciennes par ordre chronologique, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Paris : Vve J. Renouard, 1869.
- Encyclopédie historique, biographique, chronologique et monogrammatique des beaux-arts plastiques. Paris : Furne, Jouvet et Cie, 1873-1874,vol. 1 ; vol. 2 ; vol. 3.
- Histoire de la céramique en planches phototypiques inaltérables, avec texte explicatif. Paris : H. Loones, 1875 ; 2 vol.
École allemande. In Blanc Charles, Demmin Auguste et Mantz Paul, Histoire des peintres de toutes les écoles. Paris : Vve J. Renouart et H. Loones, 1861-1876, vol. 11.- Keramik-Studien. Leipzig : E. Schlömp, 1881.
Bibliographie critique sélective
- Reitzenstein, Albrecht Freiherr von. – « Demmin, August », In Neue Deutsche Biographie, t. 3. Berlin : Duncker und Humblot, 1957, p. 592
- Kleineberger Günther. – « Männlicher Papst-Teufel-Sturzbecher aus der bewegten Reformationszeit : Hinweis auf den in Wiesbaden vergessenen bedeutenden Sammler August Demmin ». Wiesbaden Leben, 1995, t. 44, cahier n° 9, p. 28-31.
- Baumgart-Buttersack Gretel. – « August Demmin : Kunstsammler – hitoriker und Mäzen unserer Stadt ». Wiesbaden Leben, 1987, t. 36, cahier n° 3, p. 30-31.
Sources identifiées
La collection d’art de Demmin se trouve aujourd’hui au Museum Wiesbaden, qui a organisé du 21 juin 1998 au 20 juin 1999 une exposition en son souvenir.