Le recueil Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G…, par Louis Marcoussis vient de rejoindre la bibliothèque numérique. Son auteur, Ludwik Kazimierz Władysław Markus, est né à Varsovie en Pologne en 1878. Après des études de peinture à l’Académie des Beaux-arts de Cracovie sous la direction de Jan Stanislawski (1860-1907) et Jozef Mehoffer (1869-1946) il arrive en France en 1903 et intègre l’atelier de Jules Lefebvre (1834-1912) à l’Académie Julian.

Il expose pour la première fois au Salon d’automne de 1905, un paysage : Les toits, et deux pointes sèches : Portrait de M. Georges Wague et La Femme qui rit. Il s’assure un revenu régulier grâce à la publication de dessins humoristiques et caricatures, qu’il signe « Markous », dans divers revues et journaux tels que Le Sourire, La Vie parisienne ou encore L’Assiette au beurre. Il s’installe au 76 rue Lamarck, au pied de la butte Montmartre, et fréquente les cafés montmartrois où il fait la connaissance de peintres, poètes et écrivains d’avant-garde, notamment Guillaume Apollinaire (1880-1918) qui lui conseille de franciser son patronyme en Marcoussis, nom emprunté à une commune proche de Monthléry. Apollinaire le présente à Braque (1882-1963) et Picasso (1881-1973) en 1911 et Marcoussis rejoint le mouvement cubiste auquel il marque son appartenance en exposant une pointe sèche intitulée Gaby au Salon d’automne 1912. Très vite, il se rapproche des artistes du Groupe de Puteaux qui se réunissent chez les frères Duchamp dans la perspective de donner une assise théorique au cubisme en reliant l’art et la science. Leur approche mathématique, basée sur le « nombre d’or » et les théories de Léonard de Vinci (1452-1519), tente de systématiser le cubisme afin de procéder méthodiquement à la réduction géométrique de la réalité. En octobre 1912, Galerie de la Boétie, se tient leur première exposition baptisée « Salon de la Section d’or », Marcoussis y participe avec trois portraits : la Belle Martiniquaise, Grabowsky et Apollinaire. En cette fin d’année 1912, il fait également la connaissance d’Alice Halicka (1894-1975), une jeune artiste compatriote tout juste arrivée en France et qui deviendra sa femme quelques mois plus tard. Ensemble ils mènent une vie artistique et mondaine intense dans les milieux intellectuels parisiens d’avant-guerre.

Louis Marcoussis, Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G... : Monsieur G..., lépreux, eau-forte et aquatinte, 1933, Bibliothèque de l'INHA, FOL EST 95. Cliché INHA
Louis Marcoussis, Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G… : Monsieur G…, lépreux, eau-forte et aquatinte, 1933, Bibliothèque de l’INHA, FOL EST 95. Cliché INHA

Louis Marcoussis poursuit ses expérimentations et développe un style singulier qui oscille parfois du cubisme vers le surréalisme alors en plein essor. Équilibre et beauté sont au centre de ses préoccupations. Ses calculs minutieux aboutissent à des formes géométriques parfaites, néanmoins sa production se démarque de celle des autres cubistes par une introduction franche de la couleur et une conception particulière de la lumière. Il accorde une place prépondérante à la recherche de luminosité aussi bien dans son œuvre peint que dans son œuvre gravé. En peinture, il explore les possibilités lumineuses des fixés sur verre (peintures à l’huile ou à la gouache appliquées derrière une plaque de verre) ; en gravure, il s’inspire des effets du clair-obscur observés chez Rembrandt (1606-1669), recréant la gamme complète des valeurs passant du blanc au noir pour donner une atmosphère spirituelle et mystérieuse à ses compositions.

Marcoussis acquiert une certaine notoriété dès 1923 grâce à l’acquisition d’œuvres peintes par des collectionneurs et galeristes réputés comme Albert C. Barnes (1872-1951), Jeanne Bucher (1872-1946) ou Paul Guillaume (1891-1934). Pourtant il se refuse à faire des concessions aux valeurs marchandes et reste fidèle à la pratique gravée bien que l’estampe cubiste ne remporte pas le même succès.

Rapidement, il devient le graveur le plus important du mouvement cubiste. Sans relâche il explore de nouveaux moyens d’expression et perfectionne sa technique, il s’essaie à des procédés variés : pointe sèche, eau-forte, aquatinte, bois, lithographie… il confirme à chaque fois ses dons exceptionnels et engrange un véritable son savoir-faire qu’il prendra également soin de transmettre puisqu’en 1938 il initiera Joan Miró (1893-1983) à la pointe sèche. L’estampe lui plait particulièrement car elle lui permet de rendre hommage aux poètes et écrivains qu’il apprécie tels Baudelaire (1821-1867), Rimbaud (1854-1891), de Nerval (1808-1855), Dostoïevski (1821-1881), Apollinaire (1880-1918) ou Shakespeare (1564-1616) que ce soit par la réalisation de leur portrait gravé ou par l’illustration de leurs écrits.

C’est en 1933 qu’il exécute Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G… un recueil à l’eau-forte et aquatinte composé d’un frontispice suivi de six planches caractéristiques de son œuvre puisqu’on y retrouve les jeux de formes et de lumière (Monsieur G… lépreux), le leitmotiv de la porte ouverte (La Mariée à sa toilette) ou encore la touche surréaliste (La Prière). Marcoussis réalise ce volume pour illustrer Monsieur Godeau intime de Marcel Jouhandeau (1888-1979) qu’il considère alors comme un roman majeur de la littérature française moderne. Jouhandeau est alors un ami proche comme le mentionne Alice Halicka dans ses mémoires. Ils ont fait connaissance vers 1925 chez Bernard Faÿ (1893-1978), une amitié intense mais de courte durée puisqu’elle prendra fin dans les années trente, peut-être à cause d’un portrait dans lequel Jouhandeau se trouvait particulièrement laid ou des textes antisémites de l’écrivain, les deux hypothèses pouvant être envisagées.

Louis Marcoussis, Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G... : La Toilette de la mariée, eau-forte et aquatinte, 1933, Bibliothèque de l'INHA, FOL EST 95. Cliché INHA
Louis Marcoussis, Eaux-fortes théâtrales pour Monsieur G… : La Toilette de la mariée, eau-forte et aquatinte, 1933, Bibliothèque de l’INHA, FOL EST 95. Cliché INHA

 Bibliophile, lettré et doté d’un sens inné de la poésie, Marcoussis excelle pour transposer le langage écrit en langage plastique, pour traduire les métaphores poétiques en formes graphiques ; un talent fort apprécié de ses contemporains, puisqu’il est l’artiste « chéri des poètes » selon le mot de Paul Éluard (1895-1952) et l’« un des plus fermes et des plus brillants poètes plastiques de notre époque » sous la plume d’Henri Achel

Au début de la seconde guerre mondiale, il se réfugie à Cusset dans l’Allier où il succombera à la maladie un an plus tard. Sur sa pierre tombale, Alice Halicka fait inscrire ces quelques vers d’Apollinaire : « Sur la terre, nous ne nous verrons plus, N’oubliez pas que je vous attends pour toujours ».

Élodie Desserle, service de l’informatique documentaire

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