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Le pois du style
Le pois du style
De nouvelles gravures sont à consulter sur la bibliothèque numérique, plusieurs d’entre elles illustrent un style ornemental assez peu connu, dit des « cosses de pois », nommé ainsi en raison des motifs utilisés en forme de gousses de haricots. En effet, ce type de décor se compose de végétaux stylisés, feuilles enroulées, tiges entrecroisées mais surtout de cosses de pois, le plus souvent ouvertes et libérant leurs graines, dans une évocation symbolique de la fécondité voire de l’opulence.
Les planches, qui présentent des compositions souvent rassemblées en bouquets, étaient destinées à servir de modèles. La plupart des graveurs d’ornements avaient l’ambition d’être utiles largement aux artistes et artisans. Ainsi, la présence dans les titres des expressions « propres à divers usages » ou « pour toutes sortes d’ouvrages » est récurrente, l’auteur pouvant même interpeller divers corps de métiers susceptibles de mettre en application les modèles proposés, comme ce « Nouveau livre de dessins » que I. de Mortin envisage « pour l’utilité des armuriers, serruriers, architectes, charpentiers, orfèvres et autres artistes ». À l’opposé, les suites d’estampes « cosses de pois » sont dédiées à un seul domaine des arts décoratifs, celui de l’orfèvrerie. Elles sont même gravées pour majorité de la main d’orfèvres, orfèvres en formation qui s’entrainaient en reproduisant les modèles de leurs aînés ou orfèvres établis exerçant parallèlement une activité de graveur, profession moins réglementée que celle d’orfèvre soumise à un numerus clausus de trois cents pour la ville de Paris.
Anonyme, [Rinceaux de grandes feuilles stylisées et de cosses de pois], [Vers 1620-25], Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, FOL RES 120 (1-12). Cliché INHA
Apparu sous le règne de Louis XIII, vers 1610, le style « cosses de pois » semble être l’apanage des orfèvres parisiens, notamment de ceux installés dans les ateliers de la grande Galerie du Louvre qui répondaient aux commandes royales. L’INHA conserve des planches d’un de ses précurseurs Étienne Carteron (1593?-1633?), trois gravures issues d’une suite de huit planches de bijoux en blanc sur fond noir datée de 1615. Cet orfèvre originaire de Châtillon-sur-Seine, comme l’indique la page de titre « Stephanus Carteron Castellionensis Burgund. Otti Parc. Huius Operis Extitit Inventor;…Has Tabulas Laboriose sculpsit » conservée au Staatliche Museen zu Berlin (Kunstbibliothek), publia cette suite alors qu’il était encore apprenti chez l’orfèvre Jean Charpentier. La maîtrise des techniques graphiques faisait partie intégrante de la formation au métier d’orfèvre et le dessin leur permettait de prouver leur capacité d’invention. Cependant les gravures ne reproduisent pratiquement jamais les œuvres réalisées dans leur intégralité. Une culture du secret s’était solidement ancrée dans la profession car les orfèvres, soucieux de répondre aux attentes de leur riche clientèle en quête d’originalité, craignaient la copie et la concurrence. Utilisés pour la joaillerie et le travail de l’émail, les « cosses de pois » se prêtaient merveilleusement bien à la décoration de surfaces : médaillons, boîtes à portraits, coffrets, pendentifs, cadrans…
Malheureusement peu d’objets réalisés dans le style « cosses de pois » sont parvenus jusqu’à nous. Tout d’abord parce que cette tendance ornementale fut relativement éphémère : Peter Furhing et Michèle Bimbenet-Privat, auteurs d’une étude très complète sur le sujet, la situent entre 1612 et 1640 ; mais aussi en raison des fontes qu’ont subies nombre de pièces en or et argent notamment avec l’ordonnance de Louis XIV de 1688-1689 ou lors des fontes patriotiques de la Révolution. Rares sont les réalisations conservées dans les collections publiques françaises. Michèle Bimbenet-Privat localisa, à titre d’exemple, un flambeau à deux bobèches au Département des objets d’art du Musée du Louvre ou encore un camée rectangulaire à pans coupés, serti dans une monture ajourée à motifs de cosses de pois représentant Louis XIII ou Gaston d’Orléans enfant aux Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France. Au Victoria & Albert Museum de Londres, plusieurs pièces ont pu être répertoriées dont une boîte à portrait en émail de Jean Toutin, à rapprocher d’une gravure d’un médaillon orné d’un bouquet d’orfèvrerie avec feuilles découpées et cosses de pois en blanc sur noir qu’il réalisa en 1619 et qui vient d’être mise en ligne sur la bibliothèque numérique.
Jean Toutin, Miniature case, émail chamlevé sur or, ca. 1620, Victoria & Albert Museum, M.246-1975.© Victoria and Albert Museum – Jean Toutin, [Médaillon rond … avec feuilles découpées et cosses de pois en blanc sur noir], burin, 1619, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, 8 RES 88. Cliché INHA
En marge des grands courants, le style « cosses de pois » a été longtemps oublié des historiens de l’ornement. En 1984, encore, Irmscher Günter dans son ouvrage « Kleine Kunstgeschichte des europäischen Ornaments seit der frühen Neuzeit (1400-1900) » se contentait de classer les « cosses de pois » dans une rubrique « florale und bizarre ornamente » (p.265). De nos jours, la rareté des œuvres exécutées font des recueils de planches de modèles gravés le témoignage essentiel de l’extraordinaire inventivité dont savaient faire preuve les orfèvres parisiens de la première moitié du XVIIe siècle.
Références bibliographiques
- Michèle Bimbenet-Privat et Peter Fuhring, «Le Style Cosses de pois. Orfèvres et graveurs à Paris sous Louis XIII », numéro spécial de la Gazette des Beaux-Arts, n° 1595, janvier 2002, pp. 1-224
- Michèle Bimbenet-Privat, Les orfèvres parisiens de la Renaissance : 1506-1620, Paris, Commission des travaux historiques de la Ville de Paris, 1992
- Michaël Decrossas et Lucie Fléjou, Ornements : XVe-XIXe siècles : chefs-d’œuvre de la Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Paris, Mare & Martin, cop. 2014
Élodie Desserle
Service de l’informatique documentaire