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Vallotton, pionnier de la gravure sur bois moderne
Né en Suisse en 1865, Félix Vallotton émigre en France dès l’âge de 17 ans pour réaliser sa vocation et suivre les cours de l’Académie Julian. Élève de Jules Lefebvre (1834-1912) et Gustave Boulanger (1824-1888), il se fait très vite remarquer pour ses qualités de portraitiste et ce sont d’ailleurs des portraits qu’il présente pour ses premières expositions publiques, en 1885, au Salon des artistes français et au Salon suisse des beaux-arts à Genève. Cette année 1885 marque également le début de son Livre de raison, gros cahier manuscrit (aujourd’hui conservé à Lausanne par la Fondation Félix Vallotton) dans lequel il consigne de manière chronologique et systématique sa production. Jusqu’à sa mort en 1925, Vallotton répertorie consciencieusement tableaux et gravures avec indications descriptives et de format ; chose d’autant plus remarquable qu’il fut un artiste prolifique à la créativité débordante réalisant plus de mille sept cent peintures, environ deux cent cinquante gravures, des centaines d’illustrations imprimées dans des revues et des livres, ainsi que de très nombreux dessins et quelques sculptures, il écrivit aussi trois romans, dix pièces de théâtre et une trentaine de critiques et textes sur l’art.
En 1891, il expose pour la première fois au Salon des Indépendants. Proche d’Édouard Vuillard (1868-1940), de Pierre Bonnard (1867-1947) et de Maurice Denis (1870-1943), il rejoint le groupe des Nabis vers 1893. Néanmoins, ce sont surtout ses estampes et illustrations qui lui permettent d’acquérir une certaine notoriété dans la dernière décennie du XIXe siècle. Pendant dix années, il s’adonne presque exclusivement à la gravure, signant ses planches d’un monogramme aisément identifiable : ses initiales FV en capitales grasses encadrées dans un simple rectangle. Dans un premier temps, sa motivation est sans doute économique, ses gravures lui assurant un revenu régulier puisqu’il collabore à de nombreux journaux et revues. Des frontispices, des culs-de-lampe, des portraits d’écrivains, d’artistes et de célébrités lui sont commandés par Le Rire, Le Courrier français, Le Mercure de France, La Revue des revues, Le Cri de Paris ou L’Assiette au beurre, il devient même le principal illustrateur de La Revue Blanche des frères Natanson. Mais au-delà des raisons alimentaires, Vallotton aime exercer la gravure et encore plus particulièrement la xylogravure à laquelle l’a initié Charles Maurin (1856-1914). Il s’empare de la technique et l’assimile. Il taille et tire lui-même ses bois ce qui lui assure le contrôle de tous les facteurs de variation qui entrent en jeu lors de l’impression (encrage, pression, type de papier…). Outre cette pleine maîtrise, Vallotton contribue à un véritable renouveau stylistique de la gravure sur bois. Ce « néo-xylographe », comme le qualifie Octave Uzanne (1851-1931) dans un article de L’Art et l’idée paru en 1892, inspirera jusqu’aux auteurs de bandes dessinées du XXIème siècle.
Félix Vallotton, Le Bon Marché, gravure sur bois, 1893, Bibliothèque de l’INHA, EM VALLOTTON 7. Cliché INHA
Son style personnel et singulier trouve sa source dans les estampes japonaises qu’il collectionne. Il creuse la planche avec un simple couteau dans le sens du bois, technique employée par les maîtres nippons auxquels il emprunte également la simplification de la forme et la thématique de la vie quotidienne. Vallotton puise également son inspiration dans la photographie (qu’il pratique en amateur) notamment pour ses cadrages et points de vue originaux. Il n’est pas rare qu’il supprime la ligne d’horizon, ramenant les personnages dans un plan frontal ou en légère plongée, il donne ainsi l’illusion au spectateur de participer à la scène.
Le fort contraste entre ses noirs profonds veloutés et ses blancs purs crée des formes géométriques et synthétiques, des silhouettes découpées et dynamiques. La xylogravure lui permet d’exprimer ses convictions stylistiques mêlant réalisme et expression symbolique, elle sied à son esprit concis et mordant et lui offre la possibilité d’un traitement engagé de l’actualité et de la question sociale. Il n’hésite pas à livrer ses partis pris et positions de sympathisant anarchiste ou de dreyfusard. Il met son art au service des causes qu’il entend défendre par l’intermédiaire d’images « coup de poing ». Son œil de dessinateur de presse saisit l’instant et ses bois restituent la réalité sans détours, une vérité tranchante.
Félix Vallotton, Crimes et châtiments, L’Assiette au Beurre : Salue d’abord, c’est l’auto de la préfecture – Une heure dix… Monsieur vous ne faites plus partie de la maison !, lithographies en couleurs, 1902, Bibliothèque de l’INHA, EM VALLOTTON 21 et EM VALLOTTON 30. Clichés INHA
L’hebdomadaire satirique à tendance anarchiste, L’Assiette au beurre, lui confie un numéro spécial qui paraît le 1er mars 1902. Intitulé Crimes et Châtiments il se compose d’une vingtaine de planches pleine page en couleurs uniquement légendées de quelques mots imitant l’écriture manuscrite. Il s’agit là de lithographies mais Vallotton conserve son trait percutant pour mieux dénoncer les travers d’une société où les « petits chefs » abusent de leur pouvoir et le moindre larcin est sanctionné par un lourd châtiment. Face aux violences sociales et policières, il affiche ses convictions et choisit clairement son camp, celui des opprimés, des « voleurs de pomme », des cancres, des minorités, des « petites gens » …
L’entrée dans le XXe siècle marque un tournant dans sa vie personnelle et professionnelle. En 1899, il épouse Gabrielle Bernheim (1881-1941), fille du grand marchand de tableaux Alexandre Bernheim (1839-1915) et, français d’adoption et de cœur, il obtient la double nationalité. Vallotton réoriente également sa carrière pour se consacrer à sa vocation première : la peinture, mais une peinture nourrie de son expérience de graveur qui lui a permis d’affirmer son esprit indépendant et sa liberté de créateur. Il revient à la gravure sur bois en 1915-1916 pour C’est la guerre une suite de six gravures sur bois, le tout rangé dans une chemise maculée de projections d’encre rouge symbolisant les tâches de sang versé. Ces images à la fois terribles et stylisées des atrocités commises prouvent qu’il n’a rien perdu de son talent de xylographe que, dès 1898, son biographe Julius Meier-Graefe (1867-1935) reconnaissait ainsi : « Vallotton a tant fait pour la gravure sur bois qu’il pourrait de gaieté de cœur renoncer à l’ambition de compter aussi comme peintre ».
EN SAVOIR PLUS
- Bibliographie sélective sur le site de la Fondation Félix Vallotton
- Estampes de Félix Vallotton disponibles sur la Bibliothèque numérique de l’INHA
- Julius Meier-Graefe, Félix Vallotton : Biographie de cet artiste avec la partie la plus importante de son œuvre, Paris, E. Sagot, 1898
- Octave Uzanne, La Renaissance de la gravure sur bois : Un néo-xylographe, M. Félix Vallotton, L’Art et l’Idée, 1892, tome I, pp. 113-119
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire