Johannes Teyler, l’inventeur

Dans l’introduction du New Hollstein consacré à Teyler, Ad Stijnman fournit de nombreux éléments biographiques sur l’inventeur du procédé qui nous intéresse : né à Nimègue en 1648, à l’issue d’études de mathématiques et de philosophie, Teyler enseigna d’abord ces disciplines dans sa ville natale. En 1673, suite à l’occupation de Nimègue par l’armée française, il partit pour Berlin, où il devint ingénieur militaire au service du duc Frédéric Guillaume de Brandebourg, avant d’effectuer un voyage en Italie et au Levant en compagnie du dessinateur et graveur Jan van Call, entre 1679 et 1683.

À son retour aux Provinces-Unies, iI décida, sans doute en collaboration avec Jan van Call, de créer un atelier d’impression d’estampes en couleurs, sur papier ou sur tissu. Cet atelier fut actif d’abord à Nimègue, puis à Amsterdam, et enfin, à Ryswick, de 1685 à 1697. Le 20 février 1688, Teyler obtint un privilège pour sa technique d’impression en couleurs, qui fournit de précieuses indications sur ses activités. Le privilège indique notamment que « [Teyler] a inventé une nouvelle méthode pour représenter sur le papier, le parchemin, la soie ou autre tissu, sous forme de cartes, livres, étoffes et autres, toutes sortes de personnages, ornements et, pour certaines armées, des campements… » Le privilège mentionne que les images seront imprimées en couleurs.

Ce texte démontre que l’activité de Teyler était principalement destinée à la production de tissus imprimés, et aussi, de « miniatures ».

Le procédé d’impression en couleurs de Teyler

Mais en quoi consiste le procédé mis au point par Teyler ? Les estampes produites par l’atelier sont des gravures sur cuivre, imprimées en couleurs grâce à un encrage de la plaque « à la poupée ». Cette technique consiste en l’application de différentes encres de couleurs, à l’aide d’un petit chiffon roulé en boule (la « poupée »), sur une seule matrice de cuivre gravée : à l’impression, en un seul tirage, les différentes zones de l’image sont donc encrées de couleurs diverses. Ce procédé demande une minutie extrême lors de l’encrage de la plaque, afin que les couleurs ne se mélangent pas à l’impression.

Cette technique fut employée, bien que rarement, dès les débuts de l’art de l’estampe, au XVe siècle. Mais c’est sous la direction de Teyler qu’elle atteignit une qualité technique nouvelle : le soin apporté aux impressions, le nombre (jusqu’à 10), la subtilité et la brillance des coloris employés font de ses estampes des pièces exceptionnelles.

L'enlèvement de Prosperpine, eau-forte imprimée en couleurs à la poupée sur soie, Yale University Art Gallery, 2011.45.5. Cliché Yale University Art Gallery - Domaine public
L’enlèvement de Prosperpine, eau-forte imprimée en couleurs à la poupée sur soie, Yale University Art Gallery, 2011.45.5. Cliché Yale University Art Gallery – Domaine public

Aujourd’hui, plus de 470 estampes différentes provenant de la production de l’atelier de Teyler sont répertoriées et pour la première fois intégralement compilées dans le New Hollstein. Ces estampes étaient jusqu’ici assez mal connues, en raison de l’absence sur celles-ci de noms de graveur, d’imprimeur et d’adresse de publication. Cette absence était sans doute liée à la finalité essentiellement décorative de la plupart des planches, notamment celles qui étaient imprimées sur tissu, qui explique aussi leur actuelle rareté. D’autres estampes de Teyler ne sont d’ailleurs sans doute pas encore identifiées à l’heure actuelle ; la publication de ce catalogue suscitera certainement de nouvelles découvertes.

Les estampes de Teyler à l’INHA

La collection de l’INHA, riche de 41 estampes, reflète les principales thématiques des gravures de l’atelier. Les sujets représentés sont pour la moitié d’entre eux des paysages et vues de villes et monuments d’Allemagne, des Pays-Bas ou d’Italie (20 estampes). 8 estampes s’inspirent de la mythologie, 5 représentent des éléments d’ornementation (vases, cartouche), 4 sont des portraits. La collection compte en outre deux planches d’ornithologie.

Les paysages, souvent des vues de villes représentées dans un cercle et rehaussées à l’aquarelle, sont attribués pour la majeure partie d’entre eux à Jan van Call, le collaborateur de Teyler. Celui-ci est sans doute aussi l’auteur des dessins originaux. On connaît en effet de cet artiste plusieurs dessins aquarellés préparatoires, ou bien très proches dans leur style et leurs coloris des estampes de Teyler – citons par exemple ses vues de Hammerstein, sur le Rhin, ou encore, du château d’Ehrenbreitstein.

Jan van Call, Vue de Clèves, eau-forte imprimée en couleurs et aquarellée, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER12-13. Cliché INHA
Jan van Call, Vue de Clèves, eau-forte imprimée en couleurs et aquarellée, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER12-13. Cliché INHA

Mais Van Call peut aussi s’inspirer d’autres artistes pour ses gravures : ainsi, il copie une planche de Sébastien Leclerc pour représenter la galerie des glaces du château de Versailles. De même, son estampe représentant une vue du Colisée de Rome est réalisée d’après une gravure de Melchior Küsel.

Jan van Call, Le Colisée de Rome, eau-forte imprimée en couleurs, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 20. Cliché INHA
Jan van Call, Le Colisée de Rome, eau-forte imprimée en couleurs, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 20. Cliché INHA

Melchior Küsel, Le Colisée de Rome, eau-forte, vers 1670, British Museum 1860,0114.323. © The Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA 4.0)
Melchior Küsel, Le Colisée de Rome, eau-forte, vers 1670, British Museum 1860,0114.323. © The Trustees of the British Museum (CC BY-NC-SA 4.0)

Dans plusieurs cas, la bibliothèque de l’INHA conserve deux épreuves de la même vue (vues de Clèves, de Nimègue, de Wesel), ce qui permet d’étudier les variations des encrages, jamais identiques d’une estampe à une autre. Ceci est d’autant plus précieux que la rareté des estampes de Teyler et leur dispersion dans de grandes institutions ne permettent qu’exceptionnellement ce type de comparaison rapprochée des originaux.

C’est aussi parmi les paysages que figurent les deux unica de la bibliothèque de l’INHA. Non encore répertoriées dans d’autres collections, ces estampes représentent, pour l’une, une marine attribuée à Johann van den Aveele, imprimée en six couleurs et rehaussée d’aquarelle, pour l’autre, un paysage italien attribué à Jan van Call, comportant une tour ronde et un pont, imprimé en quatre couleurs.

Johann van den Aveele, Bateaux néerlandais devant un port d'une ville de Méditerranée, eau-forte imprimée à la poupée en couleurs, rehauts d'aquarelle, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 30. Cliché INHA
Johann van den Aveele, Bateaux néerlandais devant un port d’une ville de Méditerranée, eau-forte imprimée à la poupée en couleurs, rehauts d’aquarelle, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 30. Cliché INHA

Une autre estampe conservée à l’INHA est exceptionnelle : elle représente, sur sa partie inférieure, l’hôtel de ville d’Amsterdam. D’autres épreuves en sont connues, mais notre feuille a également servi pour imprimer une contre-épreuve d’une autre planche de Teyler : c’est ainsi qu’au-dessus du monument semblent étrangement « flotter » un papillon, une araignée et une allégorie de la Vierge apparaissant à l’Église, copiée d’après une estampe de Claude Mellan !

Vue de la façade de l'hôtel de ville d'Amsterdam, eau-forte imprimée en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 28. Cliché INHA
Vue de la façade de l’hôtel de ville d’Amsterdam, eau-forte imprimée en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 28. Cliché INHA

Parmi les autres thématiques de la collection, les éléments mythologiques sont aussi bien représentés. Dans ce domaine, l’une de nos estampes les plus intéressantes nous montre un dragon. Gravé au burin avec une grande netteté, ce dragon a été encré avec habileté. Les couleurs, extrêmement proches sur la feuille, ne se chevauchent cependant pas, et permettent, au contraire, des effets marbrés, typiques de la production de Teyler.

Dragon, burin imprimé en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 6. Cliché INHA
Dragon, burin imprimé en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 6. Cliché INHA

Un détail sur la queue du dragon montre la précision de l’encrage.

Détail du Dragon, burin imprimé en couleurs à la poupée, vers 1685-1697

La collection de l’INHA comporte aussi plusieurs gravures relevant du domaine de l’ornement : une fontaine d’après Jean Lepautre, des vases et bouquets de fleurs copiés de Jacques Vauquer, un étonnant cartouche enfin, dans le style auriculaire. Plusieurs portraits de personnages célèbres, princes (Guillaume III, Anne Stuart) et artistes, complètent la collection. Enfin, deux estampes représentant des oiseaux nous rappellent tout l’intérêt de l’estampe en couleurs dans les domaines scientifiques de la botanique et de la zoologie.

Pinson et colombe, burin imprimé en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 37. Cliché INHA
Pinson et colombe, burin imprimé en couleurs à la poupée, vers 1685-1697, bibliothèque de l’INHA, collections Jacques-Doucet, EA TEYLER 37. Cliché INHA

En savoir plus

Les estampes de Teyler de la bibliothèque de l’INHA ont été partiellement numérisées et sont, pour certaines d’entre elles, consultables sur le site de la bibliothèque numérique. La collection devrait être entièrement mise en ligne dans les prochaines années.

Les originaux se consultent sur rendez-vous auprès du conservateur responsable du fonds.

D’autres collections remarquables ont été numérisées et sont à découvrir sur le web :

  • La plus riche collection d’estampes de Teyler est conservée au Rijksmuseum d’Amsterdam ; la base de données des collections du musée répertorie 412 estampes sous son nom, dont un certain nombre en double.
  • Le British Museum conserve un album relié, l’Opus Typochromaticum, comportant 186 estampes de Teyler ; les images en sont intégralement numérisées et consultables sur la base de données du musée ;
  • La bibliothèque de Wolfenbüttel, en Allemagne, est riche de 167 estampes de Teyler, à découvrir sur le site du Virtuelles Kupferstichkabinett.

Référence bibliographique

  • Ad Stijnman, Simon Turner, Johannes Teyler and Dutch color prints, Amsterdam, Sound and Vision Publishers / Rijksmuseum, 2017, 4 vol. (The New Hollstein Dutch & Flemish etchings, engravings and woodcuts 1450-1700). Consultables dans les collections de la bibliothèque en libre accès : cotes NE663.H2 TEYL 2017 (1) et NE663.H2 TEYL 2017 (2).

Lucie Fléjou, service du patrimoine