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Un autoportrait gravé d’Edgar Degas
Parmi les trésors du cabinet d’estampes modernes constitué par Jacques Doucet pour la Bibliothèque d’art et d’archéologie, l’INHA conserve aujourd’hui deux épreuves d’un très rare autoportrait de Degas. Il s’agit de l’une des premières gravures de l’artiste. Nous ne sommes qu’en 1857 et déjà, Degas produit un chef-d’œuvre qui annonce tout ce qu’il va apporter à l’estampe de son temps.
Premières estampes : l’influence de Rembrandt
L’œuvre nous livre le portrait d’un jeune artiste de 23 ans, encore hésitant et qui, quatre ans plus tôt, a renoncé aux études de droit auxquelles il était destiné. Dans les premières années de sa formation artistique, il questionne à plusieurs reprises son image dans divers autoportraits dessinés ou peints. L’autoportrait gravé de 1857, réalisé pendant son séjour italien (1856-1859) est le seul dans ce médium.
Edgar Degas, Autoportrait, eau-forte, 1857, quatrième état, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EM Degas 18 b. Cliché INHA
Un dessin préparatoire de ce portrait, très proche de l’estampe, est conservé au Metropolitan Museum de New York. L’artiste s’y présente à mi-corps, de trois quarts, à contre-jour, le visage dans l’ombre.
Edgar Degas, Autoportait, crayon noir et craie blanche, 1857, Metropolitan Museum New York (inv. 1972.118.207).
La composition comme le rendu doivent beaucoup à l’influence de Rembrandt, que Degas étudie tout particulièrement lors de son séjour italien. Il a découvert le maître de l’estampe hollandaise auprès du prince roumain Soutzo, un ami de son père, collectionneur d’estampes. À plusieurs reprises, Degas copie par le dessin des estampes de Rembrandt, allant jusqu’à graver, en 1857, quelques mois avant la réalisation de l’autoportrait qui nous intéresse ici, une interprétation de l’estampe L’homme assis au béret de velours. C’est encore le modèle rembranesque qui l’inspire lorsqu’il réalise le portrait de son ami le graveur Joseph Tourny.
Edgar Degas, d’après Rembrandt, Jeune Homme assis au béret de velours, eau-forte, 1857, Metropolitan Museum New York (inv. 1977.500)
Degas et l’eau-forte
Fort de ces premières expériences dans l’eau-forte, une technique qui l’attire depuis 1853, Degas se lance dans ce qui sera sa première estampe majeure. Pour cela, il choisit un cuivre un peu plus grand que ceux qu’il a jusqu’ici gravés, et trace, sur le vernis, un motif très dessiné, dont les ombres sont rendues par un réseau de tailles et contre-tailles. Mais l’artiste est encore assez peu expérimenté et tâtonne dans l’opération de morsure. Le premier état étant trop faible, Degas remord sa planche, non sans l’avoir légèrement modifiée. Mais au sortir du bain d’acide, le cuivre accuse de petits accidents, notamment sur les bords de l’image gravée.
Malgré les ratés, et là où bien d’autres auraient abandonné leur matrice, Degas persévère. Il passe outre l’accident, et l’exploite comme un élément de création. Mais la troisième morsure est plus catastrophique encore : l’acide a mordu des zones trop faiblement protégées par le vernis. Degas tire néanmoins quelques épreuves de cet état, dans lesquelles il varie les encrages et l’essuyage pour obtenir de beaux effets qui évoquent le lavis. Ultérieurement, Degas s’attaquera à nouveau à la matrice pour produire un quatrième et ultime état(quatre selon Shapiro, cinq selon d’autres spécialistes) : patiemment, il polit au brunissoir le fond de l’image, gommant les morsures accidentelles de l’acide.
Cette manière de procéder, le goût pour l’expérimentation et la cuisine de l’eau-forte, annoncent tout ce qui caractérisera la gravure de Degas, que l’artiste pratiquera épisodiquement, mais intensément, à plusieurs moments de sa vie. Les tirages monotypés du troisième état préfigurent aussi les nombreux monotypes produits ultérieurement.
Edgar Degas, Autoportrait, eau-forte, 1857, troisième état, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EM DEGAS 18 a. Cliché INHA
Malgré les accidents, Degas gardera un attachement particulier à cette estampe, et notamment au troisième état, qui fut tiré à quelques exemplaires et distribué à des proches. L’épreuve de l’INHAa appartenu au critique d’art Philippe Burty, acteur majeur de la reconnaissance de l’estampe comme objet d’art dans la seconde moitié du XIXe siècle. Jacques Doucet s’en est porté acquéreur en 1911 alors qu’il constituait le cabinet d’estampes modernes de la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Le couturier admirait profondément l’œuvre de Degas, dont il acquit également des peintures et dessins pour sa collection personnelle.
Bien que diffusées auprès de quelques proches, les épreuves du troisième état de l’autoportrait restent rares : dans le catalogue de l’œuvre gravé de Degas établi en 1984 par Sue Welsh Red et Barbara Stern Shapiro, seuls sept exemplaires sont recensés, dont un seul conservé en France : il s’agit de l’épreuve de l’INHA.
En savoir plus
- Jean Adhémar et Françoise Cachin, Degas, gravures et monotypes, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1973 ;
- Sue Welsh Reed et Barbara Stern Shapiro, Edgar Degas, The Painter as Printmaker, Boston, Little Brown, 1984, n° 8 ;
- Degas en blanc et noir, le jour et la nuit, catalogue d’exposition, Avignon, Fondation Angladon-Dubrujeaud, 2002 ;
- Michel Melot, L’estampe impressionniste, Paris, Flammarion, 1994.
- Degas, catalogue d’exposition, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1988.
Johanna Daniel, service du patrimoine