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Une revue disciplinée : L’Information d’histoire de l’art (1957-1975)
Publiée de 1957 à 1975 et menée par André Chastel, L’Information d’histoire de l’art est une revue généralement moins connue que d’autres périodiques savants de la même époque. Derrière ce titre quelque peu austère se distingue pourtant un corpus de publications couvrant un large spectre d’approches et de domaines de l’histoire de l’art et de l’archéologie. Elle joua également un rôle déterminant dans l’intégration de ces disciplines au paysage scientifique et scolaire français. Ce billet revient sur ses orientations et objectifs.
Éditée par J.-B. Baillère & fils, L’Information d’histoire de l’art (IHA) est une revue illustrée publiée entre 1957 et 1975, à raison d’une parution tous les deux mois en période scolaire – soit 5 numéros par an. L’ensemble comprend environ 100 numéros répartis en 20 volumes reliés de 200 à 250 pages chacun. Diffusée au préalable sous le titre L’Information culturelle et artistique (1955-1957) sous la direction de l’enseignant et homme de culture Jacques Feydy, ce n’est qu’à partir de sa livraison de mars 1957 que le périodique adopte son nouvel intitulé et voit l’historien de l’art André Chastel intégrer son comité de rédaction. Cette réorientation est concomitante à l’établissement des statuts de l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU) en octobre 1956, dont la revue s’annonce immédiatement partenaire et diffuse régulièrement les rapports d’activité.
Au-delà de propager des savoirs spécialisés à l’usage du public universitaire, l’organe devait servir de terrain de réflexion sur la place encore déficiente de l’histoire de l’art dans les universités françaises et l’enseignement secondaire. Elle se distingue ainsi par un double rôle de propagation du discours savant et d’espace d’échange sur l’état et la pratique d’une discipline à l’échelle nationale comme internationale. Sobre d’apparence, la revue voit sa couverture illustrée pour sa première année d’existence par un dessin de l’artiste Robert Couturier, élève de Maillol et professeur à l’École des arts décoratifs. Il figure en traits stylisés une sculptrice en train de disposer une œuvre sur un socle évoquant une colonne antique.
Illustration de Robert Couturier pour la couverture de L’Information d’histoire de l’art, vol. 2, nos 3-4, mai-octobre 1957. Paris, bibliothèque de l’INHA, 445 U 2. Cliché INHA.
De Vasari à IBM : un panorama disciplinaire
Au moment de sa création, les sommaires de l’IHA se découpent généralement en grandes catégories d’articles – entre 3 et 8 par numéro. Des « Études », abordant des thématiques spécialisées et censées tenir compte des actualités immédiates de la recherche en histoire de l’art, des « Notes et documents » portant sur des sources précises, ainsi qu’une bibliographie commentée ou non, agrémentée par la suite de chroniques, de recensions critiques, de rubriques nécrologiques, de commentaires sur des expositions en cours et autres comptes rendus de congrès.
De longueur variable, les articles scientifiques sont généralement accompagnés d’illustrations en noir et blanc. Si de nombreuses études traitent des périodes médiévale et moderne, la revue couvre un très vaste territoire disciplinaire allant de la préhistoire, l’archéologie des mondes antiques aux arts les plus contemporains (les Biennales de Paris, par exemple, sont le sujet de chroniques régulières). Une très grande multiplicité de médiums est représentée – des arts décoratifs à l’architecture et l’urbanisme en passant par l’art pariétal, les beaux-arts de toutes les périodes, ou encore le film (fig. 2). L’intégralité des articles de la revue a fait l’objet d’un catalogage accessible sur le portail Kubikat.
Majoritairement francophones, les auteurs comprennent cependant des personnalités internationales clés de la discipline de l’histoire de l’art au XXe siècle. On y croise les noms de Jean Seznec, Louis Grodecki, Ernst Gombrich, André Leroi-Gourhan, Max J. Friedländer, Roberto Longhi, mais aussi d’André Chastel lui-même, de Jacques Thuillier, Françoise Cachin, Terukazu Akiyama, Antoine Schnapper, Bruno Foucart, Bernard Dorival, Enrico Castelnuovo, ou encore Pierre Vaisse, Pierre Rosenberg, Thomas W. Gaehtgens, Andreï Nakov, Jean-Paul Bouillon, Michel Laclotte, Roland Recht, Henri Zerner, Thérèse Burollet, et d’autres. Un certain nombre des noms rencontrés dans les sommaires de l’IHA étaient des jeunes espoirs, disciples ou étudiants de Chastel et Grodecki.
En publiant, parallèlement aux travaux français, des textes inédits (ou de premières traductions d’articles) de grandes figures internationales, la revue entend dynamiser les débats méthodologiques et favoriser les croisements de traditions académiques. On compte parmi les textes les plus notables celui d’Erwin Panofsky sur « L’histoire de l’art et les disciplines “humanistes” », rendu accessible au lectorat francophone peu après sa première parution américaine. Ce texte déterminant défend l’intégration définitive de la discipline au rang des sciences humaines, et se donne pour mission première l’intention de révéler l’histoire de l’esprit humain à travers les objets.
Suivant cette volonté d’exploration du rôle et des potentiels de la discipline, l’IHA publie peu après sa parution originale une traduction d’un essai historiographique de Kenneth Clark, « Le développement de l’histoire de l’art » (fig. 3). En déployant l’éventail des grandes écoles méthodologiques ayant orienté la discipline depuis son « commencement » à la Renaissance jusqu’à l’iconologie warburgienne (qu’il ne manque pas d’étriller en raison de son détachement jugé excessif des objets), le savant britannique conclue sur la nécessité d’une double orientation de l’histoire de l’art vers le monde « interne » des formes et vers la relation de ces dernières à la vie. Enfin, la traduction d’un texte de Rudolf Wittkower soulignant « L’importance du musée universitaire dans la seconde moitié du XXe siècle » peut aussi être mentionnée. Défendant la nécessité d’un contact sensible et rapproché entre les collections et les étudiantes et étudiants, l’article expose en bout de course une mise en garde contre l’informatisation grandissante de la pratique des sciences humaines. L’auteur y juge l’intervention de la « machine I.B.M. dans ce qui relève de l’esprit » comme une « catastrophe », avant de poursuivre : « Comment peut-on mesurer les impondérables, les plus subtiles harmoniques culturelles, l’intuition historique, les impressions que l’on ressent et la compréhension, éléments formateurs qui aident à éduquer l’esprit de la jeunesse ? » Le partage de ce point de vue n’empêche nullement la revue d’aborder de front l’impact des outils informatiques sur la recherche, notamment par une publication de Jean-Claude Gardin, pionnier dans son domaine de l’usage de cartes perforées et d’ordinateurs dans le traitement de la documentation archéologique.
Mise en place de l’histoire de l’art
Orientée vers la recherche fondamentale et les savoirs spécialisés, mais aussi vers des aspects plus concrets relatifs à l’enseignement et la pédagogie, l’IHA mène une veille permanente sur la situation de l’archéologie et de l’histoire de l’art dans les institutions françaises et internationales. Elle affirme plus nettement encore son rôle d’observatoire de la « professionnalisation » de la discipline dans le contexte des grandes réformes entourant le moment 1968. L’IHA publie ainsi l’année qui suit le compte rendu de séances de travail de la Commission d’étude de l’enseignement d’archéologie et d’histoire de l’art à Poitiers, où siégeaient entre autres Chastel, Grodecki ou encore Roland Recht. Constituée de savants, cette assemblée était chargée de faire remonter aux ministères concernés une série de réflexions destinée à améliorer l’assise de l’histoire de l’art dans le paysage scolaire et scientifique national.
Signe de cette attention à la jeune recherche, l’IHA accorde parallèlement une place importante aux résultats de travaux d’étudiants en maîtrise ou en doctorat, tandis que des répertoires de mémoires et de thèses soutenues ou en cours y sont établis et publiés. Enfin, des bibliographies sont régulièrement compilées pour consolider les savoirs sur l’art et les images des candidats à l’agrégation d’histoire. Ainsi, André Chastel met à leur disposition, dans une livraison de 1959, une vaste sélection de références sur les arts de Flandre et de Hollande aux XVIe et XVIIe siècles. Un exercice bibliographique auquel se plie également Jacques Thuillier, qui profite également de la revue pour publier, en 1975, ses minutieux « Conseils pour la rédaction des mémoires de maîtrise et thèses du IIIe cycle en histoire de l’art moderne et contemporain ».
La revue sert également de tribune de critique d’art pour de jeunes chercheurs, tandis que certains numéros sont entièrement confiés à des instituts régionaux afin de leur offrir une meilleure visibilité. Au début des années 1970, la revue s’entoure d’un comité figurant un représentant de chaque grand foyer d’histoire de l’art des universités hexagonales. Elle consacre ainsi entièrement son numéro de 1973 à l’université de Lyon II, à la structure de son département d’archéologie et d’histoire de l’art, et offre tribune à certains travaux qui y étaient alors menés.
Par la scientificité et la qualité de son contenu, mais aussi en raison de son rôle de veille active sur le développement de la discipline de l’histoire de l’art, l’IHA est une publication d’un intérêt évident, dont la revue Histoire de l’art, sous l’égide de l’APAHAU depuis 1988, perpétue l’esprit prospectif. Signe de l’engagement permanent d’André Chastel dans le développement et la coordination de périodiques (fig. 5), elle a également marqué un moment de passation entre deux générations de savants et offert un espace d’expression à de nombreux jeunes intellectuels en formation, dont l’empreinte sur la discipline a été déterminante dans le dernier tiers du XXe siècle. Elle est consultable à la bibliothèque de l’INHA, dont l’histoire est d’ailleurs retracée par son ancienne directrice, Suzanne Damiron, dans une livraison de 1955.
Victor Claass, département des Études et de la recherche
Pour aller plus loin
L’Information culturelle et artistique puis L’Information d’histoire de l’art est disponible dans les collections de la bibliothèque de l’INHA (cote : 445 U 2).
Fonds André Chastel, bibliothèque de l’INHA, Archives 90.
Fonds Jacques Thuillier, bibliothèque de l’INHA, Archives 51.