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Ouvrier ou artiste, copiste ou créateur ? Gabriel Huquier, un graveur typique du XVIIIe siècle
Mis à jour le 11 avril 2019
Les trésors de l'INHA
Auteur : Élodie Desserle
Chaque mois, la Bibliothèque numérique s’enrichit de documents d’époques et de styles très variés. Le XVIIIe siècle est aujourd’hui à l’honneur avec des recueils de gravuresqui réunissent deux grands noms de la période : Gabriel Huquier (1695-1772) et François Boucher (1703-1770).
Au siècle des Lumières, le commerce de l’estampe est particulièrement florissant et Gabriel Huquier, originaire d’Orléans, compte parmi les principaux marchands parisiens. Plus qu’un simple commerçant, il est en réalité à la fois graveur, imprimeur, éditeur et vendeur, activités complémentaires qui lui permettent d’alimenter lui-même le fonds de sa boutique. Les contours de sa formation restent flous. Dans la préface du catalogue de sa vente après décès, François Charles Joullain (1734?-1790) fait remonter son attrait pour l’art à « sa plus tendre enfance » et explique que cet homme de goût, amateur éclairé et collectionneur, « ne trouva pas de plus sûr moyen pour se former un cabinet que d’embrasser le commerce de cette même curiosité pour laquelle il avoit tant d’ardeur ». La frontière semble poreuse entre sa collection personnelle et son fonds de commerce, sans doute au gré des opportunités marchandes.
Arrivé à Paris, il installe son enseigne « Aux Armes d’Angleterre » entre le mois d’avril 1729 et la fin de 1731, « vis-à-vis de la grille du Grand Châtelet ». En 1738, il rejoint la rue Saint-Jacques, dans le quartier de l’Université, où se concentrent la majorité des libraires-imprimeurs. Une dizaine d’années plus tard, il s’établit à quelques pâtés de maisons, rue des Mathurins (devenue rue Du Sommerard). Pendant ses quarante années d’activités, sa production est abondante mais la chronologie de son œuvre gravé est difficile à établir puisque les planches ne portent que rarement une date. Seules les adresses mentionnées sur les gravures permettent de connaître l’année approximative de création. Toutefois, certaines pièces peuvent être datées de façon plus certaine grâce aux revues annonçant les parutions telles que le Mercure de France (nommé ainsi en référence au dieu messager) ou l’Avant-coureur : feuille hebdomadaire, où sont annoncés les objets particuliers des sciences & des arts, le cours & les nouveautés des spectacles, & les livres nouveaux en tout genre.
Les sujets qu’Huquier choisit de représenter sont éclectiques. Il fait sa spécialité de la reproduction de dessins, esquisses et croquis d’artistes vivants ou tout juste décédés. Ainsi, lorsque le collectionneur Jean de Jullienne (1686-1766) entreprend de rendre hommage à son ami Antoine Watteau (1684-1721) trop tôt disparu, il fait appel aux services des meilleurs graveurs du temps, dont Huquier. Jusqu’en 1735, Huquier se consacre presque exclusivement au Recueil Jullienne pour lequel il grave plus de cinquante planches. Est-ce à cette occasion qu’il fit la connaissance de François Boucher ? Cela semble fort probable.
En effet, le jeune Boucher participe aussi à l’aventure. Avant de devenir le peintre prolifique reçu à l’Académie Royale de peinture et de sculpture en 1731, il a en effet débuté comme illustrateur chez le marchand d’estampes Jean-François Cars (1661-1738). Jullienne lui commande une partie des eaux-fortes qui composent les Figures de différents caractères d’Antoine Watteau ; mission remplie avec brio, comme le souligne Pierre-Jean Mariette (1694-1774) dans son Abecedario : « M. de Julienne, qui, voulant faire graver les desseins de Watteau, en distribua plusieurs à Boucher, qui s’en acquitta parfaitement bien. Sa pointe légère et spirituelle sembloit faite pour ce travail. M. de Julienne lui donnoit 24 livres par jour, et tous deux étoient contents, car Boucher étoit fort expéditif, et la gravure n’étoit pour lui qu’un jeu ».
Gabriel Huquier, Recueil de fontaines Inventées par F. Boucher, 1736, eau-forte, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, FOL RES 9. Cliché INHA
En 1734, Huquier et Boucher débutent une collaboration qui aboutit à la publication de plus de quatre-vingts gravures. Leur première estampe représente Andromède, sous laquelle figure la mention : « inventé et gravé à l’eau forte par F. Boucher, terminé par P. Aveline, a Paris chez Huquier vis a vis le Grand Chatelet ». C’est alors l’apogée du style rocaille, né entre les années 1720 et 1730. Huquier se délecte de ces compositions asymétriques et exubérantes qui requièrent un maniement délicat de la pointe et une utilisation habile de l’eau-forte. Le Livre de fontaines , « d’une très-élegante composition » selon Le Mercure de France d’avril 1736, en est le parfait exemple.
Après 1750, le goût français évolue. Pour satisfaire les exigences de sa clientèle, Huquier doit se plier aux nouvelles tendances ; il élargit son choix de modèles aux pastorales et aux chinoiseries. Le Livre d’écrans par François Boucher peintre du roy adopte un thème bucolique mais répond également à la mode de la découpure, pratique ludique en vogue au XVIIIe siècle : ses douze planches du recueil sont destinées à être montées dos à dos sur une petite tige (de bois, d’os ou d’ivoire) afin de façonner des écrans à main. Accessoires des appartements bourgeois et aristocratiques, les écrans à main prenaient place près des cheminées et restaient à disposition de personnes assises près du feu afin de protéger leur peau des escarbilles. Sur les planches impaires de l’ouvrage, des pastorales de Boucher ont été gravées par Jean-Baptiste Le Prince (1734-1781) ou Jacques Gabriel Huquier (1730-1805), fils de Gabriel. Les bordures rocaille sont de la composition de Gabriel Huquier, tout comme les planches paires. Ces illustrations dessinées au revers par Huquier font écho aux thèmes abordés par Boucher : houlette et chien au verso de la bergère, chapeau à larges bords et bourdon au verso de la pèlerine de Compostelle, râteau, pelle et arrosoir au verso de la jardinière…
Gabriel Huquier , Livre d’écrans par François Boucher, [Vers 1737-1760], eau-forte, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, FOL EST 561. Cliché INHA
Si Huquier pratiquait l’encadrement et n’hésitait pas à intégrer ses propres inventions aux dessins d’autres artistes, les ajouts d’éléments décoratifs qu’il faisait de sa main étaient toujours pensés dans un souci d’harmonie avec le motif original.
Personnage de premier plan quant à la diffusion des styles et des œuvres de ses contemporains, Gabriel Huquier savait reproduire à la perfection, mais aussi interpréter et compléter les compositions d’autrui. Des qualités reconnues dès avril 1737 par le Mercure de France : « parmi les graveurs au burin et à l’eau forte et les marchands, nul ne fait paroître tant d’estampes nouvelles en tout genre, que le sieur Huquier ; il en grave lui-même avec intelligence et en fait un grand commerce ».
Références bibliographiques
- Yves Bruand, « Un grand collectionneur, marchand et graveur du XVIIIe siècle, Gabriel Huquier (1695-1772) », Gazette des Beaux-Arts, 37bis (juillet-septembre 1950), p. 99-114
- Melissa Lee Hyde et Mark Ledbury, Rethinking Boucher, Los Angeles, Getty Research Institute, 2006
- Nathalie Rizzoni, « Des objets d’art en carton : les écrans à main du XVIIIe siècle », L’estampille, l’objet d’art, 491 (juin 2013), p. 66-71
- Michaël Decrossas et Lucie Fléjou, Ornements : XVe-XIXe siècles : chefs-d’œuvre de la Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Paris, Mare & Martin, 2014
Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire