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Londres vue par… (1/2)
Londres vue par… (1/2)
L’actualité politique nous transporte régulièrement de l’autre côté de la Manche, notamment à Londres, siège des institutions britanniques. Dans son fonds patrimonial, la bibliothèque de l’INHA possède d’assez nombreuses vues de la ville, à commencer par un recueil de vues d’optique des XVIIIe-XIXe siècle (INHA, VO GB L1 à 27). Ce billet se focalise sur une sélection d’estampes originales de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, cœur de la collection acquise par Jacques Doucet, fondateur de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, dont la bibliothèque de l’INHA est issue, et son assistant dans le domaine de l’estampe : Noël Clément-Janin.
James McNeill Whistler (1834-1903)
James McNeill Whistler, Alderney Street, eau-forte, 1880-1881, bibliothèque de l’INHA, EM WHISTLER 1. Cliché INHA
Après les rues de Venise qu’il avait arpentées et gravées, il était logique que Whistler, rentré à Londres en novembre 1880, tournât son attention vers les rues de « l’unique ville au monde où il faut vivre ». De fait, l’artiste juxtaposa cette planche représentant des habitations de classe moyenne avec un palazzo vénitien – Le Balcon – dans le catalogue de l’exposition Arrangement en blanc et jaune. Son amour pour Londres, et en particulier pour les bâtiments géorgiens de l’époque de Hogarth, le conduisit à explorer les potentialités visuelles des alignements de commerces, d’immeubles et autres motifs pittoresques : ici, l’animal harnaché témoigne de l’un des moyens encore utilisé pour ravitailler un quartier éloigné d’un marché. Cette évocation de la rue où Whistler demeura quelques mois fait partie d’un ensemble de petits formats, comparables par la taille à ceux de Rembrandt, point de référence pour les gravures de ses dernières années. Cette dimension et la manière elliptique d’évoquer les formes par des traits économes, tenaient aussi à une considération pratique. Avec le temps, croquer et graver étaient devenus interchangeables : Whistler emportait avec lui des plaques de cuivre sur lesquelles il jetait ses impressions comme sur un carnet de croquis. Elles devaient donc être faciles à transporter. La fraîcheur, la légèreté et l’aspect aérien de ce type de planches ne sont pas sans rapport avec sa connaissance des impressionnistes, même si l’artiste n’y fit explicitement référence que pour des gravures transcrivant des effets atmosphériques et autres états transitoires de la nature. Par la brièveté de la vision, cette rue de Chelsea a quelques chose de « transitoire ».
Thomas Robert Way (1861-1913)
Thomas Robert Way, The Upper Pool from London Bridge, lithographie, dans The Thames from Chelsea to the Nore, 1907, pl. IX, bibliothèque de l’INHA, Fol Est 636. Cliché INHA
Thomas Robert Way travailla dans l’entreprise de son père Thomas qui, pendant 57 ans, fut imprimeur-lithographe dans le domaine commercial. Mais Way père participa aussi au renouveau de la lithographie artistique et en fut récompensé lorsque Whistler le choisit comme partenaire à partir de 1878 ; il devint le plus important imprimeur de lithographie artistique en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle. Way fils fut pour sa part l’auteur de 600 lithographies, dont huit recueils de vues de Londres et ses environs. The Thames from Chelsea to the Nore, publié en 1907, fut le plus ambitieux de ses ouvrages topographiques et connut une reconnaissance assez rapide avec l’acquisition d’un exemplaire par le Victoria & Albert Museum en 1910. Sur 31 lithographies – au départ inspirées par une excursion familiale sur le fleuve en 1901 – cinq étaient en couleur, sept utilisaient une pierre jaune, quatre étaient réalisées en litho-tinte, un procédé permettant de créer des surfaces de teinte ; ces lavis pouvaient efficacement véhiculer l’atmosphère mélancolique et énigmatique de la Tamise. Les picturaux Nocturnes présentent une évidente parenté avec ceux de Whistler, qui fréquenta les Way durant dix-huit ans.
Thomas Robert Way, Sun Versus Smoke : Charing Cross Bridge, lithographie et litho-tinte – Hotels and Embankment, from Charing Cross Bridge, lithographie, dans The Thames from Chelsea to the Nore, 1907, pl. IV et XXIX, bibliothèque de l’INHA, Fol Est 636. Cliché INHA
Auguste Lepère (1849-1918)
L’imposante silhouette du palais de Westminster bordant la Tamise et les effets atmosphériques produits par la brume naturelle et artificielle (le smog) avaient fasciné des artistes français, à commencer par Claude Monet. Cet intérêt ne faiblit pas et Auguste Lepère, prince de la gravure sur bois de son époque et que l’activité au Monde illustré permit de voyager, choisit de représenter dans une lumière vespérale et légèrement de dessous, pour exhausser le majestueux édifice. Les tours dans les brumes ajoutent à l’effet de demeure enchantée, de château d’Elseneur. Les contrastes sont maximisés et Big Ben, dominant la foule du premier plan comme le spectateur, tient du cyclope par son cadran éclairé et de de la tour de Babel, par sa cime flirtant avec le ciel. Cette épreuve fut acquise au prix considérable de 3 800 F par J. Doucet, reflétant la notoriété de l’artiste, le caractère spectaculaire et rarissime de la composition (dix tirages).
Auguste Lepère, Le Parlement de Londres à neuf heures du soir, 1890, xylographie tirée au fumé, bibliothèque de l’INHA, EM LEPÈRE 248. Cliché INHA
Félix Buhot (1847-1898)
Pour le Normand Félix Buhot, Londres était la « ville de ses rêves » et le quartier de Westminster « sa ville natale ». À partir d’un point de vue assez semblable à celui de Lepère, l’artiste a gravé dans le même sens que la réalité, substituant ainsi à la tour-clocher la tour d’angle qui manifeste le style néo-gothique perpendiculaire de l’édifice. Buhot se montrait sensible aux effets atmosphériques, ménageant des nuages blancs pour faire ressortir les pointes saillant vers le ciel. L’immense bâtisse demeure ici à taille humaine, minorée par les barques du premier plan. Les « marges symphoniques » relativisent également la dimension et l’extra-ordinaire du Parlement, devenu un objet apprivoisé, éloigné du caractère farouche et dramatique de Lepère. La finesse de l’eau-forte favorise la fantaisie débridée de Buhot, qui associe sa composition à des variations sur le monde marin et médiéval. Montrée à l’exposition Black & White de Londres, cette composition fut gravée en même temps que Westminster Bridge. Volontairement antithétiques, la première exprimait la calme pérennité politique (le temps passe comme l’eau s’écoule, l’institution perdure), tandis que la seconde exhibait le grouillement de la vie contemporaine.
Félix Buhot, Westminster Palace, eau-forte, 1884, bibliothèque de l’INHA, EM BUHOT 4. Cliché INHA
Émile-Antoine Verpilleux (1888-1964)
Graveur d’origine belge, Émile-Antoine Verpilleux vécut en grande partie à Londres. Il n’usait d’aucun artifice et travaillait sur la surface ordinaire de blocs non préparés. Toutes ses gravures étaient imprimées sur un papier absorbant, sans recours à un papier fin adventice ; il utilisait des encres d’imprimerie et non de l’aquarelle ou autre pigment. Il obtenait les plus subtils effets de couleur en utilisant au maximum six ou sept planches. En bref, il répondait à l’exigence de « sincérité » louée par la critique depuis le XIXe siècle. Ses gravures contribuèrent à rehausser la qualité de l’illustration de livres et revues. Parmi les xylographies en noir et en couleur conservées à la bibliothèque de l’INHA, La Cathédrale Saint-Paul frappe par son point de vue du dessous, le caractère massif occupant la page et les contrastes de gris caractéristiques de la manière dont Verpilleux constituait des architectures en sujets. Par contraste, le flamboiement lumineux de La Tour de Londres se signale par l’accent posé sur l’effet atmosphérique noyant la deuxième tour. Dans les deux planches, le végétal forme un subtil contrepoint au minéral.
Émile-Antoine Verpilleux, La Cathédrale Saint-Paul, de l’extérieur, xylographie, bibliothèque de l’INHA, EM VERPILLEUX 2. Cliché INHA
Émile-Antoine Verpilleux, La Tour de Londres, xylographie, bibliothèque de l’INHA, EM VERPILLEUX 1. Cliché INHA
Rémi Cariel
Chargé de valorisation des collections
Bibliographie sélective
- David P. Curry (dir.), James McNeill Whistler : Uneasy Pieces, catalogue d’exposition Richmond, Richmond & New York, 2004
- Katharine A. Lochnan (dir.), The Etchings of James McNeill Whistler, catalogue d’exposition New York, 1984 & Toronto, 1985, New Haven/Londres, 1984
- Patrick Frazer, Thomas Way and T. R. Way, Commercial and Artistic Lithographers, thèse, Université de Reading, 2001
- Auguste Lepère, 1848-1918, catalogue d’exposition, Fontenay-le-Comte, 1988
- Félix Buhot, Peintre-Graveur : Prints, Drawings, and Paintings, catalogue d’exposition Baltimore, 1983
- Jean-Luc Dufresne (dir.), Félix Buhot, peintre graveur entre romantisme et impressionnisme, Cherbourg, 1998
- J. B. Masson, « Émile-Antoine Verpilleux, wood-engraveur and painter », The Studio, n° 59, 1913, p. 260 à 270
Suite de cette promenade iconographique à travers Londres…