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Napoléon III, empereur archéologue ?
Napoléon III, empereur archéologue ?
Initialement programmée du 28 mars au 15 juillet 2020, l’exposition D’Alésia à Rome, l’aventure archéologique de Napoléon III se tiendra finalement au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye du 19 septembre 2020 au 3 janvier 2021.
Dernier souverain français, Napoléon III reprit à son compte toutes les vieilles lunes de la France et de ses dynasties : son mythe fondateur, désormais fixé à la rencontre tragique, mais glorieuse, entre Vercingétorix et Jules César ; le rêve impérial, remontant à Charlemagne ; le rêve italien, remontant au XVe siècle et aux guerres d’Italie. Napoléon III avait en outre une passion pour l’archéologie, science nouvelle qui permettait de matérialiser le passé et, plus prosaïquement, de vérifier l’exactitude des sources littéraires. Aussi se lança-t-il, à partir de 1861, dans un programme de fouilles sans précédent : Alésia, Gergovie, le Palatin à Rome, pour ne citer que les plus emblématiques. En achetant en 1861 les jardins Farnèse au roi de Naples, François II, Napoléon III mit le pied sur le Palatin, « palais des Césars », comme on l’appelait alors, établissant un lien direct entre sa personne et les empereurs romains.
L’exposition du musée d’Archéologie nationale, fondé par l’Empereur en 1867, illustre parfaitement la part grandissante de l’archéologie dans la fabrique des mythes nationaux dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Elle montre également l’essor parallèle, puissant, de la photographie comme auxiliaire de l’archéologie : la photographie livre désormais des instantanés exacts, irréfutables et impérissables, des vestiges que la fouille détruit irrémédiablement.
Pour cette exposition, la bibliothèque a prêté trois tirages photographiques et un volume de la collection Parker. D’autres photographies de la bibliothèque sont reproduites dans le catalogue. Celle-ci conserve en effet plusieurs ensembles photographiques relatifs aux fouilles du Palatin.
Collection John Henry Parker, n° 2230, Palatine, Palace of the Cæsars — View of the Basilica called Jovis by Signor Rosa, 1868-1873, épreuve photographique sur papier albuminé. Paris, bibliothèque de l’INHA, 4 Phot 2 (17). Cliché INHA
La bibliothèque possède un exemplaire complet de la « collection Parker » (4 Phot 2). John Henry Parker (1806-1884), libraire à Oxford puis directeur de l’Ashmolean Museum à partir de 1870, se rendit à Rome durant l’hiver 1864-1865 pour raisons de santé. Il forma alors le projet de documenter par la photographie les ruines de la Rome antique et l’architecture ancienne de Rome et de ses environs. Constituée jusqu’en 1877 avec l’aide d’un petit groupe de photographes, la collection comprenait quelque 3 400 images à partir desquelles Parker publia une Archaeology of Rome illustrée en 13 volumes (1874-1883) et un catalogue publié en 1879. L’exemplaire de l’INHA, entièrement disponible sur la bibliothèque numérique, contient 4 715 épreuves réparties en 36 albums. Il provient probablement du photographe Pompeo Molins, dépositaire des plaques de la collection au début des années 1880, et fut acquis en 1913. La collection Parker rend un compte minutieux de toutes les fouilles qui se déroulèrent à Rome pendant cette période, comme les fouilles très spectaculaires du Colisée et celles du Palatin.
Pietro Dovizielli (?), Peristylium appellatus Sicilia, tablinum – Palais des Césars, an[no] 1864 (Domus Flavia, péristyle appelé Sicile, tablinum), épreuve photographique sur papier albuminé. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 56. Cliché INHA
Lors de la préparation du transfert de la bibliothèque de l’INHA au sein de Richelieu, de la salle Ovale à la salle Labrouste, des photographies demeurées non traitées depuis les années 1910 ont été redécouvertes. Parmi elles, 45 photographies des fouilles du Palatin non reliées (Fol Phot 56), appartenant à plusieurs séries, datées d’entre 1862 et 1869, c’est-à-dire couvrant toute la période des fouilles napoléoniennes ; beaucoup portent le timbre sec de Pietro Dovizielli (1804-1885), photographe officiel des fouilles, d’autres des légendes au crayon, parfois datées au jour près, d’une main tantôt italienne, tantôt française. Les modalités d’entrée de ces photographies à la bibliothèque, certainement avant sa cession par Jacques Doucet à l’Université de Paris fin 1917, sont inconnues.
Pietro Dovizielli (?), Palais des Césars : principaux morceaux de sculpture trouvés dans les fouilles du mois de décembre 1867 au mois de mai 1868, Façade principale de la salle du Muséum, épreuve photographique sur papier albuminé. Paris, bibliothèque de l’INHA, Fol Phot 68. Cliché INHA
Enfin, la bibliothèque s’efforce de compléter ces ensembles par de nouvelles acquisitions. En 2013, elle acheta à la vente de photographies de l’Institut catholique de Paris un des albums produits à l’époque pour faire connaître le succès des fouilles du Palatin (Fol Phot 68). Intitulé Palais des Césars : principaux morceaux de sculpture trouvés dans les fouilles du mois de décembre 1867 au mois de mai 1868, celui-ci présente également, sous forme d’un panorama constitué de deux photographies assemblées, l’intérieur du « musée Palatin ». Ce musée avait ouvert dès mars 1863 à l’initiative de Pietro Rosa, responsable des fouilles, pour y exposer les plus belles découvertes. Il fut démoli en 1882 afin de poursuivre les excavations.
En 2019, la bibliothèque de l’INHA a également acheté deux grandes photographies, probablement par Dovizielli, représentant l’ensemble de la Domus Flavia dégagée par les fouilles impériales, dont les cartons de montage portent une intéressante annotation manuscrite : « Donné par le général Colson en mai 1869 ». Le général Colson était alors chef d’état-major de la division d’occupation à Rome (et fut tué quatorze mois plus tard dans le conflit franco-prussien) ; cette note témoigne que la publicité des fouilles passait aussi par les militaires.
Dès l’achèvement des fouilles, le site fut aménagé pour la visite. De grandes pancartes, bien visibles sur les photographies, nommaient en latin les bâtiments et les salles, citant à l’appui des textes antiques. Les abords du Palatin restèrent quant à eux relativement sauvages jusqu’aux aménagements de l’époque de Mussolini, comme l’atteste cette vue stéréoscopique prise par un visiteur dans les années 1900-1910 depuis la « promenade archéologique », à l’extrémité sud du Circus Maximus (fonds Collinet-Guérin) :
Collinet-Guérin (?), Rome. Palais des Césars vus de la promenade archéologique, vers 1910, épreuve photographique sur plaque de verre, bibliothèque de l’INHA, Plaques Phot 4, n° 136-2. Cliché INHA
Jérôme Delatour,
service du Patrimoine
En savoir plus
- Maria Antonietta Tomei, Scavi francesi sul Palatino : le indagini di Pietro Rosa per Napoleone III, 1861-1870, Rome, École française de Rome, Soprintendenza archeologica di Roma, 1999.
- Musée d’archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye, Yvelines), D’Alésia à Rome : L’aventure archéologique de Napoléon III, Paris, RMN-Grand Palais, 2020.