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Les Cahiers Plaoutine en ligne sur Agorha : tribut à un savant méconnu
Mis à jour le 22 mars 2016
Explorations numériques
Qui était Nicolas Plaoutine, auteur de quelques articles et de quatre fascicules du Corpus Vasorum Antiquorum, dont le nom n’apparaît que fugitivement dans l’historiographie de la céramique grecque ? Aucune biographie détaillée n’existe sur le personnage, et son importance pour la recherche sur l’histoire des vases grecs n’est vraiment connue que de ceux, conservateurs, restaurateurs ou chercheurs de diverses nationalités, qui se sont penchés durant des heures sur les pattes de mouche écrites à l’encre violette de sa correspondance et de ses Cahiers, ces derniers conservés au Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre.
Lors de la journée d’étude du 18 juin 2014 sur le Répertoire des ventes d’antiques en France au XIXe siècle ont été présentés quelques éléments inédits, tirés en particulier de sa correspondance avec John Davidson Beazley et de divers documents administratifs conservés aux Archives des musées nationaux, sur la vie et sur la personnalité de cet homme qui a opéré dans l’ombre des conservateurs et des archéologues français de son époque. Né en 1893 à Tsarskoïé Sielo d’une famille de la haute noblesse russe, émigré en France au moment de la révolution bolchévique, naturalisé ensuite français, il fait des études à l’Ecole du Louvre où il soutient en 1934 une thèse sous la direction d’Alfred Merlin – Le dessin dans la céramique antique avant l’introduction des raccourcis. Parallèlement, il assiste Salomon Reinach dans la rédaction du fascicule 8 du CVA du Louvre, avant d’en publier au fil des années plusieurs autres, notamment en 1941, celui du Musée du Petit Palais, dans lequel sont répercutées de nombreuses informations issues du remarquable travail de dépouillement des ventes de vases antiques du XIXe et début XXe siècle qu’il avait mené durant des années.
Ayant échoué, à plusieurs reprises, à obtenir un poste rémunéré ou un dédommagement pour ses travaux, pourtant d’un intérêt majeur, il part finalement contre son gré à Brest où il avait trouvé un emploi – qui allait l’empêcher, selon ses propres dires, de poursuivre ses recherches – mais où une pneumonie l’emporte en 4 jours, en avril 1942. Ses Cahiers ainsi que sa bibliothèque spécialisée sont donnés par sa mère à Alfred Merlin après sa mort (l’exemplaire annoté du Répertoire des vases peints grecs et étrusques, 1922-1924, de Salomon Reinach est consultable sur la Bibliothèque numérique de l’INHA )
La lecture de sa correspondance, de ses travaux publiés ou manuscrits, des annotations et commentaires portés aux milliers d’entrées des catalogues de ventes qu’il a recopiés révèle à la fois en Nicolas Plaoutine le travailleur discret, infatigable, d’une rigueur méthodologique extrême, que décrivait Alfred Merlin, mais aussi, le grand érudit parfaitement polyglotte, fin connaisseur du marché et des collections et de la céramique grecque elle-même, sur laquelle il pose un regard d’une acuité exceptionnelle : « an unusual, unforgettable figure of a genuine and devoted scholar », ainsi que le célèbre Beazley dans le compte-rendu du fascicule posthume du CVA du Musée Rodin.
En collaboration avec le Département des antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, la numérisation et la mise en ligne de ses Cahiers, dépouillement manuscrit annoté et commenté de centaines de ventes de vases grecs, met aujourd’hui à disposition de tous une source inédite de première importance qui concerne l’histoire mondiale des collections de vases antiques.
Les Cahiers Plaoutine sont au nombre de vingt-deux, mais seuls onze ont été numérisés sur la base Agorha car la moitié ne concernent pas les ventes aux enchères étudiées dans le cadre du programme de recherche du domaine Histoire de l’art antique – Histoire de l’archéologie. Ils s’apparentent en réalité à de véritables journaux de bord. En plus de son travail titanesque sur les catalogues de ventes, Nicolas Plaoutine y recopiait et commentait la plupart de ses lectures, des publications académiques sur les antiquités grecques aux écrits littéraires et philosophiques de son époque. Il les utilisait également pour y noter ses leçons de Grec ancien qu’il apprenait assidument. Les cahiers numérisés sur Agorha sont donc ceux qui mentionnent strictement les catalogues de collections et de ventes aux enchères, bien qu’il ait été décidé de recenser dans les tables des matières mises à disposition, autant que possible, les dépouillements d’ouvrages et d’articles relatifs à l’étude des vases grecs, étrusques et italiotes.
Pour l’étude des ventes de vases, les Cahiers Plaoutine sont le témoignage d’une méthode de travail patiente et méticuleuse, fondée sur le dépouillement systématique et précis de l’intégralité des catalogues de collections et de ventes que Nicolas Plaoutine avait pu réunir et étudier, à la fois à la documentation du Louvre et au sein des minutes de marchands parisiens. Ce travail de collecte, entièrement manuscrit au temps où la photocopieuse et la saisie numérique n’existaient pas, est aux antipodes d’une entreprise mécanique de recopiage. Nicolas Plaoutine fut le premier à reconstituer dans ses cahiers l’histoire moderne des vases grecs présents dans les catalogues de ventes et de collections, établissant des concordances avec les objets des musées, notamment ceux du musée du Louvre, réunissant des lots dispersés et attribuant des origines archéologiques auparavant oubliées ou fausses. Ses doutes concernant l’origine cérétaine de l’entière collection Campana en sont l’exemple le plus frappant. Sur bien des points, Nicolas Plaoutine doit être perçu comme un précurseur. Il suffit de mentionner sa méthode d’identification des vases grecs, fondée sur la distinction et la combinaison des formes, techniques, dimensions, faces, sujets, personnages et accessoires, qui caractérisent de nos jours ce que nous appelons dans le langage de la documentation informatisée des « critères d’unicité ». Nombreux sont les commentaires, les numéros de pages des catalogues reportés en marge, les renvois aux autres ventes, les numéros d’inventaires annotés qui constituent une source précieuse pour les conservateurs et les chercheurs ayant le désir de travailler sur cette exceptionnelle documentation.
Le Répertoire des ventes d’antiques en France au XIXe siècle, dont la base de données a été mise en ligne en 2014 sur Agorha et continue à être implémentée, vient compléter les recherches préliminaires des Cahiers de Nicolas Plaoutine par le dépouillement des procès-verbaux des ventes aux enchères. Les fiches « évènement », au fil de leur insertion dans la base, font le lien avec les Cahiers Plaoutine numérisés dans un souci de croisement et de regroupement des sources devenu indispensable dans la recherche actuelle en Histoire des collections.