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ALLIER, Achille
Mis à jour le 21 novembre 2008(2 juillet 1807, Montluçon – 3 avril 1836, Bourbon-l’Archambault)
Auteur(s) de la notice :
VAISSE Pierre
Profession ou activité principale
Rentier
Autres activités
Journaliste, écrivain, historien, archéologue, dessinateur et graveur
Sujets d’étude
Bourbonnais : histoire, traditions populaires, monuments ; vie artistique en province
Carrière
Env. 1817-1826 : collège de Montluçon, lycée Saint-Louis à Paris
1826-1829 : études de droit à Paris ; licence en droit ; échec des efforts de ses parents pour lui acheter une étude de notaire
1829-1831 : à Montluçon, commence à étudier l’histoire du Bourbonnais
12 avril-27 août 1831 : rédacteur en chef de L’Album de l’Allier
5 septembre 1831 : épouse Évelina Deshays ; s’installe à Bourbon-l’Archambault
1831 : publie à Moulins Esquisses bourbonnaises
20 juillet 1832 : empêche, par sa protestation, la vente aux enchères des ruines du château de Bourbon-l’Archambault par le duc d’Aumale
15 mars 1833 : signature d’un accord avec l’imprimeur Desrosiers, de Moulins, et le peintre et érudit Dufour pour la publication de L’Ancien Bourbonnais
1er août 1833 : première livraison de L’Ancien Bourbonnais
1833-1835 : voyages à Paris pour promouvoir son entreprise autour de L’Ancien Bourbonnais
1835 : fondation et début de la publication de la revue L’Art en province
Étude critique
Mort prématurément après quelques années d’une activité débordante, Achille Allier tomba rapidement dans l’oubli hors de son Bourbonnais natal. Pourtant, par ses idées, par son action, par son talent d’écrivain, il dépasse de beaucoup les dimensions d’un simple érudit local.
Rien, pourtant, ne semble l’avoir prédisposé à mener une autre existence que celle d’un petit-bourgeois de province. Fils d’un épicier de Montluçon, il serait devenu notaire si les pourparlers menés par sa famille pour lui acheter une étude n’avaient pas échoué, lui laissant le loisir, ses études de droit terminées, de s’adonner à sa passion pour le passé de son pays. Il serait vain de chercher de quel ascendant il tenait sa sensibilité exacerbée, son talent d’écrivain, son goût de l’étude, plus vain encore d’opposer, comme dans des biographies d’artistes du XIXe siècle, au bon sens pratique d’un père qui l’oblige à étudier le droit pour embrasser une profession lucrative un hypothétique penchant de sa mère pour les arts. Il semble peu douteux, par contre, qu’il ait été marqué très tôt par la lecture d’auteurs récents ou contemporains, Jean-Jacques Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, Byron, Victor Hugo, le Charles Nodier des Contes fantastiques et des Voyages pittoresques et romantiques, Walter Scott et les historiens libéraux de la Restauration.
Peut-être aurait-il tenté, comme tant d’autres jeunes à son époque, de faire carrière à Paris dans le journalisme et la littérature sans son attachement à son pays, à sa famille et son amour pour sa future épouse, une jeune fille de Bourbon-l’Archambault, de sept ans sa cadette, qui lui avait été promise dès sa naissance. Il mena près d’elle la vie la plus rangée, la plus heureuse aussi, interrompue seulement par ses excursions à travers le Bourbonnais et par quelques voyages à Paris. Il était venu, dès son mariage, habiter à Bourbon-l’Archambault, petite ville dominée par les ruines impressionnantes du château des ducs de Bourbon, qui devint pour lui une nouvelle patrie. En septembre 1831, il refusa même, pour ne pas s’en éloigner, un poste qu’on lui proposait à Moulins, le chef-lieu du département.
La proposition venait du gérant de la Gazette constitutionnelle de l’Allier. Dans sa lettre de refus, Achille Allier lui promettait par contre de collaborer à sa revue. Il lui proposait « des articles d’art et de doctrine littéraire, aussi bien que des études de mœurs ». C’est au même éventail d’intérêts que correspondait, à la même époque, la publication d’Esquisses bourbonnaises, recueil dans lequel les évocations de monuments voisinent avec des scènes de la vie paysanne mêlées de réflexions morales. Nul disparate n’en résulte pourtant, car il s’agit dans tous les cas, pour l’auteur, soit de fixer l’image de ce qui est condamné à disparaître, soit de restituer celle de ce qui a déjà disparu. « Il faut se hâter ; la civilisation est en marche ; si elle s’arrête parfois, jamais elle ne recule », écrit-il dans l’introduction avec ce sens aigu des changements irrémédiables qu’entraîne la fuite du temps propre à ceux qui vécurent la Révolution ou ses conséquences immédiates.
