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Marie-Isabelle Pinet, une expertise au service des institutions et des particuliers
Marie-Isabelle Pinet, une expertise au service des institutions et des particuliers
Lectrice fidèle de la bibliothèque, Marie-Isabelle Pinet, spécialisée dans le dessin ancien et les tableaux du XIXe siècle entre autres nous retrace son parcours qui l’a menée à la recherche de provenance et à la recherche bibliographique. Elle exerce en tant qu’indépendante pour des musées et des particuliers, en France comme à l’étranger.
Vous, en quelques mots ?
Je m’appelle Marie-Isabelle Pinet, j’ai étudié l’histoire de l’art à l’École du Louvre puis à la Sorbonne et dès mon master en 2001 j’ai fréquenté bien sûr la bibliothèque, qui était encore à l’époque la Bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet. Entre temps j’ai travaillé dans le marché de l’art pendant quinze ans. Dans un premier temps, je me suis spécialisée dans le dessin ancien et par la suite dans les tableaux du XIXe siècle et les tableaux russes : à cette époque je travaillais chez Sotheby’s à Paris, où je suis restée pendant presque dix ans. Fin 2015, j’ai quitté Sotheby’s pour monter ma propre structure de recherche et de conseil dans le domaine des tableaux du XIXe siècle, et des tableaux russes. Récemment j’ai élargi mon spectre de recherche qui englobe à présent les tableaux de la première moitié du XXe siècle jusqu’à 1970.
Un souvenir de la bibliothèque lorsqu’elle était dans la salle Ovale ?
J’ai le souvenir qu’on faisait la queue pour avoir des places ! On nous donnait une contremarque et nous devions patienter dans une partie de la salle en attendant qu’une place se libère pour pouvoir enfin demander des ouvrages. Ensuite nous allions faire nos demandes en banque de salle à une personne juchée sur une estrade. C’était très « pontifiant ». Cela avait un côté un peu désuet : la bibliothèque dans sa conception actuelle n’a plus rien à voir avec tout cela, c’est un monde entier qui a changé !
Votre fréquentation de la bibliothèque ?
Je fréquente régulièrement la bibliothèque de l’INHA pour les différents projets dans lesquels je suis impliquée : jamais à l’improviste, et très rarement pour une demi-journée seulement. En fait, j’arrive généralement le matin et ne repars qu’en milieu d’après-midi, de manière à disposer de larges plages sur place, qui me permettent de voir un maximum de références. Je peux venir dans certaines circonstances toute la semaine, comme beaucoup moins – c’est le cas depuis la rentrée de septembre 2021 – parce que je n’ai pas forcément l’usage des ressources de la bibliothèque de l’INHA.
Mon emplacement favori est en bout de rangée, contre un meuble, car c’est plus calme. J’évite ainsi la proximité de l’allée centrale où il y a beaucoup de passage. On me trouve généralement au niveau du second rang à droite en entrant, entre la rangée des places réservées et celle des ordinateurs.
Il m’arrive occasionnellement de m’installer dans le magasin central pour des recherches ponctuelles lorsqu’elles requièrent la consultation du libre accès.
Votre ou vos sujet(s) du moment ?
En tant qu’indépendante, j’ai collaboré de 2017 à 2019 avec la Wallach Art Gallery pour laquelle j’étais research associate dans le cadre de l’exposition Posing Modernity : The Black Model from Manet and Matisse to Today, puis j’ai rédigé le profil de l’un des modèles de Matisse pour le catalogue de l’exposition Le modèle noir : de Géricault à Matisse, qui s’est tenue en 2019 au musée d’Orsay.
Bardon Isabelle, Bégué Estelle, Bindman David, Pinet Marie-Isabelle…[et al.]. Le modèle noir : de Géricault à Matisse. Paris : Musée d’Orsay : Flammarion, 2019. Cliché INHA
Je travaille aujourd’hui pour des musées américains pour lesquels j’effectue d’une part des recherches en France en vue de prochaines expositions et d’autre part des missions de conseil.
Il arrive que certains musées étrangers me demandent de faire des vérifications pour eux, ce qui leur évite d’avoir à se déplacer à Paris et facilite leur travail dans la mesure où ils préfèrent se tourner vers des collaborateurs familiarisés avec les sites de recherche français et maîtrisant la langue.
À côté de ces activités dans le secteur muséal, je travaille également à la rédaction de catalogues raisonnés pour lesquels des particuliers, les ayants droit des artistes, se sont adressés à moi.
– En tant que research associate pour le catalogue raisonné d’un artiste du XIXe siècle qui s’appelle Jules Breton (1827-1906). L’auteur de ce catalogue est l’historienne de l’art et responsable des archives Jules Breton, Madame Annette Bourrut Lacouture.
Jules Breton, autoportrait, huile sur toile, 1895, Royal Museum of fine Arts Antwerp. Cliché KMSKA, PD-US, source : Wikimedia Commons
– En tant qu’auteur du catalogue raisonné d’un artiste du XXe siècle, un paysagiste du Sud de la France : Jacques Cordier (1937-1975).
Jacques Cordier devant son premier tableau, 1er janvier 1960. Cliché CptHornblower, source : Wikimedia Commons. CC BY-SA 4.0
Voilà en résumé mes activités : je crois que toute personne qui m’a vue à l’INHA sait que je suis pressée… Cela constitue un emploi du temps plutôt chargé mais loin de m’en plaindre, j’en suis très heureuse !
« Fine art advisory – Provenance and bibliographic researcher » : pourquoi avoir choisi pour votre structure une dénomination anglaise ?
Tout simplement parce que la grande majorité de mes clients sont étrangers. Donc j’ai monté ma structure de recherche avec la dénomination anglaise. À présent, je travaille aussi pour des Français. L’anglais étant, d’une certaine manière, universel, je n’ai pas jugé utile de faire figurer la terminologie française.
Quelles sont les ressources de la bibliothèque que vous consultez ?
J’ai souvent demandé à consulter des documents provenant d’un fonds de la Bibliothèque centrale des musées nationaux (BCMN) actuellement conservé au Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLes) [Ces documents sont accessibles par le biais d’une navette mensuelle spécifique, détaillée ici . ndlr]. Notamment pour le catalogue raisonné de Jules Breton, qui nécessite, pour retracer la provenance des œuvres, la consultation de nombreux catalogues de ventes anciennes et récentes, dont certains ne figurent que dans le fonds BCMN. Par ailleurs, comme les œuvres de ce peintre sont souvent conservées dans les musées américains, je suis amenée à effectuer régulièrement des demandes de catalogues d’expositions de musées américains des années cinquante – soixante, lesquels figurent également dans le fonds de la BCMN, à ce titre très précieux.
Catalogue d’exposition de la collection d’art de Georges A. Lucas, Baltimore, 1911. Paris, bibliothèque de l’INHA. Cliché INHA
Une page du même catalogue, provenant des collections de la BCMN, où Jules Breton est mentionné. Cliché INHA
Catalogue de la collection W. P. Wilstach, Philadelphie, 1922. Paris, bibliothèque de l’INHA. Cliché INHA
Page 15 du même catalogue, provenant des collections de la BCMN, où Jules Breton est mentionné. Cliché INHA
Une planche du catalogue de la collection W. P. Wilstach, Burning tares in a wheatfield, 1868. Cliché INHA
Jules Breton, Le chant de l’Alouette, huile sur toile, 1884, Art Institute of Chicago, Henry Field Memorial Collection. Public domain US, source : Wikimedia Commons
J’ai recours aussi toujours dans le même contexte, au fonds patrimonial de la bibliothèque, que ce soient les « cartons verts » ou des autographes d’artistes.
Un livre que vous avez apprécié et souhaiteriez mettre en avant ?
La dernière publication de Théodore Reff: The Letters of Edgard Degas (accessible en libre accès sous la cote : NY DEGA3.A1 2020 (1-3)), la correspondance Degas, une somme, en trois volumes. À sa parution, j’ai eu besoin de la consulter, c’était au moment du confinement. Et comme vous ne l’aviez pas encore, j’ai dû l’acheter. Cet ouvrage est formidablement bien conçu et c’est un bonheur d’aller chercher dedans. Toutes les fréquentations de Degas y sont répertoriées : les Goncourt, les écrivains de l’époque, les artistes… C’est vraiment fascinant : une merveilleuse source d’informations sur le XIXe siècle !
The letters of Edgard Degas, correspondance en 3 volumes, éditée et annotée par Theodore Reff. New York : The Wildenstein Plattner Institute, Inc.2020. Cliché INHA
Votre activité de chercheur de provenance est-elle en partie liée à la question des spoliations pendant la période du nazisme ?
La question des spoliations est un sujet que je suis avec intérêt, mais sur lequel je n’ai pas eu l’occasion de travailler à l’exception d’un ou deux tableaux répertoriés dans le catalogue raisonné de Jules Breton. Pourtant, c’est tout à fait le type de travail que je poursuis depuis quelques années et qui pourrait me tenter. J’ai suivi assidûment le séminaire Patrimoine spolié pendant la période du nazisme (1933-1945) organisé par l’INHA, jusqu’au début de la pandémie. Et ensuite je n’ai plus eu le temps. La publication en ligne par l’INHA du Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation (RAMA) apporte là-aussi une contribution précieuse à la recherche. La base de données de la bibliothèque du musée d’Orsay où je vais régulièrement travailler est très bien faite aussi, en particulier pour la bibliographie liée aux spoliations.
L’université Paris Nanterre propose depuis peu une formation de Diplôme universitaire (DU) « Recherche de provenances des œuvres d’art : circulations, spoliations, trafics illicites, restitutions » : le saviez-vous ?
Ah non, je l’ignorais, je vous remercie pour l’information !
La recherche de provenance telle que je l’ai menée jusqu’à présent, est une discipline qui s’apprend sur le tas. Elle requiert une formation un peu généraliste qui permet d’avoir les grandes bases, puis une spécialisation dans un domaine qu’on a choisi. Je crois que la majorité des personnes de ma génération qui travaillent sur les provenances vous diront qu’elles se sont formées sur le tas. Parce qu’il n’existait pas en France – à la différence de l’Allemagne, me semble-t-il – de formation spécifique pour ce métier. Donc je salue l’initiative de l’Université Paris Nanterre !
Justement, ce métier qui vous passionne, le conseilleriez-vous à de futurs chercheurs ?
Oui certainement, mais pas en tant qu’indépendant pour commencer. Il faut avoir une expérience professionnelle structurante avant de se lancer à son compte : en ce qui me concerne, je n’ai sauté le pas qu’après quinze ans d’expérience dans le monde de l’art ! D’une part, il faut une discipline de travail, et d’autre part c’est un travail très solitaire. Je l’ai choisi en connaissance de cause parce que j’avais besoin d’une disponibilité et d’une certaine autonomie qui permette de concilier travail et vie privée : je voulais pouvoir m’occuper de mes enfants. L’environnement social est, il faut l’avouer, un peu restreint et c’est peut-être le versant moins positif de cette activité. Mais sinon, je le recommande évidemment : c’est un métier passionnant !
Entretien par Christine Camara
service des Services aux publics
En savoir plus
Pour découvrir la peinture de Jacques Cordier, c’est ici.