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Notre-Dame de Paris
Mis à jour le 17 avril 2020
Les trésors de l'INHA
Auteur : Nathalie Muller
En publiant Notre-Dame de Paris en 1831, Victor Hugo, qui s’intéresse au Moyen Âge comme tous les romantiques, focalise à nouveau la curiosité et l’enthousiasme publics pour la cathédrale, au moment même où des actes de vandalisme la mutilent et ruinent totalement l’archevêché. Celle-ci connaît alors les pires épreuves de son histoire et reste durant plusieurs années dans un état de délabrement indigne de son rôle national et religieux. Pourtant l’édifice jouissait d’une aura certaine depuis ses origines, et le fonds d’estampes de la bibliothèque de l’INHA témoigne de cette présence impérieuse : présence physique dans la Cité, exacerbée par sa taille ; présence sacrée à l’usage du haut clergé, présence imposante par sa symbolique du pouvoir et jalon essentiel dans l’histoire de l’art.
L’histoire de Notre-Dame de Paris est intimement liée à l’histoire de France. C’est sur une île, inaccessible à l’ennemi, que Lutèce est érigée : l’île de la Cité. Au Ve siècle, Clovis, roi franc, converti au christianisme, puis son fils Childebert, érigent Paris en capitale. Ils y font bâtir un complexe religieux comprenant la cathédrale Saint-Étienne (dont on a retrouvé des vestiges sous l’actuel parvis lors des restaurations de la cathédrale au XIXe siècle), un baptistère (qui deviendra l’église Saint-Jean-le-Rond, accolée au mur gauche de la nef et présente sur le plan de Turgotet l’église Sainte-Marie.
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, Maurice de Sully, évêque de Paris, décide de réorganiser cet ensemble en s’inspirant de l’architecture innovée par l’abbé Suger à l’abbaye de Saint-Denis.
L’île de la Cité abrite déjà les bâtiments symboles du pouvoir royal : le palais de la Cité ainsi que l’Hôtel-Dieu au sud. Entre ces deux pôles se serrent commerces, maisons d’habitation et petites églises. Notre-Dame sera le plus vaste monument religieux du monde occidental jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Son style servira de modèle en France et en Europe avant de tomber en désuétude à la Renaissance. Les Italiens renommeront alors ce style français avec la désignation péjorative de « gothique », art des Goths.
La cathédrale subit de nombreuses mutilations au cours des siècles et notamment celle du portail central de la façade occidentale, dont les linteaux et le tympan sont percés en 1771 d’un grand arc par Jacques-Germain Soufflot (1713-1780), chargé d’adapter la porte aux nouveaux usages liturgiques processionnels. Fragilisée par les intempéries, la première flèche, édifiée vers 1220-1230, est démantelée entre 1786 et 1792.
Les événements les plus radicaux datent de la Révolution française, au cours de laquelle de nombreuses statues sont mutilées, particulièrement celles de la galerie des Rois, mises à bas sur le parvis de la cathédrale en 1793. À la fin du XVIIIe siècle, la cathédrale avait un système de dix cloches en harmonie parfaite, accordées entre elles et sur le bourdon Emmanuel. Pendant la Révolution, ces cloches, hormis l’Emmanuel, sont fondues pour faire des canons. Ce n’est que le 23 mars 2013 que résonna de nouveau cet ensemble, recréé à l’occasion du jubilé des 850 ans de Notre-Dame. Le palais épiscopal, quant à lui, est détruit lors de la révolution de 1830.
Animé d’une nostalgie pour le Paris du Moyen Âge, Hugo profite du succès de son roman pour dénoncer l’état dans lequel se trouve Notre-Dame. Pour lui, c’était mieux avant.
« Si nous avions le loisir d’examiner une à une avec le lecteur les diverses traces de destructions imprimées à l’antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l’art », écrit-il dans les premières lignes du livre III. Il dresse une diatribe contre la Renaissance, et regrette les onze marches qui, jadis, exhaussaient la cathédrale au-dessus du sol. Il peste aussi contre la disparition de la série des vingt-huit statues qui garnissaient la façade. « Cet art magnifique que les Vandales avaient produit, les académiciens l’ont tué », conclut-il.
Dans les années qui suivent la publication du roman, l’art gothique est réhabilité. Dès 1844, une restauration générale de la cathédrale est entreprise sous la direction des architectes Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc. Ce dernier s’autorise des adjonctions car il pense que « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Ainsi, la galerie des Rois de Juda est rétablie, le tympan du Jugement dernier récréé. Mais Viollet-le-Duc réinvente aussi son propre Moyen Âge en créant notamment tout un bestiaire de chimères et de gargouilles. Il crée 54 « bêtes », parmi lesquels le Stryge, nommé par référence aux démons ailés mi-femme, mi-oiseau de l’Antiquité grecque plusieurs fois cités par le roman de Victor Hugo, qui devient une figure emblématique de la cathédrale.
Restée sans flèche durant plus d’un demi-siècle, la cathédrale en reçoit une nouvelle, inaugurée en août 1859 par Viollet-le-Duc.
Viollet-le-Duc crée aussi une sacristie pour abriter le trésor, un écrin pour les reliques de saint Louis et une chapelle pour la Couronne d’épines. Enfin, il accomplit encore un vœu de Victor Hugo en replaçant les vitraux colorés que des chanoines, se plaignant de l’obscurité dans la cathédrale, avaient remplacés en 1756 par du verre blanc.
Depuis l’incendie de Notre-Dame, en avril 2019, et la nécessité d’une nouvelle restauration, plusieurs groupes de recherche se sont formés pour analyser, notamment, les matériaux employés. Les rosaces n’avaient jamais été étudiées de près ; leur restauration permettra donc une meilleure connaissance de leur élaboration. De nouvelles prospectives géophysiques devraient permettre d’affiner la cartographie des structures de pierre enfouies sous la cathédrale et d’offrir une vision plus précise de l’aspect du site en 1160, à l’aube du chantier.
Grâce aux technologies nouvelles, la connaissance de l’architecture et de la structure interne des cathédrales sera renouvelée. Avec Andrew Tallon, spécialiste de la représentation virtuelle des cathédrales et professeur d’histoire de l’art et d’architecture médiévale au Vassar College (New York, États-Unis), l’histoire de leur restauration et la représentation virtuelle des espaces est dévoilée grâce, notamment, aux techniques du laser. A. Tallon a publié de nombreux articles et travaille actuellement sur un livre, The Structure of Gothic. Il est codirigeant du projet « Mapping Gothic France ».
Nathalie Muller, service du Patrimoine