Son attachement au passé, en particulier au Moyen Âge, n’avait pas pour raison une quelconque nostalgie de l’Ancien Régime, une volonté de renouer la chaîne des temps. Les Trois Glorieuses avaient provoqué son enthousiasme. Par ses convictions morales et politiques, il était proche des historiens libéraux de la Restauration, Augustin Thierry, Guizot, Barante ; comme eux, il admirait la bourgeoisie des communes au Moyen Âge. Attaché à la liberté, à la justice sociale, il ne l’était pas moins à l’ordre et à la propriété. Il était croyant, mais sans aucun dogmatisme, et souvent critique envers le clergé. Il manifestait pourtant à l’égard des encyclopédistes une vive hostilité, mais qui concernait autant leur classicisme en art et en littérature et le mépris du Moyen Âge qui en découlait que leur matérialisme. Comme beaucoup de ses contemporains, il rejetait dans ce domaine les règles académiques qui brident la fantaisie et nivellent l’expression. Il avait le goût du pittoresque, des toits en pente et des pignons en saillie, et déplorait la stricte géométrie de l’architecture néoclassique. Cette dimension esthétique joua un rôle certain dans son amour du Moyen Âge.
Plus profondément, toutefois, ce qu’il reprochait aux encyclopédistes, c’est d’avoir contribué à l’uniformisation des goûts et des idées vers laquelle tend la civilisation moderne et la perte en richesses humaines qui en résulte. C’est pour la même raison qu’il s’opposait à la centralisation politique et culturelle de la France, tout en reconnaissant qu’elle avait eu, sur le plan intellectuel, des avantages en facilitant la circulation des idées et « une application plus directe des travaux de la science au bien-être matériel des masses », car « chaque province », ajoutait-il, « y a perdu quelque chose de son caractère individuel, et les hommes quelque chose de leur originalité primitive » (Esquisses bourbonnaises, « Montluçon »). C’est pourquoi « l’étude de l’avenir qui s’avance doit plus que jamais éveiller une sympathie correspondante pour le passé qui s’efface » (ibidem, introduction).
De là son acharnement à sauver du passé ce qui pouvait l’être encore, et cela, non seulement par la description des modes de vie en voie de disparition, non seulement par l’étude de l’histoire, mais encore en luttant contre les destructions de monuments. « Ébranlé dans ma solitude par la voix puissante du génie, par ce généreux appel de notre Victor Hugo, […] j’ai répété de loin et avec ma faible voix, son cri de guerre », écrivait-il dans l’introduction d’Esquisses bourbonnaises.
Un an plus tard, les circonstances allaient lui donner l’occasion d’agir concrètement : le château des ducs de Bourbon à Bourbon-l’Archambault, ou plutôt ce qui en restait après la Révolution, étant échu par héritage au jeune duc d’Aumale, les administrateurs de ses biens décidèrent de le vendre aux enchères – ce qui était le livrer à la pioche d’un entrepreneur. Le 20 juillet 1832, Achille Allier publiait dans la Gazette constitutionnelle de l’Allier une lettre dans laquelle il annonçait qu’il achèterait le château et ferait graver sur ses murs : « Château des ducs de Bourbon, vendu à Achille Allier, bourgeois et artiste, par Monseigneur le duc d’Aumale, légataire universel du duc de Bourbon. » La presse parisienne reprit l’information et Victor Hugo lui-même intervint pour que le projet de vente fût abandonné.
Quelque intérêt qu’il nourrît pour l’art et pour l’architecture, les monuments étaient, pour Achille Allier, plus que des pierres artistiquement travaillées. Ils portaient témoignage d’une époque que leur étude permettait de faire revivre. C’est pourquoi la description archéologique le cède souvent, sous sa plume, à l’évocation de l’histoire.
Il n’est, pour prendre la mesure de sa méthode, que de comparer les pages consacrées au prieuré de Souvigny dans Esquisses bourbonnaises au rapport, beaucoup plus précis, rédigé quelques années plus tard par Mérimée sur le même édifice : la différence des genres n’explique pas seule la différence de ton. L’ambition avouée de notre auteur était en effet de « raconter son histoire [de sa province], décrire ses monuments, observer ses mœurs, pour une résurrection complète du passé ». Cette formule, qui se rencontre dans son ouvrage L’Ancien bourbonnais, semble empruntée à Michelet, mais Allier doit sans doute aussi beaucoup aux romans de Walter Scott ainsi qu’à Augustin Thierry.
Après Esquisses bourbonnaises, cette vision romantique de l’histoire allait trouver à s’incarner dans l’entreprise monumentale L’Ancien bourbonnais, un ouvrage dont la conception est fort redevable aux Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor et de Nodier, mais pour une seule province. Lancée à l’initiative d’Achille Allier, il s’agissait d’une entreprise collective. Le vieux peintre Dufour, un ancien élève de David établi à Moulins, passionné d’archéologie locale, lui apportait ses documents et ses dessins, l’imprimeur Desrosiers, de Moulins, sa compétence, et une société d’artistes les illustrations gravées ou lithographiées, sous la direction du célèbre ornemaniste Aimé Chenavard. Dans sa nécrologie d’Achille Allier (L’Art en province, vol. 1, p. 221-223), H. Huot voyait dans l’ouvrage « une des plus belles publications de la librairie française ». Grâce à ses efforts et à son enthousiasme, Achille Allier avait obtenu des souscriptions prestigieuses. Les premiers fascicules parurent dès 1833 ; la mort surprit Allier bien avant la fin de l’ouvrage, dont la publication fut continuée par Adolphe Michel, professeur à Moulins. L’ouvrage se présente comme une histoire des ducs et du duché de Bourbon, suivie d’un voyage pittoresque à travers la province. Les planches qui, grâce aux dessins de Dufour, montrent parfois l’aspect d’un monument avant les destructions dues à la Bande noire (pour reprendre l’expression de l’époque), conservent encore aujourd’hui un indéniable intérêt documentaire.
Plus encore que la fureur des révolutionnaires de 1793, Allier n’a cessé de dénoncer l’avidité de la Bande noire. Mais il s’en prend aussi aux restaurateurs – à une époque où ils étaient encore à peu près tous de goût néoclassique. Il loue par contre les travaux d’Alavoine à Rouen et de Pollet à Lyon, édictant ce principe : « Tout monument doit être scrupuleusement continué ou restauré dans le style de sa construction primitive » (L’Art en province, 1835, vol. 1, p. 54).
Son champ d’activité ne s’est pourtant pas limité à la sauvegarde des monuments. Le présent, l’avenir lui importaient tout autant. Tenant l’art à Paris pour une plante de serre, il voulut donner vie à l’art en province. Pour ce faire, il fonda sous ce titre, en 1835, une revue qui continua longtemps après sa mort, puis une Société centrale des amis des arts en province, dont les statuts (publiés dans L’Art en province, vol. 1, p. 209-210) prévoyaient à l’article 1er la tenue annuelle d’une exposition à Moulins. Dans un article d’accompagnement, il traitait les expositions organisées dans les grandes villes de province de « déballages périodiques, faites par les marchands de tableaux de Paris » et attribuait cette situation à l’absence d’échos dans une presse compétente : L’Art en province devait combler cette lacune.
Mais Allier avait des préoccupations d’un ordre plus général. Il publia dans sa revue une longue étude (restée inachevée) intitulée L’Art dans l’industrie. Ses liens avec Chenavard n’y furent sans doute pas étrangers, mais aussi le contact avec les idées saint-simoniennes. S’il dénonce, comme plus tard les théoriciens anglais, la coupure entre artistes et artisans, coupure qui n’aurait pas existé au Moyen Âge, il dénonce vigoureusement ce qu’il appelle le « genre gothique » dans l’ameublement et les objets utilitaires. Appelant de ses vœux l’apparition d’une architecture nationale, il prône pour la décoration, non l’imitation de styles historiques, mais le recours à des techniques nouvelles, plus économiques, telles que la fonte de fer, la terre cuite, la lave émaillée et les briques vernissées – anticipant ainsi le style en honneur autour de 1880. Aussi son amour du Moyen Âge ne s’accompagne-t-il pas, comme chez Pugin, d’un rejet du monde moderne. « Puissent un jour, en signe d’une heureuse alliance [de l’art et de l’industrie], les cheminées des machines à vapeur, ces clochers du culte de l’utile, hérissées de reliefs symboliques, toutes nuancées de mosaïques aux vives couleurs, fendre, sveltes et belles, le brouillard de nos cités industrielles, vomissant par des gueules de monstres leurs tourbillons de noire fumée » (L’Art en province, 1835, vol. 1, p. 151).
Pierre Vaisse, professeur honoraire d’histoire de l’art contemporain à l’université de Genève
Principales publications
Ouvrages et catalogues d’expositions
- Esquisses bourbonnaises. Avec des dessins de l’auteur. Moulins : P.-A. Desrosiers, 1831. Rééd. Cote Léon. – Achille Allier, historien, conteur, imagier bourbonnais 1807-1836. Moulins : Crépin-Leblond éditeur, 1942, p. 271-338.
Direction de publications
- L’Album de l’Allier, Journal de littérature, des sciences, des arts et de l’industrie, du 12 avril au 27 août 1831.
- L’Ancien Bourbonnais, de 1833 à 1836.
- L’Art en province, de 1835 à 1836.
Bibliographie critique sélective
- Cote Léon. – Achille Allier, historien, conteur, imagier bourbonnais 1807-1836. Moulins : Crépin-Leblond éditeur, 1942.
- Favre-Bonté Sophie. – Le Mouvement de décentralisation artistique à Moulins (1835-1851). Achille Allier, L’Art en province et la Société centrale des amis des arts. Maîtrise d’histoire de l’art, université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand II), 1998, 4 vol.
- « Achille Allier ». In Trapes Bernard, Figures célèbres de l’Allier. s. l., 2002, p. 9-10.
Sources identifiées
Pas de sources identifiées à ce jour