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Michel Roncerel, Six têtes de violon, taille douce, 2005
Tous les jours 20 ans !
Pour les 20 ans de la création de l’INHA, les agents et agentes de l’institut ont sélectionné des documents entrés dans les collections de la bibliothèque ces vingt dernières années et vers lesquels leur cœur les portait. Patrimoniaux ou plus courants, ces documents seront exposés au centre de la salle Labrouste tout au long du mois de janvier 2022, à raison d’un par jour, accompagné d’un texte écrit par la personne qui l’a choisi. Ces présentations reflètent les rapports personnels que nous entretenons toutes et tous à l’art, à son histoire et ses sources, au-delà de la dimension scientifique. Vous retrouverez également ces textes au fil des jours sur le blog de la bibliothèque.
Michel Roncerel (1946-2007)
Six têtes de violon, 2005
Burin, manière noire, pointe sèche, aquatinte, eau-forte et vernis mou sur vélin d’Arches
65,5 × 49,7 cm
INHA, EM RONCEREL 1
Don de la Société des amis de la Bibliothèque d’art et archéologie, 2005
Cette planche rassemble six impressions en taille douce représentant autant de techniques différentes. De haut en bas et de gauche à droite : burin, manière noire, pointe sèche, aquatinte, eau-forte, vernis mou, sur une même feuille de vélin d’Arches. C’est un exercice de virtuosité. Réalisée en 2005, et entrée dans les collections de la bibliothèque de l’INHA cette même année grâce à la Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, elle est l’œuvre de Michel Roncerel (1946-2007).
Peintre de formation, le Normand Roncerel se forma aux techniques de la taille-douce, dont il devait devenir un maître, d’abord à l’école des beaux-arts de Rouen, puis à Bonn où il passa de nombreuses années dans l’atelier du graveur Jörg Schulze (1940-1990), dont il fut massier de 1978 à 1990. Durant toute sa carrière, sans abandonner la peinture, il se consacra surtout à la taille-douce dont il loua toujours le caractère original : « On ne dessine pas, on ne pense pas sur un cuivre comme on dessine ou comme on pense sur une feuille de papier ou sur une toile » [1]. Chez Schulze, il s’initia à la manière noire, ou mezzotinte, procédé passé de mode depuis le XVIIIe siècle et que des graveurs comme Yozo Hamaguchi ou William Hayter venaient de redécouvrir. S’il n’abandonna jamais les autres formes de la taille-douce, à partir de 1989 la majeure partie de son œuvre fut dédiée à la manière noire.
Aux deux tiers il consacra cette œuvre à l’illustration d’écrivains contemporains. Actif dans le milieu littéraire dès les années soixante-dix avec le collectif du Ranelagh et des revues comme Ellébore (1979-1984), fondée, dans le sillage du surréalisme, par le poète Jean-Marc Debenedetti (1952-2009), Roncerel fonda avec ce dernier en 1992, dans son atelier de Vernon, les éditions Manière noire. Celles-ci publièrent une quarantaine de textes poétiques de Michel Butor, Bernard Noël, Paul-Louis Rossi, ou Jean-Pierre Faye, toujours composés au plomb par son épouse Monique. Quelques années avant sa mort, l’ensemble de ses livres illustrés fit l’objet d’une importante exposition, L’Empreinte et le miroir, au Carré d’art de Nîmes (2005).
Artiste savant, Roncerel constitua une bibliothèque spécialisée dans l’estampe et publia un article sur les traités de gravure [2], ainsi que des contributions techniques sur la manière noire. Il était donc naturel que la bibliothèque de l’INHA, particulièrement attentive depuis ses origines aux processus techniques, ait recours à ce virtuose.
Le cabinet d’estampes modernes de la bibliothèque de l’INHA, constitué en majeure partie entre 1906 et 1914, compte aujourd’hui plus de quatorze mille estampes en feuilles ainsi que de nombreux recueils. Son fondateur, le collectionneur et mécène Jacques Doucet (1853-1929), jugea nécessaire la présence d’un cabinet d’estampes dans sa Bibliothèque afin de retracer les progrès du médium et voulut former une collection qui comprenait l’ensemble de la production d’une époque pour en offrir une vision aussi fidèle que possible. Le cabinet se composait de deux entités autonomes dirigées par des personnes différentes : le cabinet des estampes anciennes et le cabinet des estampes modernes. Les estampes anciennes comprenaient à la fois une « collection documentaire sur les procédés de gravure, incunables de la gravure en couleurs, ornements, recueils de fêtes, entrées, funérailles, etc., ouvrages de topographie, traités d’architecture, spécimens de livres à figures de toutes les époques », tandis que les estampes modernes rassemblaient les « œuvres des principaux graveurs du XIXe siècle, œuvres des graveurs contemporains, français et étrangers, devant former le cabinet du XXe siècle, livres modernes illustrés par la gravure ». Dans les deux cas les feuilles volantes étaient associées aux ouvrages illustrés. La constitution du cabinet d’estampes modernes fut confiée à l’écrivain et critique d’art Clément-Janinen 1911.
Doucet avait à cœur d’encourager les jeunes artistes et de documenter leur processus créateur par l’acquisition non seulement d’épreuves définitives, mais également d’épreuves de travail, de dessins préparatoires, tirages d’essais, tirages intermédiaires pour les planches en plusieurs couleurs. Cette orientation originale de la bibliothèque guide encore de nos jours sa politique d’acquisition.
La Société des amis de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (SABAA) a été fondée le 10 juillet 1925 pour soutenir la bibliothèque que Jacques Doucet avait donnée, en 1918, à l’Université de Paris, et qui forme aujourd’hui la première composante de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art. Reconnue d’utilité publique en 1927, elle a rassemblé depuis cette date des spécialistes et des amateurs d’art désireux de soutenir la bibliothèque. Aujourd’hui encore, son action en faveur des collections précieuses de la bibliothèque est très importante : la SABAA finance non seulement des acquisitions prestigieuses, mais aussi des restaurations et des numérisations, tout en contribuant à une large diffusion des activités de la bibliothèque. C’est grâce à Daniel Morane (1932-2014), trésorier et secrétaire général de la Société de 1993 à 2013, collectionneur passionné d’estampes, que la feuille de Roncerel, dont il était l’ami, est entrée dans les collections de la bibliothèque (qui en possède par ailleurs vingt autres). Il l’avait commandée directement à l’artiste afin de l’utiliser comme support lors des séances de présentation des techniques de la gravure que les conservateurs de la bibliothèque étaient amenés à faire [3].
En 1758, dans la préface destinée à sa nouvelle édition du traité d’Abraham Bosse, Charles-Antoine Jombert oppose le burin des graveurs à l’eau-forte pure des peintres en ces termes : « La gravure au burin peut se comparer à une dame d’une taille et d’une beauté régulière… dont l’art et l’arrangement font valoir jusqu’aux moindres charmes… La gravure à l’eau-forte, au contraire, est une coquette jeune et charmante […] qui ne découvre qu’à propos ce qu’elle a de plus attrayant. ». Roncerel a su faire se côtoyer la grande dame et la coquette, plus quatre autres dames, et les faire dialoguer pour approfondir de façon charmante notre connaissance de la taille douce.
[1] Catherine Plassard, « Michel Roncerel et la manière noire », dans Art Point France, 27 août 2008 [en ligne].
[2] Michel Roncerel, « Traités de gravure », dans Nouvelles de l’estampe, no 194, mai-juin 2004, p. 19-27.
[3] Je remercie vivement Mme Dominique Morelon pour ces informations.
Ilaria Andreoli, département des Études et de la recherche
Bibliographie
Maxime Préaud, « L’atelier de Michel Roncerel, à Vernon », dans Nouvelles de l’estampe, no 241, 2012, p. 58-63, disponible en ligne.
Maxime Préaud, « Michel Roncerel (1946-2007), peintre, graveur et créateur de livres d’artistes », dans Nouvelles de l’estampe, no 217, mars-avril 2008, p. 39-42.