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Marie Taglioni à la pointe du romantisme
Progressivement mis en ligne sur la bibliothèque numérique, l’ensemble de dessins et gravures de théâtre conservés à la bibliothèque de l’INHA comporte un grand nombre de portraits d’artistes du monde du spectacle des XVIIIe et XIXe siècles. Si les comédiens s’y trouvent majoritairement représentés, quelques œuvres sont dédiées à d’autres artistes qui foulèrent les planches : chanteurs, cantatrices, mais également danseurs, notamment « la Taglioni ».
La danse dans le sang
Née en 1804 à Stockholm, Marie Taglioni reçut la danse en héritage puisque son grand-père Carlo Taglioni (1755?-1835?), son père Filippo (1777-1871), son oncle Salvatore (1789-1868) étaient tous trois chorégraphes. Sa mère Sophie Karsten (1783-1862) était danseuse, musicienne et peintre, et son frère Paolo (1808-1884) devint également danseur.
Alors que son père sillonne l’Europe au gré de ses contrats, la jeune Marie passe son enfance à Paris. Elle y fait ses premiers pas de danseuse sous le regard de Jean-François Coulon (1764-1836), l’ancien professeur de son père. Mais l’apprentissage de cette discipline ne s’avère pas aussi aisé que le laissait supposer son « pedigree ». Un dos voûté et des bras jugés trop longs handicapent Marie. De plus, son attitude est quelque peu dilettante. Dans ses souvenirs, consignés dans le manuscrit autographe conservé à la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris, elle confesse « Lorsque je commençais la danse j’étais assez paresseuse » ; elle relate les subterfuges inventés pour se soustraire à la classe de danse et tromper sa mère en humidifiant son linge à la fontaine pour simuler la transpiration d’un intense travail à la barre. Un manque d’assiduité au cours qu’elle réussissait toutefois à cacher à son entourage grâce à un sens du mouvement et une musicalité déjà bien développés : « On ne manquait jamais de me faire danser, ce qui me faisait grand plaisir […] je composais quantité de pas, assurant que mon professeur me les avait enseignés ; tous étaient ravis, émerveillés. Je ne sais vraiment pas ce que j’exécutais devant eux […] Mes inspirations venaient d’après le sentiment de la musique […] ». Sa mère ne tarit pas d’éloges à son sujet et, convaincu du talent de sa fille, Filippo décroche pour Marie un engagement de première danseuse à ses côtés au théâtre Impérial de Vienne. Il reprend alors en main la formation de sa fille qu’il juge un peu faible.
Afin de contourner ses problèmes de colonne vertébrale et de masquer ses défauts, ils développent ensemble une technique particulière de ports de bras et de postures de buste qui deviendront caractéristiques du ballet romantique ; une danse toute en légèreté et en finesse soulignée par l’emploi des pointes. Marie ne fut pas la première à porter ce type de chaussons, comme le laisse parfois entendre la légende, mais celle qui réussit par sa maîtrise technique à les utiliser sans effort physique apparent. L’illusion d’une suspension aérienne est telle que le critique Jules Janin (1804-1874) l’imaginera « courant sur les fleurs sans les courber ».
Gavarni, Costume de Mademoiselle Taglioni, rôle de Fleur des champs (La Fille du Danube), lithographie, [1836], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, OD 139. Cliché INHA
La carrière de Marie débute en 1822, à Vienne dans un ballet chorégraphié par son père, La Réception d’une jeune nymphe à la cour de Terpsichore. Son style plaît d’emblée et le public lui réserve un accueil très favorable. Elle enchaîne les représentations en Allemagne avant de revenir à Paris en juillet 1827. Elle fait ses débuts sur la scène de l’Académie nationale de musique et de danse (nom donné à l’époque à l’Opéra national de Paris), avec son frère, dans un ballet-pantomime qu’elle juge « assez mauvais » intitulé Le Sicilien ou l’Amour peintre d’Auguste-Anatole Petit, dit Monsieur Anatole (1789-1857). Chacun de ses passages sur scène est couronné de succès comme dans La belle au bois dormant d’Eugène Scribe (1791-1861) et Aumer (1774-1833) ou dans le pas du « Ballet des Nonnes » de Robert le Diable, opéra de Giacomo Meyerbeer (1791-1864).
