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Livres insolites
O l'Obsidienne...
Livres insolitesO l’Obsidienne…
Les personnes qui ont la chance de travailler dans une bibliothèque d’art auront probablement déjà ressenti cette petite palpitation : lors de son équipement ou à la suite d’une demande de communication, il arrive de tomber sur un livre à la reliure atypique. Livre-objet ? objet-livre ? On s’accorde immédiatement quelques minutes pour contempler cet excentrique, l’ouvrir délicatement, en découvrir le contenu. Le temps s’arrête, les questions surgissent, ainsi que l’envie de partager sa trouvaille…
Obsidiana / Jean-Michel Othoniel, Arles, Actes Sud 2017. INHA : cote 8 MON 46558
Une découpe originale
Rien ne distingue le dos d’Obsidiana de celui de ses voisins de rayonnage, et pourtant… Il suffit de s’en emparer et : surprise ! non seulement la reliure, mais l’ensemble de ce petit catalogue d’exposition constitue une figure géométrique irrégulière hexagonale, les coins étant tronqués. La reliure est en carton gris d’environ 2 mm d’épaisseur. L’illustration de la première de couverture est une esquisse, à la mine graphite, d’un bloc sculpté aux arêtes irrégulières et de forme oblongue. Se détachent sur cette figure, très légèrement en creux, en lettres capitales orange et formant deux diagonales parallèles, le titre, OBSIDIANA et, en plus petit, lui faisant écho, le nom de l’artiste : OTHONIEL. La quatrième de couverture représente, pareillement dessinée, une autre silhouette de pierre. Une impression de sobriété et un côté « brut » tenant pour partie au choix du matériau, au dessin préparatoire et à la discrétion chromatique se dégagent au premier regard de cette reliure, dont la forme originale intrigue toutefois. Par ailleurs, un œil attentif constatera que la découpe des angles supérieurs et celle des angles inférieurs sont asymétriques et que la police de caractères choisie pour énoncer le titre et le nom de l’artiste n’est pas commune. Ainsi, le parti géométrique pur et dur semble tempéré par un soupçon de fantaisie : une conception graphique qui force la curiosité…
Jean-Michel Othoniel, Obsidiana, Arles, Actes Sud 2017 : un livre insolite. Cliché INHA
En ouvrant le livre, on remarque que la typographie, rétrécie dans sa partie supérieure et sa partie inférieure, a été adaptée à la découpe. Le texte fait la part belle aux planches photographiques en couleurs, sur papier mat. Ces dernières épousent forcément le format imparti mais sont pleine page et occupent même souvent une double page.
Cinq Faces d’invisibilité
Obsidiana est le catalogue d’une exposition intitulée Invisibility Faces, qui s’est tenue au Goetheanum de Dornach, près de Bâle, durant l’été 2015. Cet édifice imposant, siège de la Société anthroposophique universelle, a été conçu dans les années 1920 par Rudolph Steiner selon les critères de l’architecture organique. Il dresse sa silhouette particulière toute de béton armé – tiens, du gris et des pans coupés ! – caractérisée à l’extérieur comme à l’intérieur par des parois et des ouvertures à la géométrie singulière.
Vue frontale du Goetheanum à Dornach en Suisse. Cliché Wladyslaw Sojka, source : Wikimedia Commons. CC-BY-SA 3.0
Ont été installées dans différents points de l’édifice cinq œuvres de Jean-Michel Othoniel, appartenant à la série des « Invisibility Faces ». Ce sont des sculptures en obsidienne – d’où « Obsidiana » – dont la base est sertie dans des socles en bois de marronnier. Depuis qu’il a découvert en 1992 au nord de la Sicile cette roche volcanique, ancêtre du verre, Jean-Michel Othoniel, qui utilise ici à dessein le vocable italien, n’a cessé d’entretenir une fascination toute particulière pour elle. Notons d’ailleurs au passage l’assonance OBSIDIANA-OTHONIEL, qui va dans ce sens. Le sculpteur a nommé ces blocs d’obsidienne taillés, auxquels il est très attaché et qui tous appartiennent à sa collection personnelle, des Faces d’invisibilité, car il les considère comme des autoportraits abstraits. Leurs faces polies reflètent en effet une image déformée et même, si l’on en croit la mythologie, l’intériorité de qui les regarde.
Échantillon d’obsidienne provenant de Lipari (Îles Éoliennes, Sicile), dimensions : environ 3 cm. Cliché Ji-Elle, source Wikimedia Commons. CC-BY-SA 3.0
Une conception graphique mimétique
En feuilletant Obsidiana, force est de constater que les photos, extrêmement graphiques, vous propulsent, ou peut s’en faut, dans les laves d’un volcan du Kamtchatka en fusion, un des creusets naturels de l’obsidienne, puis dans l’espace monumental du Goetheanum, où trônent les étranges Invisibility Faces. Angles inédits, cadrages étudiés, gros plans qui magnifient les matières et la façon dont elles ont été ciselées ou polies : le regard est happé. Que ce soit par l’équilibre entre les lignes de l’architecture et celles des sculptures, ou encore face au rougeoiement de l’obsidienne embrasée par la lumière émanant des vitraux dessinés par Steiner. Jusqu’au camaïeu entre le marronnier des socles et le bois des rampes et des huisseries, tout est en symbiose !
Un effet d’immersion qui doit pour beaucoup à la conception graphique ingénieuse de ce catalogue d’exposition, signée Raphaëlle Pinoncély : la découpe singulière de ces pages évoque celle des étranges fenêtres du Goetheanum de Dornach, des ouvertures à travers lesquelles le regard se focalise sur les œuvres mais aussi les particularités architectoniques du lieu qui les héberge.
Par le truchement de sa reliure, ce petit catalogue pousse le mimétisme à se confondre avec la façade en béton brut de l’édifice de Steiner, à laquelle il emprunte formes et couleurs, jusqu’à la note orangée des contours des fenêtres. Autrement dit, il endosse, non sans hardiesse, son identité visuelle.
Façade sud du Goetheanum à Dornach en Suisse. Cliché Landwirt, Stefan Stegemann, source Wikimedia Commons. CC-BY-SA 3.0
En cela il se rattache aux principes de l’architecture organique, où chaque élément est en rapport avec l’ensemble, et devient à son tour une partie du contenant et du contenu. Une fois déployé, il parvient à restituer l’atmosphère emblématique d’un lieu où, le temps d’un été, les talents conjugués d’hier et ceux d’aujourd’hui, orchestrés par Jean-Michel Othoniel, ont révélé et sublimé l’obsidienne.
D’un format aisément manipulable, Obsidiana constitue un précieux sésame que tout un chacun pourra s’approprier : ceux qui ont visité l’exposition de Dornach, comme ceux, plus nombreux, qui seront tentés de la découvrir au gré de ses pages insolites.
Jean-Michel Othoniel, Obsidiana, Arles, Actes Sud, 2017, pages déployées. Cliché INHA
Christine Camara
service des Services aux publics
En savoir plus
- Le Goetheanum, un des lieux insolites de Suisse
- Célina Simon, « Jean-Michel Othoniel : Obsidiana », dans Critique d’art [en ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 21 novembre 2018, consulté le 2 juin 2022.
- Les Invisibility Faces dans le cadre de l’exposition « GÉOMÉTRIES AMOUREUSES » au CRAC de Sète en 2017, consulté le 2 juin 2022.
- Stéphanie Sporn, « Immerse Yourself in the Poetic Artistry of Jean-Michel Othoniel » : une Invisibility Face présentée par la galerie Perrotin à la TEFAF de New York en mai 2022.