L’archétype de la ballerine
L’année 1832 sera celle de la consécration. Le 12 mars 1832, Marie Taglioni danse le rôle-titre du ballet-pantomime La Sylphide, que son père crée pour elle sur un livret d’Adolphe Nourrit (1802-1839) et une musique de Jean Schneitzhoeffer (1785-1852). L’argument s’inspire du Sturm und Drang (« Tempête et Passion ») littéraire : un jeune écossais rongé par le doute la veille de son mariage voit apparaître en songe une sylphide, fée évanescente, symbole de l’idéal féminin et de la liberté. Le dénouement sera, sans grande surprise, tragique. La mise en scène onirique concourt à rendre l’inaccessibilité de l’univers de la sylphide, du décor de forêts brumeuses d’Écosse au costume de Marie fait de voiles blancs de tulle vaporeux… le tout premier tutu imaginé par Eugène Lami (1800-1890). Pour accentuer encore le caractère éthéré et immatériel de son personnage, la danseuse réalise l’intégralité de la chorégraphie sur pointes. Tutu blanc et pointes, l’archétype de la ballerine vient de naître.
Critique et public sont unanimes. La Sylphide devient le ballet romantique par excellence, inspirant toute une génération de poètes et écrivains, parmi lesquels Théophile Gautier (1811-1872), futur librettiste de Giselle. L’identité même de Marie Taglioni se confond avec l’image de son personnage et le phénomène dépasse les limites de la vie artistique pour gagner l’ensemble de la société : coiffures, poupées, bonbons, biscuits, journaux… prennent le nom de « Sylphide ». Objets utilitaires, décoratifs ou ludiques, reproduisent l’image de la danseuse adulée, un processus de médiatisation voire de mythification est lancé. Artiste unique, comme le souligne Jules Janin « en vérité, il n’y avait qu’elle au monde qui dansât ainsi », elle incarne aux yeux de tous la virtuosité et la grâce.
Janet-Lange, Scène des fleurs dansée par Mademoiselle Taglioni, lithographie, [1839?], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, OD 140. Cliché INHA
La carrière de la ballerine se poursuit, elle est invitée dans les plus grands théâtres européens de Londres, Berlin, Milan ou encore Saint-Pétersbourg. Après vingt-cinq années de succès ininterrompus, elle se retire de la scène en 1847 mais continue à donner des leçons et chorégraphie son unique ballet en 1860 Le Papillon sur une musique de Jacques Offenbach (1819-1880). L’étoile cesse de scintiller en 1884 à Marseille, son corps est transféré ensuite dans la tombe de son fils au cimetière du Père Lachaise (94ème division) sur laquelle une épitaphe résume le mythe qui s’est construit autour d’elle en ces termes : « Ô terre ne pèse pas trop sur elle, elle a si peu pesé sur toi ».
Cette artiste incroyable marqua à tout jamais l’histoire de la danse, « mademoiselle Taglioni, ce n’était pas une danseuse, c’était la danse même » (Théophile Gautier).
Références bibliographiques
- Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Bruxelles, Hetzel, 1858-1859. Disponible en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k209364c (consulté le 10/07/2018)
- J.-B. Giraldon (dir.), Théophile Gautier, Jules Janin, Philarète Chasles, Les beautés de l’Opéra ou Chefs-d’oeuvre lyriques illustrés par les premiers artistes de Paris et de Londres, Paris, Soulié, 1845. Disponible en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63784014 (consulté le 10/07/2018)
- André Levinson, Marie Taglioni (1804-1884), Paris, Félix Alcan, 1929. Disponible en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9351007 (consulté le 10/07/2018)
- Bruno Ligore (dir.), Souvenirs : le manuscrit inédit de la grande danseuse romantique Marie Taglioni, [Rome], Gremese, 2017
- Madison U. Soweel, Debra H. Soweel, Francesca Falcone, Patrizia Veroli, Marie Taglioni et sa famille : icônes du ballet romantique, Rome, Gremese, 2016
Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire